Par Jean-Pierre Mbelu
« Mayele, bomoto, nde eza richesse. » – C. Mobomi
Des discours et des commentaires accompagnant la campagne électoraliste au Kongo-Kinshasa vont et viennent régulièrement sur la question identitaire. L’attrait du « pouvoir-os » dans un pays à souveraineté hypothétique attise des propos séparatistes ignorant carrément la marche actuelle du Sud global vers un monde polycentré où les grands ensembles pourraient s’imposer dans la balance des rapports de force. Les BRICS cherchent à englober plus de 50% de la population mondiale. En Afrique, le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont en train de créer une confédération souveraine aussi vaste que le pays de Lumumba. Pourquoi les politicards kongolais, leurs fanatiques, leurs thuriféraires et leurs tambourinaires donnent-ils l’impression d’aller à l’encontre de la marche actuelle du monde réel ? Pourquoi cherchent-ils à apporter de l’eau au moulin des joueurs des coulisses de l’histoire du pays dont le but a toujours de diviser ceux et celles qui devraient lutter ensemble en étant unis par des actions et des paroles partagées dans le respect du différend et du différent ?
L’option partagée pour le feu diabolique
Il semble que l’une des raisons serait une approche figée, a-anthropologique et a-traditionnaliste de l’identité. Peut-être aussi parce que, comme l’a affirmé, il y a quelques jours un professeur des sciences politiques à l’UNIKIN, « la politique, disent les sociologues, est une compétition ».
Le pays est divisé en deux. Il y a, d’une part, les gardiens résistants qui, au nom de leur ancrage dans les terres ancestrales, se liguent comme un seul homme pour les défendre de leur réduction matérialiste aux simples réservoirs des matières premières. Et d’autres part, « les quémandeurs du pouvoir-os » semant « la division » et « la dispute » en vue d’anéantir les luttes multiformes des gardiens des terres.
Croyant que dans « une compétition », tous les coups sont permis, il oublie que la cohésion nationale en prend un sérieux coup. En fait, ce prof et « politicien » peut avoir raison au sujet de la façon dont « la politique » kongolaise est dominée par le fait économique. Et plusieurs « politiciens » sont quémandeurs du « pouvoir-os » auprès des fondés du Capital.
Et dans ce contexte néolibéral et néocolonial de domination du fait économique sur le fait politique, « Compétition signifie « quémander ensemble » (…) Ceux qui quémandent ensemble (…) sont dans la division et la dispute. Autrement dit, ils sont dans l’Enfer, car « la division » (diabolos) et la « dispute » sont les apanages du diable. » (B. Maris)
Donc, au Kongo-Kinshasa, ces « quémandeurs du pouvoir-os » créent, avant « les élections-pièges-cons », un « Enfer ». Ils allument un feu diabolique dont les conséquences pourraient être catastrophiques pour le devenir collectif. Ils pourraient, sans honte, accuser des boucs émissaires rapidement trouvés.
Et curieusement, le pays est divisé en deux. Il y a, d’une part, les gardiens résistants qui, au nom de leur ancrage dans les terres ancestrales, se liguent comme un seul homme pour les défendre de leur réduction matérialiste aux simples réservoirs des matières premières. Et d’autres part, « les quémandeurs du pouvoir-os » semant « la division » et « la dispute » en vue d’anéantir les luttes multiformes des gardiens des terres. Ils le font tout en sachant qu’un royaume divisé contre lui-même est voué à sa perte. Il y a ici une inconscience voulue et/ une inconséquence qui ne disent pas leurs noms. Dieu merci ! Il y a quand même, entre les deux, quelques artisans et partisans de la reliance.
Heureusement ! Alors, comment faire pour que leur nombre augmente et/ou qu’ils deviennent une véritable masse critique ? Peut-être en invitant « les compétiteurs diaboliques » à rompre avec leur approche figée des identités kongolaises assignées et à renoncer à l’inutile recherche facile du « pouvoir-os », en optant pour la dialectique entre la théorie et la pratique. Une tâche ardue.
