Par Jean-Pierre Mbelu
Vivre dans un pays où, pendant plus de cinq décennies, il est difficile de prendre la parole en toute liberté, peut conduire à des généralisations abusives du genre : »Vous critiquez les impérialistes tout en vivant chez eux ». Les compatriotes émettant ce point de vue semblent avoir perdu l’habitude de lire les notes infrapaginales et/ou les noms des auteurs cités dans certains articles des leurs à qui ils s’en prennent. Une même critique à l’endroit de l’Occident émise par Mufoncol Tshiyoyo et Noam Chomsky sera jugée sévèrement sous la plume du premier. Il y a un problème. Quel serait-il ?
Il est de plus en plus courant que des compatriotes congolais s’en prenant les uns aux autres sur la question de l’impérialisme tombent dans des approches légères et fantaisistes. Celles-ci semblent être le signe d’un relativisme dû à l’ignorance de la signification de certains mots, des lieux et des contextes où ils sont nés. Ce relativisme est dangereux dans un monde où »les prédateurs au pouvoir » sont en train de faire »main basse sur l’avenir » de toute l’humanité. Il n’est pas rare d’entendre ces critiques des compatriotes les uns à l’endroit des autres : « Ils critiquent les impérialistes et pourtant, ils vivent chez eux. Ou encore, ils s’en prennent aux impérialistes et ils recourent à leur aide pour se maintenir au pouvoir ou déshabiller Saint Pierre pour habiller Saint Paul. »
Face à l’impérialisme américain
Croire que tous les pays de l’Amérique du Nord et de l’Europe ne sont habités que par »des impérialistes » est une généralisation abusive. Quand il est question de l’impérialisme, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une idéologie de conquête des terres, des mers et des airs pour avoir accès aux matières premières, aux énergies et à une main d’oeuvre »servile et bon marché ». Les terres, les mers et les airs conquis sont transformés en »colonies » pour écouler les marchandises produites dans le pays conquérant et soumettre les peuples qui y vivent.
Le pays conquérant conserve ses propres richesses (internes) et va à la recherche de celles d’autrui en recourant au principe du »tout permis »et de celui de l’usage de la répression et de l’agression de toutes les forces résistantes. Le pays conquérant tient à s’étendre au-delà de ses propres frontières culturelles, géographiques, économiques et politiques. Et ce projet de conquête est porté par »des minorités conscientes » ; des »minorités qui en sont conscientes » et qui essaient par la propagande, les ONG, les médias et »les experts » de fabriquer le consentement des masses populaires là-dessus. Elles se retrouvent dans »les cercles du pouvoir » tels que le Siècle, le Bilderberg ou la Trilatérale et constituent un »Etat profond ». (Peter Dale Scott a écrit des textes très sérieux sur la question.)
Quand il est question de l’impérialisme, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une idéologie de conquête des terres, des mers et des airs pour avoir accès aux matières premières, aux énergies et à une main d’oeuvre »servile et bon marché ». Les terres, les mers et les airs conquis sont transformés en »colonies » pour écouler les marchandises produites dans le pays conquérant et soumettre les peuples qui y vivent.
Et les grands événements que »ces minorités organisées en conscience » produisent sont localisés, pensés et débattus dans »ces cercles oligarchiques du pouvoir ». L’empire américain, par exemple, est (aussi) le produit de la réflexion d’un groupe d’études dénommé »Guerre et Paix » du Conseil des Relations Extérieures (CFR) au sein duquel l’ambassadeur George Kennan a joué un rôle important en 1948. Ses concepteurs voulaient qu’il s’étende à l’Asie du Sud-Est et avaient fait de l’Amérique Latine son »arrière-cour ».
Accueillant l’ex-président Equatorien, Rafael Correa à l’Université d’Eté de »la France insoumise » à Marseille, Jean-Luc Mélenchon décrit, en ses morts, le mode opératoire de l’empire américain tout en invitant ses »amis insoumis » à apprendre. Il dit :
« Nous apprenons, et nous manifestons du respect à l’égard de ceux qui vivent à proximité d’un empire agressif, violent, organisateur permanent de complots, de coups d’États, de tentatives d’assassinat et de déstabilisation. Quelques erreurs que fassent nos amis, nous ne perdons pas de vue que le responsable du mal, du désordre, de tentative de guerre civile, c’est l’impérialisme américain.» (Une parenthèse. Après ses années passées à la présidence de son pays, Rafael Correa est venu, avec son épouse, vivre en Belgique.)
« Vous critiquez l’aide des impérialistes tout en vivant chez eux »
Plusieurs pays africains ont fait les frais de ce mode opératoire. Le Congo-Kinshasa en sait quelque chose. L’assassinat de son premier Ministre, Emery-Patrice Lumumba et la guerre raciste de prédation des années 1990 menée par des proxys interposés en font partie.
