L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte le processus de guerre permanente au Congo, montre comment cette guerre déstructure et détruit nos cœurs, esprits et cultures, expose les limites de l’opposition politique congolaise, explique pourquoi le gouvernement fantôche maintient les congolais désinformés et en appelle aux minorités organisées et agissantes pour qu’elles travaillent davantage en lieu de réflexion et d’action en synergie afin de créer une dynamique qui, petit à petit, pourra mettre le Congo debout.
Sur la guerre perpétuelle au Congo
Nous pouvons avoir l’impression à certains moments que c’est une nouvelle guerre ou qu’il y a des reprises d’hostilité, non ! C’est une même et unique guerre perpétuelle qui se mène chez nous depuis les années 1960. Il s’agit d’une guerre qui a, entre autres, comme objectif de transformer notre pays en une aire désorganisée, balkanisée, dotée d’un état fantôme, et de pouvoir dégrader en profondeur les classes politiques, les classes sociales, les citoyens congolais de façon à les rendre incapables de toute résistance face aux pouvoirs politiques et économiques de l’Occident qui tiennent à s’emparer des matières premières stratégiques du Congo.
Quand vous lisez toute une série d’articles sur ce qui passe dans notre pays, vous vous rendez compte que tout cela participe en profondeur de la stratégie du choc, telle qu’elle est orchestrée par le capitalisme du désastre.
Sur l’abondante bibliographie autour de la guerre au Congo
A croire qu’à un certain moment, nous nous séparons des livres qui ont essayé d’expliquer clairement ce qui est en train de se passe dans notre pays et nous commençons à faire des commentaires libres comme si sur cette guerre permanente, il n’y avait pas une abondante bibliographie que nous devrions consulter de manière permanente. D’où l’importance de la création de lieux de la pensée. Sans ces lieux de la pensée dans lesquelles cette guerre est passée au crible de l’étude et de la critique, nous risquons de ne pas beaucoup avancer.
Sur la dégradation de la situation du pays
La dégradation du pays, la dégradation des classes sociales ne concerne pas que l’Est du pays. C’est tout le pays qui est atteint à partir de l’Est. C’est tout le pays qui est encerclé par les forces d’occupation qui participent de cette stratégie du chaos périphérique qui contribue à la déstructuration des cœurs, des esprits et même de nos cultures. Nous sommes en train de devenir des citoyens fantômes et nous risquons de disparaître comme peuple.
Sur la déstructuration des congolais et de nos cultures
Subir le néocolonialisme et le néolibéralisme pendant 50 ans, être soumis à une guerre de prédation pendant plus de 20 ans, ça déstructure les personnalités. On devient à un certain moment, incapable de réfléchir, posément sur les issues possibles à cette guerre.
Nous sommes dans un pays en guerre permanente, mais vous avez des députés qui vous disent qu’ils sont en vacances. C’est inconcevable. Il y a des pays qui sont suffisamment avancés et même s’ils connaissent des difficultés sérieuses et tombent dans le déclin comme la Belgique, les ministres ne sont pas allés en vacances parce qu’ils ont encore un budget sur lequel ils travaillent. Mais chez nous, un pays en guerre… Bon, heureusement que ce sont des affairistes qui n’ont rien à voir avec la politique telle qu’elle devrait être menée.
Sur les minorités organisées et agissantes
Il y a de plus en plus de compatriotes qui comprennent ce qui se passe réellement, avec qui nous avons, à peu près, les mêmes références. Mais ce sont des minorités qui ont intérêt à pouvoir s’organiser davantage en lieu de réflexion et d’action en synergie pour créer une dynamique qui, petit à petit, pourra mettre le Congo debout.
J’avais cru, il y a un temps que ça arrivait vite, mais c’était sous-estimer les forces auxquelles nous sommes en train de lutter. Mais je remarque aussi que la résistance congolaise est en train de se structurer petit à petit et de résister face à ces forces de la mort contre lesquelles nous sommes en train de lutter.
J’avoue que les grands changements sont moléculaires et ces changements vont advenir quand nos jeunes s’impliqueront davantage dans cette lutte, quand les idées sourcées que nous défendons pourront atteindre nos masses populaires. Et ce travail là doit pouvoir se faire sur le court, moyen et long terme.
Sur le conclave de l’opposition politique
Sur cette rencontre de l’opposition, il y a bien des choses à dire. Je félicite les compatriotes qui ont eu le courage de se rencontrer pour réfléchir ensemble, en essayant de coordonner plus de 70 partis politiques. C’est quelque chose de positif à mettre à leur actif. Mais pendant combien de temps pourront-ils tenir ensemble sans se laisser abuser par les démons de la corruption et de la division ? Wait and see.
