Par Jean-Pierre Mbelu
Dans une émission télévisée à Kinshasa, le 14 juin 2016, Justin Bitakwira a fustigé le comportement corrompu de certains de ses collègues députés de l’opposition. Dans cet article, nous tentons une relecture de la dénonciation de Bitakwira en partant de certaines textes et de notre histoire.
Quand le journaliste d’investigation Charles Onana publie un livre sur la RDC, plusieurs de nos compatriotes sont enthousiastes. Ils se rendent à la présentation dudit livre et l’achètent. Hélas ! Ils arrivent que cet enthousiasme fasse long feu avant une autre publication ! Quand Charles Onana a publié « Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolais » (Duboiris, 2009), il a essayé, le plus possible, de mettre sur le devant de la scène les acteurs et alliés pléniers tapis derrière « ces tueurs tutsis ». et leurs complices agissant à partir du sol congolais. Il a aussi rappelé que la guerre menée contre la RDC était « une vieille nouvelle bataille prenant chaque fois une apparence nouvelle » depuis l’assassinat du premier Ministre Congolais, Patrice Emery Lumumba, en 1961. (Même si Charles Onana n’arrive pas à établir le lien entre la tragédie congolaise et le capitalisme du désastre !)
L’avantage que présente ce livre est entre autres lié au fait qu’il contient certains documents historiques détaillant la stratégie mise en place par « ces tueurs tutsi » minoritaires pour avoir et conserver « le pouvoir » dans la sous-région des Grands-Lacs africains depuis les années 1960. Dans un plan détaillé en 18 points, les ancêtres de « ces tueurs tutsi » notaient ceci : « 1. Tous les Tutsi doivent savoir que les Hutus sont apparentés aux Congolais et que notre plan de colonisation doit s’appliquer aux deux groupes ; 2. Tous les Tutsi doivent connaître parfaitement les méthodes utilisées avec succès pour conquérir le Rwanda et les appliquer aux Congolais et aux autres groupes ethniques qui les entourent. Il faut procéder progressivement, avec méthode, et ne pas verser dans la précipitation, ce qui pourrait évoquer le spectre du Grand Conquérant Rwabugiri, notre Héro national ; » Et depuis les années 1990, l’assimilation des Hutus aux Congolais par « ces tueurs tutsi » se porte à merveille. Et ils avaient décidé que «4. tous les intellectuels tutsi doivent se lier d’amitié avec l’administration congolaise et se familiariser avec la machine bureaucratique, afin de se préparer ainsi à une prise de pouvoir dans laquelle ils devront jouer un rôle et, en fin de compte, diriger l’administration ; » La création de l’AFDL, celle de différents « RCD », du CNDP, du PPRD, du M23 et l’infiltration de différentes institutions de la RDC par « ces amis tutsi » ont facilité la réalisation de ce quatrième point, sans précipitation. (Toutes ces créatures du FPR et de son allié ougandais n’ont pas été le fruit de tous les Tutsi. Non. Certains de ceux qui ont participé à leur création en tant que membres du FPR ont fini par claquer la porte et décrié la politique de Paul Kagame. Tous les tutsi ne sont pas à mettre dans le même sac. Aussi, cette ethnicisation de la politique est-elle nocive pour l’Afrique qui a besoin de tous ses « dignes » enfants pour devenir une force sur l’échiquier mondial.)
Et en RDC, avec la prochaine décentralisation, il est fort probable que le troisième point de ce plan se réalise officiellement. Il stipule : « Tous les intellectuels tutsi doivent avoir pour objectif premier le contrôle de davantage de districts car tout le monde est en effet conscient de l’importance qu’il y a à contrôler les centres locaux de l’autorité politique afin de répandre des idées politiques auprès de populaces ignares ; » Décentraliser un pays où une bonne partie de la population est tenues dans une ignorance crasse des enjeux de la guerre de basse intensité qui nous est menée par les parrains de « ces tueurs tutsis » et leurs multinationales donne à penser.
Quand, le 14 juin à Kinshasa Justin Bitakwira député de l’UNC, accuse certains de ses collègues de l’opposition d’être « au service de la Majorité présidentielle », il apporte une preuve confirmant la réalisation lente, progressive et patiente dudit plan. Ces collègues de Bitakwira se mettent au service de « la Majorité présidentielle » après avoir été corrompus. En plus de points du plan susmentionnés, il y a le 18ème qui stipule ceci : « Nous devons lutter contre les Wanandes et les Hutus (…). Offrons-leur de l’alcool et de l’argent. Ne regardons pas ce que nous dépensons car nous avons suffisamment d’argent. » Il ne serait pas exagéré d’affirmer que les postes occupés par les ex-membres du FPR et leurs alliés en RDC leur ont permis d’amasser des sommes colossales d’argent. Certains d’entre eux seraient même devenus milliardaires ! Corrompre ne leur coûte pas grand-chose, au regard de la vénalité de certains de nos hommes et femmes politiques.
Néanmoins, ce que le député Justin Bitakwira semble dévoiler est un secret de polichinelle. La guerre de basse intensité livrée contre la RDC est aussi (et surtout) une guerre de prédation conduite par un réseau d’élite transnational. Les différents rapports des experts de l’ONU sont clairs sur ce point. Le rapport Kassem de 2002 (S/2002/I 146) traite effectivement de ce réseau et du Bureau Congo ayant permis au Rwanda de s’enrichir illicitement en pillant les matières premières de la RDC. Disons que Justin Bitakwira fait comme s’il n’opérait pas au sein d’un système foncièrement corrompu et dressé contre nos populations appréhendées comme « des populaces ignares ».
