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1990-2016 : Pourquoi le Congo est-il toujours un pays à démocratiser….

1990-2016 : Pourquoi le Congo est-il toujours un pays à démocratiser….

1990-2016 : Pourquoi le Congo est-il toujours un pays à démocratiser…. 1024 578 Ingeta

L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu dresse le bilan de l’ouverture du Congo à la démocratisation lancée en 1990 avec le discours de 24 avril de Mobutu, expose le contexte international dans lequel ce processus s’est déroulé, montre comment le système néolibéral et capitaliste travaille de pair pour briser la résistance congolaise et expliqué pourquoi nous avons besoin de rompre avec ce système pour que les congolais deviennent les sujets de leur histoire.

Sur le bilan de la démocratisation

Le bilan est flou. Quand Mobutu, sous les pressions intérieures et extérieures, estime qu’il est temps que le pays s’ouvre à la démocratisation, il pense que ce pays peut fonctionner avec 3 partis politiques. Or cette ouverture, au lieu qu’elle mette au monde un pluralisme politique, elle a produit un multipartisme inutile. Ensuite, à travers ces centaines de partis politiques que le Congo connaît, il y a une reproduction du mobutisme. C’est-à-dire une exacerbation du culte de la personnalité entretenu par les différents présidents de ces partis politiques. Et puis, il ne faut pas oublier que Mobutu fut une marionnette. Une marionnette servant les intérêts extérieurs. Enfin, le mobutisme s’est reproduit à travers les dinosaures qui sont maintenant les instigateurs ou ceux qui entretiennent le système kabiliste.
L’espace politique aujourd’hui est occupé par les vieux dinosaures et les nouveaux prédateurs, et les masses populaires en sont exclus.

Sur le contexte international du 24 avril 1990

Mobutu n’avait pas le pouvoir, il était téléguidé de l’extérieur. Pour mieux comprendre, pourquoi quand il dit pouvoir ouvrir le pays à la démocratisation, ça ne marche pas, c’est parce que, entre autres, ceux qui l’ont téléguidé, de l’extérieur, travaillaient à faire du monde un marché néolibéral. Leur préoccupation n’était pas d’ouvrir les Etats-nations à la démocratie. Leur préoccupation était de faire du monde un grand marché néolibéral qu’ils domineraient.
Quand nous analysons les années 1990 chez nous, nous ne pouvons pas mettre en parenthèses des textes comme « La fin de l’histoire » de Fukuyama et la fin de l’URSS en 1991. Et quand ils disent que c’est la fin de l’histoire, les anglo-saxons ne voudraient pas laisser une partie de l’Afrique au pré carré franco-belge. Quand François Mitterrand dit, désormais l’aide accordée aux pays africains sera liée à leur engagement dans un processus de démocratisation, il fait comme s’il ne savait pas qu’il y a une guerre qui est menée contre la France et le Belgique au cœur de l’Afrique par les Etats-Unis et leurs alliés. Cette guerre qui continue aujourd’hui est liée à la réappropriation des matières premières stratégiques du Congo aux dépens des européens. Et c’est cette guerre qui a torpillé le peu d’effort que les congolais croyaient déployer pour faire de leur pays un Etat démocratique.

Sur le système néolibéral et le capitalisme du désastre.

Le système néolibéral auquel le Congo s’est ouvert vers les années 1980 et auquel il s’est davantage ouvert avec la guerre de 1996 a comme fondement la guerre de tous contre tous. Et le capitalisme du désastre fonctionne sur fond de la répression. Pourquoi ? Le peuple doit être brimé, réprimé pour qu’il n’ait pas le temps de pouvoir, par exemple, s’organiser et réclamer ses droits sociaux, politiques, économiques. La répression est ainsi entretenue pour abrutir et dégrader le peuple, et pour permettre aux multinationales de faire des profits mirobolants en exploitant ce même peuple. Or si vous laissez les masses populaires avec les élites organiques et structurantes s’organiser, elles vont renverser les rapports de force en leur faveur. D’où il est important de pouvoir entretenir en permanence, la répression et l’oppression pour pouvoir annihiler ces masses populaires et briser leur capacité de résistance et d’organisation. Voilà pourquoi le capitalisme du désastre marche de pair avec le système policier pour mettre fin à toute velléité d’organisation des masses populaires. Il n’y aura de véritable démocratie au Congo demain que si nous cassons avec ce système de banditisme et de répression organisé contre les populations congolaises.

