Source: Le Potentiel. Propos recueillis par Robert Kongo.
Auteur de « Ces tueurs Tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise », Charles Onana, journaliste d’enquête et essayiste français, publie aux éditions Duboiris un nouveau livre sur la RD Congo intitulé « Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent ». Ce spécialiste des Grands Lacs a accepté de répondre aux questions de notre correspondant en France, Robert Kongo, sur la guerre de l’Est du pays.
« Europe, crimes, et censure au Congo. Les documents qui accusent » est le titre de votre prochain livre sur la RD Congo. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une enquête sur le rôle et l’action de l’Union européenne dans les Grands Lacs depuis dix ans, plus précisément depuis l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila.
Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire ?
J’ai simplement constaté qu’il est difficile de parler des victimes congolaises et du pillage de la RDC en Europe malgré les multiples rapports de l’ONU sur ces sujets. Les médias et même les hauts responsables politiques européens traitent la RDC simplement à travers le prisme des FDLR, des Maï-Maï et en ignorant les véritables forces d’occupation. Parler par exemple, en détail, du rôle du Rwanda et de son action en RDC est manifestement tabou dans les institutions européennes, y compris pour les organisations chargées des droits humains.
J’ai pensé qu’il y avait là une forme de censure qui ne se justifiait pas. Surtout que l’argent dépensé par l’Union européenne pour l’appui à la « démocratie et les droits de l’Homme » dans les Grands Lacs depuis 2002 mérite un questionnement. Il faut donc briser cette loi du silence et c’est dans les archives de l’Union européenne, notamment celles de la Commission et du Conseil que je suis allé chercher des explications.
A quand exactement sa parution ?
Très prochainement !
Vous qui travaillez beaucoup sur la région des Grands Lacs, quelle analyse faites-vous de la situation dans l’Est de la RD Congo ?
L’Est de la RDC est devenue une zone de non droit où seuls les « rebelles » et divers groupes armés font la loi. C’est aussi le point d’entrée du démembrement du Congo. Depuis l’assassinat de Mzee Kabila, personne ne veut admettre que la tragédie que vit le peuple congolais à l’Est est le fait d’une politique délibérée de prédation et d’asservissement dans laquelle des grandes puissances, des multinationales et des groupes mafieux jouent un rôle majeur. Ce n’est d’ailleurs pas le fait du hasard si des efforts constants visent en priorité à museler les journalistes, les organisations des droits humains et la Société civile congolaise. Aucun gouvernement d’un « Etat civilisé » ne peut accepter ce qui se passe à l’Est. C’est ce que me confiait un diplomate européen choqué par le niveau de criminalité et d’atrocités imposé à cette région. Il faut dire qu’il y a d’une part l’agressivité du Rwanda qui cherche à contrôler les richesses et la démographie de l’Est de la RDC et d’autre part le silence troublant des autorités congolaises devant le calvaire des populations de cette région.
Il semble bien qu’un consensus a été organisé pour entériner la violation de la souveraineté du Congo et taire la terreur infligée à ses populations. Ceci est très inquiétant pour l’avenir, car les Congolais ne pourront pas continuer à supporter indéfiniment la façon dont ils sont traités et finiront par se révolter contre l’injustice dont ils sont victimes. Un jour, il faudra bien les écouter. Je crains qu’il soit déjà tard.
Les experts de l’ONU ont clairement désigné le Rwanda comme le principal instigateur de la rébellion dans l’Est de la RD Congo et son soutien au M23 est avéré. Et on peut citer également l’Ouganda. D’après vous, pourquoi les Etats refusent-ils de condamner clairement ces principaux sponsors de l’agression contre la RD Congo ?
J’apporte la réponse à cette question dans le prochain livre. Il faut dire que ceux que vous appelez les « sponsors de l’agression du Congo » sont plutôt des serviteurs d’intérêts très importants. L’impunité dont ils bénéficient depuis les événements de 1994 au Rwanda finira par trouver un terme. Je pense que l’exaspération des Congolais est désormais plus forte que cette impunité et nul ne sait vraiment comment tout cela va se terminer.
Comment expliquez-vous la passivité de la communauté internationale sur ce dossier ? Ne se complait-elle pas dans cette situation ?
Pour l’instant, les grandes puissances et les acteurs qui tirent les ficelles dans cette région en maintenant cette instabilité au Congo ont gagné beaucoup d’argent. Ils ne voient pas pourquoi il faudrait réfléchir à sortir du statu quo puisqu’il est « rentable » depuis dix ans. Ils doivent cependant compter avec la volonté de changement au Rwanda et au Congo. Après avoir soutenu des élections truquées dans les deux pays et encouragé la censure et la criminalisation du pouvoir, trouver une autre « recette » ne sera pas chose facile. Pourtant, les Rwandais comme les Congolais n’ont jamais cessé de proposer des solutions raisonnables pour un retour à la paix, à la stabilité et à la prospérité. Il faut croire que personne, pour l’instant, ne juge utile de les écouter.
