Par Jean-Pierre Mbelu
Un autre temps commence où, depuis l’événement de Bandoung, il sera difficile de se livrer à la vie de l’intelligence sans repenser en profondeur toutes les composantes de la crise qui affecte la position de l’Occident dans le monde et l’histoire.» J.-M. ELA
Des jeunes kongolais soucieux d’un gouvernement différent de leur pays, essaient de se former et de s’informer auprès de certaines figures de proue de la philosophie politique et du journalisme d’investigation. Voulant participer à la renaissance[1] d’un Kongo souverain, fondé sur le patriotisme et la volonté de puissance, ils sont mus par le désir d’apprendre. Ce choix pourrait leur éviter de se livrer à l’amateurisme dans un monde de plus en plus complexe et accueillant la multipolarité naissante comme une « orientation naturelle » de demain.
Ce choix d’échanger, de débattre avec « les grands » pourrait les préserver du bricolage politique, de l’amateurisme et de la répétition des slogans destinés à transformer magiquement leur pays. « Savoir est un pouvoir » et cela commence par savoir s’informer, comme dirait Michel Collon.
Volonté de puissance et certaines figures de « la puissance politique »
Ils ne peuvent pas, par exemple, parler de « la volonté de puissance » pour leur pays, sans un avoir lu, un tout petit peu le philosophe allemand Nietzsche. Ou le sociologue français Bertrand Badie qui a écrit « L’impuissance de la puissance. Essais sur les nouvelles relations internationales » (Paris, Fayard, 2004) et « Quand le Sud réinvente le monde. Essai sur la puissance de la faiblesse » (Paris, La Découverte, 2018). Lire sur « la puissance » pourrait les aider à enrichir leur concept de « la volonté de puissance » et à comprendre les logiques du pouvoir des « grandes puissances' » d’hier et d’aujourd’hui , les résistances qu’elles rencontrent ainsi que les dangers qui les menacent au quotidien. Dans cet ordre d’idées, ils pourraient être poussés à questionner l’émergence de certaines figures de »la puissance politique » . Poutine et Chavez, par exemple.
Encourager ces jeunes kongolais ayant choisi de se former, de s’informer et d’échanger avec les figures de proue de la philosophie politique et du journalisme d’investigation est une responsabilité citoyenne.
Michel Eltchaninoff, en écrivant un essai intitulé « Dans la tête de Poutine » (Actes Sud, 2015), facilite un peu la tâche. Il présente un Poutine amoureux de livres et de connaissance offrant aux hauts fonctionnaires, aux gouverneurs des régions et aux cadres du parti Russie unie, des cadeaux uniques en leur genre : des ouvrages de philosophie. Cet essai jette suffisamment de lumière sur l’homme, critiquable, qui a sauvé la Russie de sa descente aux enfers et l’a poussée à approfondir et à mettre en pratique les idées de l’un des Premiers ministres russes, Evgueni Primakov, en participant activement à la création du noyau originaire des BRICS constitué de la Russie, de l’Iran et de la Chine (le RIC). Lui, Primakov, en écrivant « Le monde après le 11 septembre et la guerre en Irak » (Paris, Presses de la Renaissance, 2003), avait su « voir la forêt derrière les arbres », « le passage d’un système bipolaire à un système multipolaire » (p. 211)
Michel Collon, lui, en publiant en 2009, « Les 7 péchés d’Hugo Chavez » semblait rapprocher le destin de son pays, le Venezuela, de celui du pays de Lumumba. Pour lui, Lumumba est à classifier parmi les « Chavez » africains assassinés avant qu’il n’ait eu le temps de se consacrer à l’émancipation politique de son pays. Dans ce livre, Michel Collon fait allusion à la guerre de basse intensité imposée au Kongo-Kinshasa par des proxies interposés.Il propose aux pays du Sud Global de rompre avec les assassinats à répétition de leurs leaders.
A son avis, ces pays ont besoin d’ un système alternatif à celui du »capitalisme du désastre et de la finitude » sous trois conditions : « Des mouvements de masse pour résister au pillage des puissances du Nord. Un leader proposant un programme valable. Une solidarité entre les pays africains (…). » (p.404) Sa conclusion fait du choix de l’alternative un droit et offre plusieurs propositions intéressantes pour le devenir collectif des pays du Sud. Echanger avec Michel Collon vaut la peine.
Michel Collon et une petite bibliothèque
Les jeunes kongolais ayant choisi d’échanger avec Michel Collon auraient intérêt à approfondir sa pensée en se constituant une bonne petite bibliothèque. Avec Investig’Action, Michel Collon a publié plusieurs livres pouvant faciliter la compréhension du monde d’hier et d’aujourd’hui et de se projeter dans l’avenir. L’écouter une fois. C’est bon. Mais ce n’est pas suffisant. Le lire et le relire, cela éviterait aux jeunes kongolais de se laisser berner par les médiamensonges et les pousserait à une approche avertie des jeux et des enjeux géopolitiques, géostratégiques, géoéconomiques et technologiques du devenir mondial.
