Par Jean-Pierre Mbelu*
Certains compatriotes ayant pris connaissance du message de l’agence MISNA sur « une fausse interview de Laurent Nkunda attribuée à MISNA » n’en croyaient pas leurs yeux en lisant ce 06 janvier 2008 le communiqué officiel du CNDP. Voici ce que dit ce communiqué: « Le Congrès National pour la Défense du Peuple porte à la connaissance de l’opinion tant national qu’internationale la déclaration suivante : Nous venons de prendre la décision de fermer provisoirement la Radio Bwiza FM émettant sur un territoire sous notre contrôle. Cette décision entre en application à partir d’aujourd’hui 06 janvier 2008. Cette décision est consécutive à l’apparition sur Internet de l’interview que nous avions accordée à un journaliste de cette radio Monsieur Robert Kayengesha, le 02 janvier 2008. Malheureusement, sans que nous ayons pu lire préalablement le retranscrit de cette interview, comme convenu, cette dernière s’est retrouvée sur Internet avec l’entête de l’agence de presse Misna. (…) Néanmoins, cette bavure médiatique n’enlève rien au caractère patriotique de notre message contenu dans cette interview. »
Nkunda ayant confirmé sa paternité de cette interview, il serait intéressant que nous soyons plusieurs à la lire et à l’interpréter. Une certaine paraisse intellectuelle nous pousse à rejeter d’un revers de la main tout ce qui est dit et/ou écrit par des personnes que nous n’aimons pas ou que nous avons disqualifiées de notre univers culturel, à tort ou à raison.
Il est sage que nous Congolais(es) évitions dorénavant la grosse erreur que nous avons commise en refusant de lire en urgence Crimes organisés en Afrique centrale d’Honoré Ngbanda. Nous aurions gagné du temps dans la compréhension de ce qui nous arrive! D’ailleurs, en lisant l’interview de Nkunda, nous nous réalisons que le nombre des militaires des FARDC tombés à Mushake est beaucoup plus proche de celui communiqué par Honoré Ngbanda que par Colette Braeckman. Nkunda parle de plus de 4.800 cadavres, « parmi lesquels les officiers et soldats Angolais et Zimbabwéens ».
Nkunda confirme qu’il y a eu trahison à Mushake
A la question ci-après: « Une certaine presse Kinoise affirme que cette défaite est essentiellement due à la trahison des certains officiers de très haut rang dont le Chef d’Etat-major général des forces terrestres le général -major Amisi Kumba dit Tango fort, le général de Brigade Vainqueur Mayala, le Commandant-adjoint de la 8ème région militaire le Colonel Delphin Kahimbi, le commandant du 116ème brigade le Colonel Jonas Padiri, le commandant du 14ème brigade le Colonel Rugayi, le Commandant de la 82ème brigade le Colonel Yav, le Commandant de la 15ème brigade le Colonel Mungura, le Commandant de la 9ème brigade le Colonel Smith Gihanga. Le nom du général John Numbi figure aussi sur cette longue liste des suspects qui circule dans certains milieux politiques de Kinshasa. Quel est votre avis ? » , Nkunda répond: « Je n’ai pas l’habitude de manier la langue de bois. Le renseignement militaire est capital dans la lutte que nous menons ». Et à cette autre : « Doit-on comprendre que le brassage et le mixage des troupes ont été une aubaine pour vous ? », il répond: « Dire le contraire serait mentir. Le mensonge érigé en mode de gouvernance n’est pas ma tasse de thé. »
Goma est une caution donnée à l’infiltration de nos institutions par des messieurs et dames décidés à déstabiliser le Congo de l’intérieur.
Peut-on régler la question de la trahison d’une armée nationale au sein d’une conférence à caractère provincial?
Goma est un subterfuge visant à maintenir au pouvoir et dans l’armée des « chevaux de Troie ». Goma est la prolongation du complot ourdi contre le Congo par un « conglomérat d’aventuriers » présidant à ses destinées aujourd’hui. En principe, en lieu et place de Goma, c’est la démission du gouvernement et du Parlement qui devrait résulter de cette haute trahison.
Nos compatriote réunis au sein de l’ asbl SI MA-KIVU, ont mieux fait leur analyse quand, au lieu de la Conférence de Goma, ils estiment « qu’ il aurait été plus logique de la part de ces derniers de remettre leur démission et de convoquer de nouvelles élections présidentielles et législatives, plutôt que d’organiser la complicité des populations du Nord et du Sud-Kivu dans les concessions inacceptables qu’ils seront amenés à prendre à l’issue des assises de Goma ».