Ce système doit (aussi) sa persistance et sa résistance à ses parrains Occidentaux qui, en 2006, ont décidé de « le démocratiser » en organisant des élections pièges à cons. C’est-à-dire des passages par les urnes des « populaces ignares » pour confirmer aux postes satellites les criminels présumés de guerre, des criminels économiques et des criminels contre l’humanité au service des intérêts du capitalisme du désastre. A ce point nommé, un autre livre de Charles Onana (« Europe, crimes et censure au Congo ») est venu livrer des documents accusant l’Occident d’avoir eu recours à ce réseau mafieux d’élite pour préserver ses intérêts économiques dans la sous-région des Grands Lacs africains.
Certains d’entre nous semblent être payés pour soutenir que « ce financement des gangsters les plus éhontés » pour déstructurer nos peuples et nos cultures, pour provoquer de « la destruction créatrice » du « nouveau désordre africain et mondial » peut être dénommé « rapport de force », défavorable à notre pays. Ils évitent les mots tels que vol
[1] et destruction méchante (supposés) punis par la loi des pays dits de « vieille démocratie ».
Mais ceux qui ont encore le
sens de l’humain, au Nord comme au Sud du monde ,s’en inquiètent. « En ce moment, écrit
Andre VLTCHEK, il y a deux génocides horribles qui se déroulent autour des ressources naturelles. L’un se déroule dans la République Démocratique du Congo pour le coltan, les diamants, l’uranium et l’or. Le Rwanda et l’Ouganda sont en train de piller le Congo pour le compte des entreprises et des gouvernements occidentaux. Entre 6 et 10 millions de personnes sont déjà morts. Il s’agit du plus gros bain de sang depuis la terreur américaine en Asie du Sud-Est. Il s’agit d’une affaire purement occidentale ! J’ai travaillé 4 ans sur le sujet et le film Rwanda Gambit vient d’être achevé. Je connais donc bien le sujet.
[2]»
En attendant la sortie officielle de Rwanda Gambit, nous soutenons, nous, que cette affaire est plus qu’occidentale. Elle est transnationale et profites des brèches ouvertes par les élites compradores.
A travers la dénonciation de Justin Bitakwira, c’est tout un ensemble de compatriotes qui est en train d’expérimenter les méthodes utilisées par « la Majorité présidentielle » pour que ses membres demeurent ad vitam aeternam les satellites des acteurs et alliés pléniers sur le déclin à la tête de la RDC : la corruption, l’enrichissement illicite, le maintien d’un semblant d’Etat et d’un secteur public de façade. Ces compatriotes expérimentent aussi la difficulté qu’il y a à changé ledit système « de l’intérieur ». Même s’il peut se faire que « ces nègres de service » n’appliquent pas à la lettre le plan susmentionné, ils en ont maîtrisé l’esprit avec l’aide de leurs parrains ; avec ces derniers, ils partagent « la culture de l’égoïsme » et de la cupidité que produit le capitalisme du désastre.
C’est dans ce contexte d’ « une vieille nouvelle bataille qui prend chaque fois une apparence différente » depuis l’assassinat de Lumumba que semble se préparer la suite des « élections pièges à cons » de 2011 et celles bidon de 2016. Tel est le contexte dans lequel un livre annonçant déjà la révision de la constitution vient d’être publié par « une éminence grise » de la Kabilie, Evariste Boshab
[3].
Sans un travail en profondeur de fédération des énergies et forces vives congolaises, sans une planification lucide des actions de changement de paradigme politique et de système, à court, moyen et long terme, ceux d’entre nous qui croient en un miracle en 2016 risquent de n’avoir que leurs yeux pour pleurer. Un travail d’éducation citoyenne devrait être mené à partir des « catacombes de nos populations » de telle façon que certaines idées induisant un changement anthropologique (c’est-à-dire à la fois culturel, politique, social, économique, spirituel et environnemental) s’emparent de nos masses populaires. « Une idée, disait Karl Marx, devient une force lorsqu’elle s’empare des masses. »
Comment faudrait-il procéder ?
Il appartiendra aux fédérations des énergies et forces vives congolaises, aux minorités organisées et agissantes de déterminer, par l’étude, le partage et le débat assumant le côté positif du conflit les modalités de ce travail éducatif là où il n’a pas encore commencé.
Se fédérer à base de notre histoire, des actions et des idées collectives que nous avons sur le Congo de demain ; nous organiser avec les plus jeunes et « les amis humanistes » en étant prêts à passer le relais en assumant « un martyre conscient »; coopérer et regarder vers les vieilles civilisations respectueuses de la vie et de la souveraineté des autres peuples… sont autant de pistes à exploiter et à re-exploiter pour un autre Congo fondé sur des hommes et femmes dignes et des institutions justes.
Mbelu Babanya Kabudi
[1] Dans
Bush, le cyclone (Bruxelles, 2005), Michel Collon va tout droit au but quand il répond à cette question : « Pourquoi le Sud est-il si pauvre et le Nord si riche » ? Il dit : « Nous (Occidentaux) –ou plutôt certains d’entre nous- sommes des voleurs ; c’est pour ça que nous sommes riches ; voilà ce qu’on ne peut absolument pas dire dans les médias. » (p.16)
[3] E. BOSHAB,
Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation, Ed. Larcier, 2013.