Parmi les ONG dont l’empire américain sur le déclin se sert au Congo-Kinshasa, il y a la NED, l’USAID, le NDI, etc. Et l’un des oligarques d’argent impliqué dans »la révolution pro-démocratie » congolaise est Georges Soros ( avec son »Open society »).
Au Congo-Kinshasa, dès que vous commencez à remettre en question le soutien dont bénéficient »les compatriotes pro-démocratie » ou les politicards congolais auprès de tous ces clients de l’empire sur le déclin, vous risquez de vous entendre dire, si vous vivez en Europe ou aux USA : »Vous critiquez l’aide des impérialistes tout en vivant chez eux ». Cette réaction ne tient nullement compte d’une approche informée de l’impérialisme. Et aussi du fait que les plus grands critiques des impérialistes sont les Occidentaux eux-mêmes. La citation de Jean-Luc Mélenchon est un exemple éloquent.
Ces compatriotes devraient apprendre qu’en Occident, la lutte pour la liberté de pensée et d’expression se poursuit au quotidien. Les ravages produits par »la fabrication du consentement » et la transformation des citoyen(nes) en des apathiques consommateurs épargnent des pans entiers des populations occidentales et des élites engagées en conscience. Amin Maalouf a écrit une critique acerbe à l’endroit de l’Occident dans un livre intitulé »Le dérèglement du monde ». Cela n’a pas empêché qu’il devienne membre de l’Académie française. Pierre Péan est trop sévère à l’endroit de son pays quand il écrit »La République des mallettes. Enquête sur la principauté française de non-droit » en 2011. Il n’en a pas été chassé.
En Occident, la lutte pour la liberté de pensée et d’expression se poursuit au quotidien. Les ravages produits par « la fabrication du consentement » et la transformation des citoyen(nes) en des apathiques consommateurs épargnent des pans entiers des populations occidentales et des élites engagées en conscience.
Alain Badiou critique »le capitalisme (qui) confie le destin des peuples aux appétits financiers d’une minuscule oligarchie » en estimant qu »’en un sens, c’est un régime de bandits » (Lire Le réveil de l’histoire, p.23) et il est loin de fermer son cerveau. Le Belge Michel Collon et son ami Grégoire Lalieu ont organisé des entretiens avec Mohamed Hassan et publié un livre intitulé »La stratégie du chaos. Impérialisme et islam » (en 2001), ils n’ont pas été expulsés de la Belgique pour cela. A une période où les sanctions prises contre la Russie sont acceptées sans un quelconque questionnement par les masses populaires occidentales, Robert Charvin a écrit un livre historique important : »Faut-il détester la Russie ? Vers une nouvelle guerre froide » (2016).
Un besoin d’une révolution culturelle…
Tous ces exemples indiquent qu’en face des »minorités d’oligarques organisées en conscience », il y a, en Occident, des élites intellectuelles critiques et engagées pour l’avènement d’un monde où la remise des cerveaux à l’endroit constitue une priorité. Elles savent que cela est un ouvrage à remettre sur le métier à temps et à contretemps.
Vivre dans un pays où, pendant plus de cinq décennies, il est difficile de prendre la parole en toute liberté, peut conduire à des généralisations abusives du genre : »Vous critiquez les impérialistes tout en vivant chez eux ». Les compatriotes émettant ce point de vue semblent avoir perdu l’habitude de lire les notes infrapaginales et/ou les noms des auteurs cités dans certains articles des leurs à qui ils s’en prennent. Une même critique à l’endroit de l’Occident émise par Mufoncol Tshiyoyo et Noam Chomsky sera jugée sévèrement sous la plume du premier. Il y a un problème. Quel serait-il ?
Vivre dans un pays où, pendant plus de cinq décennies, il est difficile de prendre la parole en toute liberté, peut conduire à des généralisations abusives du genre : « Vous critiquez les impérialistes tout en vivant chez eux ».
Peut-être celui du rejet des nôtres et de leur capacité de réfléchir. Ceci serait lié au fait que quelques élites intellectuelles ayant trahi la cause du peuple congolais, plusieurs d’entre nous en concluraient que toutes les élites congolaises sont des traîtres. Ceci serait donc lié à une mauvaise déduction logique : de »quelques élites ayant trahi », on en conclut que »toutes trahissent ».
Ce ne sont que des hypothèses !
Une révolution culturelle pouvant refaire notre mariage collectif avec les choses de l’intelligence et refonder un Etat respectueux de la dignité humaine aiderait à redonner toute sa place à la critique constructive et à un convivialisme sans meurtre, sans haine de soi.
Quant aux élites compradores, »esclaves volontaires » des »minorités d’oligarques financiers occidentaux », elles assurent »leur vieille mission » : être au service des intérêts étrangers à ceux du peuple congolais. Leur critique de l’empire sur le déclin fait partie de leur mode opératoire : recourir à une rhétorique mensongère pour duper le peuple qu’elles répriment, agressent et exploitent pour servir »leurs maîtres ». Cette rhétorique mensongère est une vieille question toujours actualisée.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961