Goma est une caution donnée à l’infiltration de nos institutions par des messieurs et dames décidés à déstabiliser le Congo de l’intérieur. La débâcle de Mushake en est une illustration.
Pourquoi Nkunda ne s’est-il pas rendu à Goma?
Il se moque de la qualité des coordonnateurs de ce cinéma. Il sait que la recréation continue. Nkunda avoue que « nos craintes sur la possibilité d’un flop sont tout à fait légitimes. Le manque de neutralité des personnes choisies afin de piloter cette conférence est en soi un problème. En effet, toute la société civile du Nord et du Sud-Kivu connaît très bien les limites de l’Abbé Apollinaire Malu Malu Muholongu. Tout le monde sait d’où il vient, comment et pourquoi il fut parachuté à la tête de la CEI lors de la signature des accords de Sun City le 22 décembre 2002. Personne n’ignore la raison de sa reconduite à la tête de la CENI! Quand à Vital Kamerhe, vous n’avez qu’à écouter les chansons de Koffi Olomidé où son nom est toujours cité en première place, et vous allez comprendre la bassesse de ses moeurs. Ce Monsieur a transformé la chambre basse du parlement, dont il est le président du bureau, en un fan-club pro-Kabila. Tous les dossiers sérieux qui touchent à la vie de la population congolaise y sont systématiquement renvoyés dans des commissions dites spéciales qui siègent toujours à huit clos, à l’image du sénat belge quand il s’agit des dossiers miniers congolais. La population sait aujourd’hui que ces commissions n’ont pour but que d’organiser l’entérinement de tous les dossiers compromettant pour le régime de Kinshasa. Hélas! La recréation continue, comme dirait l’autre.»
Nkunda se moque aussi de « tous ces hommes politiques congolais (Ministres, députés et sénateurs) qui se ruent comme des mouches sur Goma pour les per diem. »
Nkunda et Kabila des frères malgré tout!
Quand Nkunda qualifie son message de patriotique, il fait tiquer. Quel est ce patriote qui serait content de compter 4.800 cadavres de ses compatriotes militaires? Quel est ce patriote dont la patrie serait réduite à une seule ethnie? Nkunda est beaucoup plus ethniciste que patriote.
A travers son interview, Nkunda voudrait faire payer à Joseph Kabila ses mensonges, son ingratitude et son manque de respect de la parole donnée. Il « pense que le Président Joseph Kabila doit personnellement rendre des comptes à la population à cause de ses mensonges et de ses propos va-t-en guerre: il a annoncé, dit Nkunda, la reddition massive de mes hommes au mois de novembre; il a promis l’écrasement total de CNDP; il a insinué que le CNDP avait épuisé « ses carottes » et qu’il allait nous bastonner…Sans blague! Il m’a traité de criminel infréquentable et de tous les noms d’oiseaux. Et enfin, il a prétendu qu’il ne me connaissait pas du tout…Quelle amnésie? J’ai risqué ma vie à Kisangani en 1997 pour assurer la sécurité rapprochée de cet homme. Se souvient-il encore que j’ai pu déjouer au péril de ma vie une tentative d’assassinat perpétré contre lui à l’hôtel Palm Beach à Kisangani? Moi, je n’ai pas du tout oublié. »
Nkunda et Kabila ont un agenda commun: servir les intérêts de leurs parrains dont la réalisation des accords de Lemera.
Il lui reproche aussi son recours « irréfléchi » à la force en se souvenant de « la brutalité et l’extrême violence avec laquelle il s’est débarrassé de son rival du deuxième tour de l’élection présidentielle 2006, malgré les accords qu’ils avaient librement signés ».
Néanmoins, « en dépit de la conjoncture actuelle, des excès (de Joseph Kabila) et de ses écarts de langage, Nkunda avoue que « nous (lui et Kabila) sommes et resterons malgré tout des frères d’armes. »
Pour preuve, Nkunda évoque un souvenir électoral. « D’ailleurs, dit-il, il m’avait demandé d’assurer officiellement la surveillance des bureaux d’enrôlement des électeurs, ainsi que celle des bureaux de vote dans les territoires sous mon contrôle, en sa faveur bien sûr. Chose que j’ai faite sans demander quoique ce soit en retour. Triste est de constater que depuis sa victoire électorale, Joseph ne respecte plus sa signature, ni sa parole d’homme. »
Malgré tout, Nkunda et Kabila ont un agenda commun: servir les intérêts de leurs parrains dont la réalisation des accords de Lemera.
Nous avons un problème!
Malgré l’implication des autres pays dans la crise multiforme du Congo, Nkunda estime que le peuple congolais a un sérieux problème à résoudre. Il peut être vendu et/ou acheté par le premier venu. Il a toujours en son sein des thuriféraires dévoués à la tâche de la falsification de l’histoire et de la fabrication mensongère des identités.
