• IDEES & RESSOURCES POUR REINVENTER LE CONGO

Donald Trump ne lit pas, mais ce qu’il dit a-t-il du sens ?

Donald Trump ne lit pas, mais ce qu’il dit a-t-il du sens ?

Donald Trump ne lit pas, mais ce qu’il dit a-t-il du sens ? 1920 1079 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

Je lisais un peu machinalement. Puis cette phrase de Giuliano da Empoli m’a arrêté. Il parlait de Trump, évidemment. Tout le monde parle de lui en ce moment. Mais là, c’était différent. Il y avait cette précision glaciale, clinique. Quelque chose qui m’a rappelé un autre Italien : Luciano Canfora (L’Imposture démocratique Du procès de Socrate à l’élection de G.W. Bush) , dont les mots claquent comme des portes qu’on ferme sur l’illusion.

Voici ce que disait da Empoli:
« Donald Trump, puisqu’on parle de lui, est une forme de vie extraordinaire… l’un de ses traits, dont ses conseillers, en hommage à une époque désormais révolue, se plaignent encore à voix basse, alors qu’ils devraient s’en gargariser haut et fort, est qu’il ne lit jamais. Non pas des livres, bons pour les musées, ni des journaux, qui sont sur la même voie ; l’internaute le plus naïf n’hésiterait pas à classer l’image d’un Trump installé dans un siège de son jet ou dans un fauteuil à Mar-a-Lago un livre à la main, au lieu d’un écran ou d’un hamburger, parmi les deep fakes les plus farfelues qui se puissent concevoir. La question qui tracasse ses conseillers, alors qu’elle devrait les réjouir, est que Trump ne lit même pas les notes d’une page, voire d’une demi-page, qu’ils lui remettent pour le préparer avant un entretien, en résumant les éléments essentiels de la question à traiter. Ces notes, Trump ne leur accorde pas un seul regard. Ni une page, ni une demi-page, ni une seule ligne. Il ne fonctionne qu’à l’oral. Ce qui représente un défi considérable pour quiconque souhaite lui transmettre la moindre connaissance structurée. »
Giuliano da Empoli, L’Heure des prédateurs, Paris : Gallimard, 2025, p. 76–77.

Donald Trump ne lit pas

Donald Trump ne lit pas. C’est un fait désormais bien documenté. Il ne consulte ni notes de synthèse, ni rapports, ni livres. Et, pourtant, il parle. Il « gouverne ». Il influence. Faut-il en conclure que lire est devenu inutile ? Ou bien que l’on puisse avoir du « sens » sans jamais s’enraciner dans le savoir ?

Il serait naïf de dire que Trump parle « dans le vide ». Ce qu’il dit produit du sens pour ses partisans. Il parle simplement. Il crie fort. Il parle vrai. Non pas au sens de la vérité des faits, mais au sens de l’émotion ressentie.

Il serait naïf de dire que Trump parle « dans le vide ». Ce qu’il dit produit du sens pour ses partisans. Il parle simplement. Il crie fort. Il parle vrai. Non pas au sens de la vérité des faits, mais au sens de l’émotion ressentie. Donald Trump, l’Américain, nomme des peurs. Il évoque également des colères. Des frustrations que beaucoup vivent, mais n’osent pas exprimer. En ce sens, ce qu’il dit « fait écho ». Même s’il est inexact. Même s’il est mensonger.

Mais ce sens est fragile et dangereux. Il n’est pas bâti sur la lecture, sur le croisement des perspectives, sur l’analyse des causes. Il ne résiste pas à l’examen. C’est un sens instinctif, immédiat, performatif : un langage d’impact, pas un langage d’intelligence. Ce n’est pas le sens qui éclaire. C’est le sens qui enferme.

La marque la plus dangereuse du pouvoir narcissique

Alors, une question se pose : d’où viennent ses idées, s’il ne lit pas ? Comme il ne puise pas dans la pensée des autres, puise-t-il en lui-même ? La crainte, dans ce cas, est immense : qu’il considère sa propre parole comme source unique de vérité, comme lettre d’Évangile. Non plus un homme politique, mais un oracle, un inspiré, un prophète d’une vérité sans fondement commun. À mon sens, ce serait pire qu’une théocratie, où l’on prétend au moins s’appuyer sur une parole révélée. Ici, la parole vient d’un seul homme, qui ne se réfère à rien d’autre qu’à lui-même. C’est le règne du solipsisme, du verbe qui se fait loi et de la parole qui se prend pour Dieu. L’utopie du monde occidental en déclin !