Comprenez-vous que le chef du M23, Bosco Ntaganda, soit toujours libre à ce jour, pourtant cet ex-général des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) est recherché par la Cour pénal internationale (CPI) pour crimes de guerre ?
Lorsqu’il a été intégré dans les FARDC, il était déjà un criminel de guerre mais personne n’a estimé nécessaire de l’arrêter ni de le faire juger. Il semble bien qu’il avait son rôle à jouer dans le schéma d’affaiblissement et du pillage du Congo. L’Union européenne a financé cette intégration et la constitution d’une armée de truands. Je doute que tous les services de renseignement des pays européens qui suivaient les actions de Bosco Ntaganda ou de son chef Laurent Nkunda ignoraient qui ils étaient. Si la mobilisation pour son arrestation comme d’ailleurs celle du retraité Laurent Nkunda demeure sans effet, c’est qu’il y a bien d’autres raisons non avouables à cette situation.
Pensez-vous que certaines autorités, politiques, civiles ou militaires, de la RD Congo soient de mèche avec celles du Rwanda dans ce dossier de la guerre à l’Est ?
C’est plus que probable. J’en apporterai des preuves dans le prochain livre.
Le déploiement d’une force internationale neutre dans l’Est de la RD Congo vous inspire-t-il confiance ?
Absolument pas, tant que les autorités congolaises ne se montrent pas combatives face aux massacres des populations, au pillage du pays et à l’ingérence rwandaise ! Pourquoi voudrait-on la présence d’une force internationale neutre à l’intérieur d’un Etat souverain ? Est-ce à dire qu’il y aurait un doute sur la violation de la souveraineté de la RDC où qu’il n’y a pas assez de preuves sur l’occupation du Congo par les troupes étrangères, en l’occurrence celles du Rwanda ?
Après dix ans de présence en RD Congo, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo (Monusco) n’a atteint aucun résultat tangible. Selon vous, les 18 000 Casques bleus basés dans ce pays ont encore un rôle à y jouer ?
Je n’en sais rien mais je sais au moins que lorsque la Monuc avait identifié la présence effective des troupes rwandaises, je parle de l’armée rwandaise, Kigali avait tancé la Monuc et menacé les casques bleus de l’ONU. Personne n’a exigé la pondération au régime monoethnique du Rwanda. Au contraire, ce sont les Casques bleus qui ont été contraints au silence malgré les preuves qu’ils détenaient. Je crois qu’avant de reprendre une initiative concernant l’envoi de 18000 hommes, un bilan objectif de l’action de la Monusco et de la Monuc serait un préalable indispensable.
Comme bon nombre d’observateurs, pensez-vous que la balkanisation de la RD Congo est en marche ?
Oui, elle a commencé après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila. Les Congolais ont résisté malgré leurs maigres moyens ; ils continuent de résister face à des prédateurs relativement déterminés et très fortement soutenus. Cependant, cette situation est réversible, c’est-à-dire que les Congolais sont capables d’empêcher que ce processus de balkanisation aille jusqu’à son terme.
Le problème de la RD Congo ne serait-il pas le manque d’une armée forte et républicaine, une situation voulue et entretenue par les ennemis intérieurs et extérieurs de ce pays tant convoité à cause de ses richesses ?
Oui. Votre question est essentielle car jusqu’à ce jour, malgré le financement colossal apporté par l’Union Européenne à la constitution d’une armée nationale « intégrée », aucun résultat sérieux n’a été obtenu. Les autorités congolaises éprouvent-elles le besoin de se munir d’une armée forte et patriote ? Ont-elles la capacité et la volonté de bouter les envahisseurs hors de leur territoire ? Je crois que chaque Congolais peut répondre à ces questions en observant simplement les faits depuis 2001.
Selon vous, comment mettre un terme à cette guerre ? Croyez-vous à la paix dans la région des Grands Lacs ?
Il sera possible de mettre un terme à cette guerre dès lors où les Congolais vont eux-mêmes désigner les coupables et envisager par tous les moyens de les mettre hors d’état de nuire. La seconde étape est de convaincre ceux qui soutiennent les envahisseurs du Congo que la paix est indispensable pour la stabilité de la région, qu’aucune démocratie ni aucun développement durable ne sont envisageables tant que l’obsession de la déstabilisation du Congo perdure. Il faut aussi savoir que ceux qui font des affaires en période de guerre et d’instabilité ne rêvent que d’une perpétuation du conflit en RDC. Il s’agit donc d’une bataille féroce entre les partisans du respect du droit international et les tenants de la politique du chaos.