Alors le peuple congolais a un sérieux problème à résoudre, car son propre Président élu au suffrage universel direct à plus de 58 % des voix, je cite Joseph Kabila, est non seulement d’origine Tutsie comme moi, mais il est aussi un ancien soldat du FPR comme moi. Cherchez donc l’erreur !
A cette question: « Pouvez-vous affirmer ou infirmer l’information selon laquelle il y aurait des officiers et des soldats rwandais au sein du CNDP et des FARDC ? » Nkunda répond:
« Et bien ! Si vous attendez par soldats rwandais tous ceux qui ont servi un jour dans le Front Patriotique Rwandais le FPR et ensuite dans l’Armée Patriotique Rwandaise l’APR du général Paul Kagamé, alors le peuple congolais a un sérieux problème à résoudre, car son propre Président élu au suffrage universel direct à plus de 58 % des voix, je cite Joseph Kabila, est non seulement d’origine Tutsie comme moi, mais il est aussi un ancien soldat du FPR comme moi. Cherchez donc l’erreur ! » Oui. Nous avons un sérieux problème à résoudre. Contrairement à plusieurs d’entre nous et même à certaines de nos éminences grises, Nkunda , lui, a compris que pour « qui connaît l’histoire, la géopolitique, la géostratégie de la région et son importance économique, aucun décideur international sérieux ne peut soutenir la thèse suicidaire de la création d’un TPI pour la RDC au risque de se faire citer à comparaître un jour ». Contrairement à plusieurs d’entre nous, Nkunda, lui sait, que « la Monuc est une nébuleuse dont la politique et la stratégie militaire sont dictées par les puissances occidentales qui financent sa présence en RDC, selon bien évidemment leurs propres intérêts politico-économiques. »
Notre problème, c’est cette mentalité mendiante qui nous fait croire que les autres s’occuperont de nous sans nous pour notre bien…Voilà ce qui est à déformater pour un reformatage pragmatique, fait un plein jour, les yeux ouverts.
Une petite conclusion
Il n’y a pas de hasard! Une interview non retranscrite « comme convenu » s’est retrouvée sur Internet. Que nous apprend-elle de fondamental? A notre humble avis, elle nous dit Joseph Kabila et Nkunda sont « des frères d’armes » que déchirent momentanément ou stratégiquement quelque rivalité ou jalousie tout en ayant les mêmes parrains. Ceux-ci les ayant pris en otage, eux deux ont, à leur tour, pris le peuple congolais en otage avec la complicité des « mouches qui se ruent partout où ils sentent l’odeur du per diem ».
Cet ordre a-politique ne peut nous mener nulle part. Il faut à tout prix le changer. Pourvu que nous soyons plusieurs millions à comprendre comme Nkunda notre histoire, les enjeux géopolitiques et géostratégiques du Congo. Sur ce point précis, le chemin est encore long et l’investissement en hommes et femmes congolais insuffisant.
Ces deux messieurs ont signé des accords (par eux-mêmes ou par personnes interposées) en dehors des institutions républicaines en croyant que tous les Congolais(es) seront toujours les dindons de la farce. Remarquant qu’il n’est pas possible de mentir à tout le peuple tout le temps, ils ont choisi de poursuivre la guerre de prédation et d’agression initiée par le Rwanda et l’Ouganda sous le couvert de l’AFDL et sous le parapluie de leurs parrains occidentaux. Connaissant le poids géopolitique et géostratégique du Congo pour « les petites mains du capital» et sachant que la guerre est aujourd’hui une tactique de commerce pour leurs parrains, ils recourent, en toute impunité, tous les deux, de manière « irréfléchie » à la violence en se moquant de nos millions de morts, assimilés aux dégâts collatéraux.
Pour couvrir leurs bêtises, ils ont choisi « des zorro de service » prêts à l’instrumentalisation de l’ethnie pour couvrir la prédation néolibérale. Ces « zorro de service » ont fait des élections de 2006 un rite dépouillé de tout son sens et des institutions qui en sont issues des « fan clubs pro-Kabila. » Cet ordre a-politique ne peut nous mener nulle part. Il faut à tout prix le changer. Pourvu que nous soyons plusieurs millions à comprendre comme Nkunda notre histoire, les enjeux géopolitiques et géostratégiques du Congo. Sur ce point précis, le chemin est encore long et l’investissement en hommes et femmes congolais insuffisant. Le cinéma de Goma n’y peut rien du tout.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
*Article initialement publié en 2008 sur CongoForum.be