Du point de vue de l’analyse de la situation du pays, ils sont allés assez loin. Mais on ne peut être une opposition face à un pouvoir fantôche. C’est comme si à un certain moment, on avalisait ce pouvoir fantôche et on lui donnait de la vie, en s’opposant à lui. Par ailleurs, on ne peut pas en même temps remettre en question la légitimité du pouvoir en place et faire comme si on s’y opposait. C’est un pouvoir qui n’existe pas légitimement.
Sur la question de la méthodologie politique de l’opposition
Il y a d’une part la rencontre de l’opposition politique et d’autre part la rue qui a un discours un peu différent de celui de l’opposition. C’est-à-dire que du point de vue de la méthodologie politique, il y a des choses à revoir.
Comment cette opposition politique pourrait travailler en synergie avec nos populations et rompre avec cette habitude de vouloir chercher à représenter un peuple qui est là et qui devrait aussi prendre la parole, comme cette opposition le fait? C’est-à-dire qu’on devrait de plus en plus passer du mode représentatif au mode participatif quand il y a des questions qui engagent le destin collectif. Il faudrait que les politiques soient de plus en plus l’écoute de la rue et que la rue prenne de plus en plus la parole.
Pour que demain, on ne nous fasse pas croire qu’il suffirait qu’il y ait une alternance entre le pouvoir fantôche actuel et celui à venir pour qu’il y ait démocratie chez nous. Il faut apprendre à travailler avec le peuple pour que celui-ci, majoritairement, à tout moment décide, et non la représentation politique seulement.
Sur les conséquences psychiques et mentales de la guerre
La guerre qui nous est imposée, petit à petit, travaille à la décivilisation et à l’abrutissement de nos populations et classes politiques. A tel point que pour certains acteurs politiques, ce qui importe, c’est leur ventre et l’argent. La guerre a détruit plusieurs d’entre nous qui sont tombés dans la psychopathie ou dans la sociopathie. Ce qui fait qu’il y en a aujourd’hui qui ne jurent que par la souffrance de certaines couches de nos populations. Dès qu’ils ont leurs sous le reste ne les intéresse pas. Ils sont tombés dans l’indifférence. Ainsi, ces fameuses concertations dont il est question : Qui va y aller ? Ces gens qui depuis près de 20 ans n’ont fait que commettre des crimes ? Est-ce qu’on sort indemne de la commission permanente de crimes ? Comment pouvez-vous imaginer des concertations politiques ou sociales avec des malades, avec des psychopathes ou des sociopathes ? On ne peut pas commettre des crimes pendant 20 ans et rester normal.
Sur la nécessaire révolution idéologique
On va de dégradation en dégradation, jusqu’au jour où les minorités organisées et agissantes pourront mieux s’organiser pour reprendre les choses en main avec nos populations. Si demain nous ne nous organisons pas pour que nos populations deviennent des acteurs de premier plan du changement, en profondeur dans ce pays. Rien n’adviendra. Il faut beaucoup plus travailler à cela. Il faut travailler à l’éveil des consciences, à la connaissance de nos populations, des questions essentielles de notre pays aujourd’hui, à faire en sorte que les idées essentielles atteignent les masses. Quand les idées essentielles sur ces questions là auront atteint les mêmes, elles vont devenir une force.
La grande révolution que nous devons pouvoir réaliser de manière consciente est la révolution idéologique. C’est elle qui peut accompagner toutes les autres révolutions.
Si du point de vue idéologique, il n’y a pas d’idées très claires sur le destin collectif de nos populations, nous n’avancerons pas beaucoup. Il est possible d’orchestrer un coup d’Etat, mais un coup d’Etat qui n’est pas fondé sur une révolution idéologique assumée par les populations ne servira à rien.
Sur les populations congolaises et l’information
Kabila ne peut pas scier la branche sur laquelle il est assis. Il sait ou ses conseillers savent, qu’un Congo avec courant et internet à haut débit dans toutes les provinces devient une bombe. Lui, son clan et ses conseillers ont peur de cela.
Nos populations sont tenues à l’écart des informations pouvant les aider effectivement à devenir leurs propres démiurges. C’est cela qui aide ce pouvoir fantôche à tenir. Nos populations convenablement informées par les réseaux sociaux, par un pluralisme d’idées et par des médias alternatifs, deviennent une bombe. Elles vont se mettre debout et chasser le pouvoir usurpateur et fantôche.
Sur le cas Diomi Ndongala
Diomi Ndongala est un prisonnier de la hiérarchie qui donne des ordres. C’est un prisonnier politique voué à la mort parce qu’il a réussi à un certain moment à parler, haut et fort des questions du pays, en recourant à notre histoire. Diomi est un cas de l’inversion des valeurs chez nous. Ceux qui devraient être en prison sont dehors et ceux qui devraient être dehors sont en prison. Voilà pourquoi je suis convaincu que ce pays est géré par des psychopathes et sociopathes.