Par Jean-Pierre Mbelu
Une pensée de lutte examine les mots et les expressions qu’elle utilise. Elle les questionne. Au besoin, elle les déconstruit. Elle porte la conviction que l’usage des mots n’est pas innocent. Les mots et les expressions du langage véhiculent des idées et des idéologies. Ils peuvent « manger » les cœurs et les esprits au point de rendre les mains et les pieds esclaves des idées et des idéologies « sorcières ».
Au Congo-Kinshasa, plus de 500 partis (dits) politiques et associations citoyennes ne jurent que par »l’alternance au pouvoir » et »la bonne gouvernance ». Ce pays serait l’unique au monde à avoir plus de 500 idéologies unies dans la quête de »l’alternance au pouvoir » et le désir de »la bonne gouvernance ». Ils sont tous, même s’ils ne le disent pas à leurs tambourinaires, à leurs thuriféraires et à leurs laudateurs, de »faux » héritiers du discours sur »la fin de l’histoire » et le triomphe de »la démocratie libérale et du fondamentalisme du marché ».
Le Congo-Kinshasa et les faux héritiers…
Ils sont de »faux » héritiers dans la mesure où ils partagent, de manière opportuniste, »la victoire supposée » du fondamentalisme du marché sur son rival »communiste ». Ils s’approprient un discours issu des luttes qu’ils n’ont pas menées et dont ils n’habitent pas l’histoire. Ce sont des »basukuidi » ; ils récoltent là où, historiquement et intellectuellement, ils n’ont pas semé. L’usage qu’ils font de ce »faux » héritage est nuisible localement. Ils tiennent à plaire à ceux qui, à la suite des disciples de Milton Friedman et Von Hayek, ont soutenu qu’il n’y a pas d’alternative au Consensus de Washington et à son programme néolibéral. Ces deux grands disciples sont Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Et c’est cette dernière qui a soutenu que »there is no alternative » (TINA) (« there is no alternative » to neoliberalism—that free markets, free trade, and capitalist globalisation are the best or the only way for modern societies to develop. »)
Sans se l’avouer, les 500 partis(dits) politiques congolais sont »les disciples » de Margaret Thatcher. Pour eux, il n’ y a pas d’autre voie possible pour développer la société congolaise que »l’ American way of life ». Elle est »the best or the only way ». Ces 500 partis(dits) politiques acceptent qu’il n’y a pas d’alternative à cette »voie ». Ils ne créent pas »leurs propres voies ». Ils veulent reconduire »une voie » d’autrui sans l’avoir pensée.
Sans se l’avouer, les 500 partis (dits) politiques congolais sont « les disciples » de Margaret Thatcher. Pour eux, il n’ y a pas d’autre voie possible pour développer la société congolaise que « l’ American way of life ».
Ailleurs, en Europe, l’engagement sur cette »voie » a fini, dans une large mesure, par faire le deuil de la division des partis entre »la gauche » et »la droite ». Et »la seule voie de gauche »moderne » consisterait désormais à instaurer la rigueur budgétaire et monétaire, la flexibilité du travail, la réduction des aides sociales pour »responsabiliser » les chômeurs, la privatisation des services publics-bref, les réformes libérales habituellement inscrites à l’agenda des gouvernements de droite. » (J. GENEREUX, La dissociété, Paris, Seuil, 2005, p.12).
La similitude de politique entre »la gauche » et »la droite » a conduit au nom changement de politique de gouvernement, à »l’alternance sans alternative politique » en Europe. Empruntant »l’American way of life », l’Europe devenait, vers les années 80-90, »un bon élève » du »Consensus de Washington ». Elle pouvait, dans plusieurs de ses pays, pratiquer »la médiocrité politique américaine » (et »la bonne gouvernance »).
En effet, »la bonne gouvernance » est l’application de l’un des principes du »Consensus de Washington ». »Ses principes fondateurs visent à obtenir, le plus rapidement possible, la liquidation de toute instance de régulation, étatique ou non, la libéralisation la plus totale des marchés (des biens, des capitaux, des services, etc.) et l’instauration à terme d’une stateless global governance, d’un marché mondial unifié et entièrement autorégulé. » ( J. ZIGLER, Retournez les fusils ! Choisir son camp, Paris, Seuil, 2014, p. 74)
La dépolitisation et la soumission à la médiocrité
»L’alternance » (au pouvoir) et la » bonne gouvernance » dont parlent les 500 partis (dits) politiques congolais sont les expressions de la dépolitisation dont souffre le Congo-Kinshasa depuis l’assassinat de Lumumba et »la guerre de l’AFDL » jusqu’à ce jour. Elles encensent »le fatalisme des lois économiques » dans une »néo-colonie occidentale ». Or, »le fatalisme des lois économiques masque en réalité une politique, mais tout à fait paradoxale, puisqu’il s’agit d’une politique de dépolitisation ; une politique qui vise à conférer une emprise fatale aux forces économiques en les libérant de tout contrôle et de toute contrainte en même temps qu’à obtenir la soumission des gouvernements et des citoyens aux forces économiques et sociales ainsi libérées. » Bourdieu cité par J. ZIEGLER, o. c., p.76)
Les 500 partis (dits) politiques congolais nageant dans les eaux troubles de la dépolitisation et de la soumission à »la médiocrité politique » prétendent, donc, se préparer aux élections et/ou à la transition sans »Joseph Kabila », poings et pieds liés. Du point de vue idéologique, ils sont disposés à vendre le Congo-Kinshasa aux fondamentalistes du marché pour avoir refusé de penser les mots et les expressions dont ils colorent »leurs projets de société » et »leurs programmes de gouvernement ».
Les 500 partis (dits) politiques congolais nageant dans les eaux troubles de la dépolitisation et de la soumission à »la médiocrité politique » prétendent, donc, se préparer aux élections et/ou à la transition sans »Joseph Kabila », poings et pieds liés.
Ils refusent de voir que les initiateurs du »Consensus de Washington » prônent dorénavant le patriotisme, le protectionnisme économiques et le souverainisme. Ils ne voient pas que Trump impose des taxes à la Chine et à l’Europe. Et que »le marché global autorégulé est un fiasco ». Ils ne voient pas. Ils ne voient pas ce qui vient de se passer en Italie. Leur discours public ne change pas. Pourtant, ils sont applaudis. Terrible !
Tout débat sur »l’alternance au pouvoir(-os) » et sur »la bonne gouvernance » est ignoré dans les milieux de leurs thuriféraires, de leurs tambourinaires et de leurs laudateurs. Prêts à servir, en »bons médiocres », les entreprises trans et multinationales, ces 500 partis (dits) politiques promettent monts et merveilles à leurs applaudisseurs. Le refus de savoir et la volonté d’ignorer l’histoire des idées et des idéologies constituent un handicap sérieux à l’avènement d’un autre Congo-Kinshasa.
Dieu merci ! »Le petit reste » ne dort ni ne sommeille !
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961