Sur ce qui a manqué lors de la conférence nationale souveraine

Le Congo a raté la transmutation d’un parti Etat en partis de masse. Supposons que les masses populaires qui avaient adhéré au MPR se soient transformées en masses critiques en se fondant sur ce principe de « servir, oui, se servir, non ! », nous serions très avancés. Il y aurait eu un va et vient permanent, entre les élites politiques et les masses populaires. Mais le système a évolué de façon qu’il y ait cassure entre ceux qui sont allés s’enfermer à la conférence nationale souveraine, et les masses populaires qui les avaient délégués à travers les mémorandums qui avaient été constitués.
Il est possible de pouvoir repartir à la base pour pouvoir réanimer ces masses populaires et favoriser leur incursion dans l’arène politique afin qu’ensemble, nous puissions devenir les sujets de notre histoire. Que nous puissions lutter pour la souveraineté de notre pays, que nous puissions constituer ensemble un grand mouvement de résistance contre le néolibéralisme.
Mais, cette histoire ne pouvait pas non plus marcher pourquoi ? Parce que Mobutu n’était qu’une marionnette. Vous avez beau faire des résolutions, si ces résolutions vont à l’encontre des intérêts de ceux qui l’avaient mis à cet endroit là, il ne pouvait pas les mettre en pratique. Si Mobutu et ceux qui avaient participé à al Conférence nationale souveraine (CNS) étaient réellement les représentants souverains d’un peuple, ils pouvaient mettre ces résolutions en pratique. Et la même chose s’est reproduite récemment avec les concertations nationales. Il y a eu des résolutions qui n’ont pas pu être mises en pratique. Tout cela parce que nous n’avons pas affaire à des acteurs de l’histoire congolaise, nous avons affaire à des proxys, marionnettes téléguidées de l’extérieur.

Sur les résultats de la CNS

La conférence nationale souveraine a constitué un moment exceptionnel de la vie politique du pays dont nous n’avons pas su en tirer les leçons. Mais pourquoi connaître un moment exceptionnel comme la CNS et ne pas répéter cela tous les 5 ans par exemple ? Cela aurait vraiment un moment exceptionnel si par la suite, tous les congolais se seraient rencontrés tous les 5 ans pour évaluer. A quoi cela a-t-il servi d’avoir un moment historique si les résultats n’ont pas suivi ? Cela trahit aussi notre incapacité organisationnelle et le fait que souvent, nous sommes mus par l’émotion.

Sur le 24 avril 2016 à Kinshasa et la classe politique congolaise

J’ai été peiné de voir comment cette journée a été célébrée. J’aurai souhaité qu’il y ait eu un moment d’évaluation, des tables rondes qui évaluent la marche en déployant cet effort d’identification des ennemis intérieures et extérieurs du Congo et de la souveraineté congolaise. Il n’y a rien eu.
L’opposition est majoritairement composée de kabilistes, le kabilisme étant né avec la guerre de l’afdl. C’est donc le kabilisme qui risque de se reproduire, aux dépens de nos populations. Parce qu’il n’y a pas assez d’efforts déployés pour rompre avec le système de l’abrutissement et de dégradation de nos masses populaires, avec le système qui a engendré la guerre. On parle de Kabila, on parle de X ou Y, mais on ne parle pas des questions essentielles. Liées à la souveraineté et à la protection des terres du Congo.
Convoquer les masses populaires et les livrer à la vindicte de la police quand on sait qu’on va se retrouver demain ou après-demain dans un gouvernement d’union nationale, cela me pousse à croire que cette classe politique qui est en train de reproduire le mobutisme et le kabilisme est composé de vampires et de sorciers. Ce n’est pas une classe politique à même d’amener les masses populaires à devenir les sujets de leur histoire.

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