Se former, s’informer, échanger avec les figures de proue de la philosophie et du journalisme d’investigation pourrait, petit à petit, pousser les jeunes kongolais à comprendre qu’il y a un honneur à penser et la science acquise en toute conscience et en connaissance de cause est indispensable au patriotisme , à la volonté de puissance et au rendez-vous du donner et du recevoir dans le monde multipolaire en gestation
Il a écrit, co-écrit et continue d’écrire. Il publie aussi des auteurs dont la pertinence des écrits est louable. Citons-en trois à titre illustratif :
– R. CUSTERS, Chasseurs de matières premières, Bruxelles, Investig’Action, 2013 (Ce livre a plusieurs pages consacrées au pillage de matières premières kongolaises.)
– L.DE WITTE, L’Ascension de Mobutu. Comment la Belgique et les USA ont installé une dictature, Bruxelles, Investi’Action, 2017. (La lecture de ce livre est importante pour les jeunes. Ils se rendront compte qu’il y a, au Kongo-Kinshasa, un passé qui ne passe pas.)
– R. CHARVIN, La peur, arme politique. Gouverner, c’est faire peur… et rassurer, Bruxelles, Investig’Action, 2019.
Oui. Michel Collon a écrit, il a co-écrit et il continue d’écrire.
Citons ces quelques livres :
M.COLLON, Bush. Le cyclone, Bruxelles, Oser dire, 2005.
M.COLLON, Libye, Otan et médiamensonges. Manuel de contre-propagande, Bruxelles, Investig’Action, 2011.
M.COLLON et G. LALIEU, La stratégie du chaos. Impérialisme et islam. Entretiens avec Mohamed Hassan, Bruxelles, Investig’Action, 2011.
M.COLLON et G. LALIEU, Le monde selon Trump. Entretiens avec Mohamed Hassan, Henri Houben, Bruno Drweski, Majed Nehmé, John Catalinotto, Saïd Bouamama, Bruxelles, Investig’Action, 2017.
Conclusion : Il y a un honneur à penser
Encourager ces jeunes kongolais ayant choisi de se former, de s’informer et d’échanger avec les figures de proue de la philosophie politique et du journalisme d’investigation est une responsabilité citoyenne. Cela dans la mesure où la crise dont souffre le Kongo-Kinshasa est profondément une crise de la culture transformant le pays de Lumumba en « un monde sans esprit »[2], renonçant tragiquement aux humanités, aux vertus du bomoto et s’engouffrant dans « la fabrique des servitudes »[3] plurielles.
Echanger, débattre, lire en permanence, avoir une petite bibliothèque collective, diversifier les bonnes sources , cela nourrit la lucidité et la faculté de juger.
De temps en temps, l’un ou l’autre député kongolais se servant de son média en ligne invite les jeunes à étudier des métiers rendant leur employabilité rapide et facile en vue de gagner de l’argent. Sans se poser l’une ou l’autre de ces questions : « Gagner de l’argent, oui. Mais qui gagne de l’argent ? Pour quoi faire ? » Ces questions liées à l’identité humaines et au sens de la vie sont souvent escamotées et/ou reléguées au second plan au nom de l’hédonisme consumériste et de la promotion de la pensée du rien, au nom du nihilisme.
Se former, s’informer, échanger avec les figures de proue de la philosophie et du journalisme d’investigation pourrait, petit à petit, pousser les jeunes kongolais à comprendre qu’il y a un honneur à penser[4] et la science acquise en toute conscience et en connaissance de cause est indispensable au patriotisme , à la volonté de puissance et au rendez-vous du donner et du recevoir dans le monde multipolaire en gestation. La science acquise en toute conscience, aujourd’hui, aidera la jeunesse kongolaise à mieux s’armer en vue de participer, comme acteurs incontournables, à l’avènement de ce monde multipolaire.
Echanger, débattre, lire en permanence, avoir une petite bibliothèque collective, diversifier les bonnes sources , cela nourrit la lucidité et la faculté de juger.
La jeunesse kongolaise peut, après avoir lu « Le monde selon Trump » de Michel Collon, lire aussi « Trump » d’Alain Badiou[5] ou de Tshiyoyo[6]. La diversité de bonnes sources et d’auteurs aiguise l’esprit critique et guide la réforme de l’esprit dont les jeunes kongolais ont besoin pour co-bâtir un pays plus beau qu’avant.
Babanya Kabudi
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[1] Lire Quand le maître tombe, faut-il encore parler d’indépendance… ou déjà de renaissance ? – Ingeta
[2] Lire R. GORI, Un monde sans esprit. La fabrique des terrorismes, Paris, Les liens qui libèrent, 2017.
[3] Lire R. GORI, La fabrique de nos servitudes, Paris, Les liens qui libèrent, 2022.
[4] Lire J.-M. ELA, Cheik Anta Diop ou l’honneur de penser, Paris, L’Harmattan 1989.
[5] A. BADIOU, Trump, Paris, PUF, 2020.