Vouloir être lu tout en refusant de lire, c’est peut-être la marque la plus dangereuse du pouvoir narcissique. Un pouvoir qui n’a plus besoin d’altérité, mais seulement d’écho. Un pouvoir replié sur lui-même, tourné vers sa propre image, indifférent à toute forme d’intelligence partagée.

Ensuite, un paradoxe supplémentaire s’impose à notre réflexion. Donald Trump ne lit pas. Mais il écrit. Non pas des livres (trop longs, trop élaborés). Mais des tweets, des slogans, des ordres. Il ne lit personne. Mais exige d’être lu. Il ne reconnaît aucune autorité intellectuelle, mais se veut lui-même autorité ultime.

Ce qu’il refuse pour lui-même — le travail de lire, de comprendre, de s’exposer à d’autres points de vue — il l’impose aux autres sous forme d’injonction. Il ne lit pas le monde, mais il veut que le monde le lise. Pourtant, il semble bien séduire. Non, pas parce qu’il éclaire, mais parce qu’il simplifie. Non, pas puisqu’il lit le monde. Mais parce qu’il le réduit à sa propre voix.

Ce paradoxe-là : vouloir être lu tout en refusant de lire, c’est peut-être la marque la plus dangereuse du pouvoir narcissique. Un pouvoir qui n’a plus besoin d’altérité, mais seulement d’écho. Un pouvoir replié sur lui-même, tourné vers sa propre image, indifférent à toute forme d’intelligence partagée. Est-ce là une dérive individuelle ou le reflet d’un système plus vaste, celui d’une Amérique qui ne lit pas les autres, mais qui veut qu’on lise son histoire ? N’est-ce pas là, aussi, l’essence même de ce que l’on nomme couramment l’exceptionnalisme américain imposé au moyen de la violence (Samuel Huntington in Le Choc des civilisations) ? Une nation qui se pense seule source du bien, du vrai, du juste sans jamais se confronter à ce qui pourrait la contredire.

« Gouverner » exige plus que parler

Une autre question, tout aussi cruciale, se pose. Ses paroles, même simplistes, peuvent-elles avoir le même effet dans tous les domaines ? Ce qui peut fonctionner dans un discours politique ou une émission télévisée, où la superficialité séduit, peut-il se transposer à l’économie, à la guerre, à la diplomatie ou à la santé publique ?

«Gouverner» exige plus que parler. Cela ordonne de comprendre. Et comprendre passe par la lecture : des faits, des analyses, des expériences passées, des multiples voix.

Que vaut un propos spontané face à une crise monétaire ? Que devient une décision militaire prise à l’instinct, sans lecture de terrain ? Que produit une parole improvisée sur un virus inconnu ou une pandémie mondiale ? Dans ces domaines, la superficialité devient un péril. On ne dirige pas une économie avec des slogans. On ne mène pas une guerre avec des intuitions. On ne soigne pas avec des impressions.

Non, « gouverner » exige plus que parler. Cela ordonne de comprendre. Et comprendre passe par la lecture : des faits, des analyses, des expériences passées, des multiples voix. Alors oui, Trump produit du sens. Cependant, il s’agit d’un sens mutilé. Un sens sans lecture. Sans recul. Sans dialogue. C’est précisément pourquoi nous devons défendre la lecture, non comme un luxe, mais comme la condition du vrai sens et le garde-fou contre les hommes qui se prennent pour des dieux.

Likambo oyo… Likambo oyo…

Mufoncol Tshiyoyo, M.T., L’Étincelle, un homme libre

INGETA.

REINVENTONS

LE CONGO

Informer. Inspirer. Impacter.

Notre travail consiste à :
Développer un laboratoire d’idées sur le passé, présent et futur du Congo-Kinshasa.

Proposer un lieu unique de décryptage, de discussion et de diffusion des réalités et perspectives du Congo-Kinshasa.

Aiguiser l’esprit critique et vulgariser les informations sur les enjeux du Congo, à travers une variété de supports et de contenus (analyses, entretiens, vidéos, verbatims, campagnes, livres, journal).