Le recours à l’interdisciplinarité et à la pluridisciplinarité peut être d’une aide certaine pour les profs « politiciens ». Ils pourraient apprendre que la politique est aussi (et surtout) un art de participer, par des actions et des paroles partagées à l’édification collective de la cité dans le respect du différend et de la différence, en acceptant un minimum de consensus sans renoncer au désaccord refondant la nécessité d’un débat toujours-déjà ouvert.
Assumer l’identité kongolaise comme une responsabilité
La pluralité de l’identité humaine peut se vivre comme une responsabilité. Cela dans la mesure où historiquement, elle aurait permis de relier ceux et celles qui, habitant un même espace vital, ont su transformer le destin en une destinée collective. Cette reliance vécue en conscience aide à assumer le présent politique lucidement. Elle confère aux reliés la responsabilité de lutter contre les affres du sort historique conjuré, contre le passé qui ne passe pas. Donc, plurielle, l’identité est aussi une responsabilité partagée au cours des luttes d’émancipation politique et souverainistes. Elle induit une dimension d’un patriotisme résistant et créateur. Elle assume la reliance comme un devoir et une dette sociale ancrés dans des traditions à toujours revisiter tout en protégeant leurs noyaux durs humanisants.
La pluralité de l’identité humaine peut se vivre comme une responsabilité. Cela dans la mesure où historiquement, elle aurait permis de relier ceux et celles qui, habitant un même espace vital, ont su transformer le destin en une destinée collective. Cette reliance vécue en conscience aide à assumer le présent politique lucidement.
A ce point nommé, l’identité humaine s’enrichit culturellement. L’étude, l’éducation et la formation permanente lui viennent souvent à son secours. Sa pluralité et son ouverture à l’interaction, au relationnel et à l’inconnu peuvent participer de sa renaissance et/ou la rendre imprévisible. Elle peut devenir meurtrière ou se laisser assigner.
Les contextes d’adversité et traumatiques peuvent lui être nuisibles. Si elle perd de vue la véritable nature de l’adversité, par exemple, il peut lui devenir difficile de penser aux actions et aux paroles dont a besoin son rebondissement et /ou sa « digenèse ». Traumatisée, elle peut sombrer dans le complexe d’infériorité et/ou de supériorité, dans le refus et/ou le rejet de l’altérité, dans l’hédonisme nihilisant , dans une éternelle recherche du bouc émissaire , etc.
Le rebondissement peut passer par la rupture avec les clichés, les dogmes, les narratifs officialisés et les mots d’ordre. Ceci pourrait exiger beaucoup de courage, une conscience toujours en éveil et une connaissance métapolitique des matrices organisationnelles des contextes d’adversité et traumatiques. La patience et la persévérance devraient accompagner les autres vertus précitées.
Car la résilience nécessaire à la « digenèse », à la renaissance à la pluralité identitaire, a souvent besoin du temps qu’il faut. Celui-ci peut être long.
Une petite conclusion
Les Kongolais(es) ont la responsabilité de renaître afin qu’ils (elles) participent ensemble à la renaissance souveraine de leur pays. Reconsidérer la dimension plurielle de leur identité individuelle et collective est essentiel à ce dur (re)accouchement. Cela marche de pair avec le renouvellement de la pensée et des actions collectives plurielles au coeur de l’Afrique.
Désapprendre ce qu’impose l’hégémonie néolibérale et néocoloniale et réapprendre à partir de l’ouverture à la pensée critique et à la palabre, au « kinzonzi », aux « masambakanyi » et aux traditions millénaires, cela est un ouvrage à toujours remettre sur le métier.
Reconsidérer ce qui est considéré comme étant des « acquis » dans plusieurs disciplines du savoir au Kongo-Kinshasa me semble être une tâche à assumer collectivement et de manière responsable. Désapprendre ce qu’impose l’hégémonie néolibérale et néocoloniale et réapprendre à partir de l’ouverture à la pensée critique et à la palabre, au « kinzonzi », aux « masambakanyi » et aux traditions millénaires, cela est un ouvrage à toujours remettre sur le métier.
La palabre en tant que lieu et moment de la production de la reliance est indispensable dans un pays plongé dans l’adversité et menant des luttes d’émancipation politique et souverainistes.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961