• IDEES & RESSOURCES POUR REINVENTER LE CONGO

Quand le maître tombe, faut-il encore parler d’indépendance… ou déjà de renaissance ?

Quand le maître tombe, faut-il encore parler d’indépendance… ou déjà de renaissance ?

Quand le maître tombe, faut-il encore parler d’indépendance… ou déjà de renaissance ? 1424 936 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

Lettre ouverte à celles et à ceux qui ambitionnent d’être eux-mêmes, maintenant que le maître chancelle.

Dans une récente sortie médiatique, Alex Stubb, président de la Finlande, s’adressant à l’OTAN, déclare sans détour : « Now we need to sort things out, understand that the time of Western dominance is over. We are moving towards a world which is more transactional, more multipolar, and more disorderly. » (L’époque de la domination occidentale est terminée. Nous entrons dans un monde plus transactionnel, plus multipolaire, plus désordonné).

Quand l’Occident s’effrite

Le « maître » traverse une crise. Il chancelle. Ce n’est pas une simple turbulence, mais une fissure profonde, existentielle. Tout peut arriver désormais : sa stabilisation… ou sa disparition. Or nos rapports furent ceux du maître à l’esclave, du dominant au dominé. Maintenant que tout vacille, je souhaite savoir ce qu’il reste du mot « indépendance » ? Pourrait-on encore parler d’indépendance quand le « maître » a perdu les béquilles de sa domination ? Faut-il continuer à se définir dans l’ombre d’un empire qui ne tient plus debout ?

Le « maître », ce n’est pas seulement un homme, un pays, un pouvoir. Le « maître », c’est un regard intériorisé, une voix qui juge même en son absence. C’est l’ombre qui nous suit même en plein soleil. Mais voilà qu’il se fissure. L’Occident s’effrite. Emmanuel Todd parle de « La défaite de l’Occident ». Son autorité n’impressionne plus. Ses mots n’ordonnent plus.

Le « maître », ce n’est pas seulement un homme, un pays, un pouvoir. Le « maître », c’est un regard intériorisé, une voix qui juge même en son absence. C’est l’ombre qui nous suit même en plein soleil. Mais voilà qu’il se fissure. L’Occident s’effrite. Emmanuel Todd parle de « La défaite de l’Occident ». Son autorité n’impressionne plus. Ses mots n’ordonnent plus. Ses valeurs se déchirent entre elles. Pourtant, nous restons figés, passifs, comme s’il fallait attendre sa chute officielle pour exister enfin.

Non. C’est maintenant que doit commencer notre véritable « naissance ». Pas une simple indépendance symbolique. Mais une renaissance essentielle.

Notre situation actuelle ressemble à celle d’un locataire devenu libre, non par négociation, mais parce que le propriétaire a fait faillite. Ce dernier a perdu ses titres, ses meubles, sa fortune. Alors, faut-il encore l’appeler « propriétaire » ? Avec le risque de le voir réclamer des droits qu’il n’a plus ? Ou bien devons-nous tracer notre propre chemin, en cessant d’attendre de lui une légitimation qu’il ne possède plus ?

Il ne reste plus qu’à naître

Cependant, il faut encore pousser plus loin. L’indépendance, telle qu’on l’a vécue, était une position par rapport à l’autre. Un état qui est né d’un rapport de force. Une rupture. Une opposition. Un arrachement. Mais une fois ce rapport dissous… que reste-t-il de ce mot ?

Il ne reste plus qu’à naître. Non pas comme négation de l’autre, mais comme affirmation de soi. C’est ici que commence non-l’indépendance, mais la souveraineté authentique. Pas celle que l’on obtient contre un empire, mais celle que l’on forge en soi.

Quand le maître s’efface, la relation disparaît, et avec elle, le vocabulaire qui l’accompagnait. Comme ce maître-là n’est plus, comme il ne domine plus, il s’efface dans la chute de ses propres certitudes. Dans ce cas, le concept d’« indépendance » perd son objet. Alors, parler d’indépendance revient à continuer la conversation avec un partenaire qui n’est plus là. Un spectre.

Il ne s’agit donc plus de revendiquer cette indépendance. Il s’agit de s’abolir du rapport lui-même. Et de naître. Pleinement. Puisqu’une relation de domination abolie rend caduque la libération qui s’y opposait. Le feu s’éteint avec le bois. L’indépendance meurt de la mort du maître. Que nous reste-t-il alors ?

Il ne reste plus qu’à naître. Non pas comme négation de l’autre, mais comme affirmation de soi.
C’est ici que commence non-l’indépendance, mais la souveraineté authentique. Pas celle que l’on obtient contre un empire, mais celle que l’on forge en soi. Et c’est ici que les mots de Mbog Bassong, dans Le Discours africain de la méthode complexe, trouvent tout leur sens : « Seule, une nouvelle pensée africaine peut assumer cet enjeu. »

La dent de Lumumba doit nous hanter

Ce 30 juin ne devrait pas être une simple commémoration. Il devrait être le premier jour de notre naissance. Un jour exigeant, grave, fécond. Un jour qui exige le retour à soi. Mais avons-nous de quoi nous tenir debout Ce n’est pas que « le maître chute ». C’est de savoir si nous sommes prêts à vivre sans lui ? Cela suppose : une langue réappropriée, des valeurs choisies, des croyances enracinées, une mémoire assumée.

Ce 30 juin ne devrait pas être une simple commémoration. Il devrait être le premier jour de notre naissance. Un jour exigeant, grave, fécond. Un jour qui exige le retour à soi. Mais avons-nous de quoi nous tenir debout Ce n’est pas que « le maître chute ». C’est de savoir si nous sommes prêts à vivre sans lui ?

À quoi bon remplacer un dominant si nous restons des reflets ? À quoi bon célébrer l’indépendance si nous n’avons pas encore commencé à naître ? Mais qu’avons-nous fait de notre histoire ? Que faisons-nous, par exemple, de la dent de Lumumba ? Ce vestige qu’on nous a rendu — non par justice, mais pour solder le passé à moindre coût. On nous a restitué une dent, fragment d’un homme qu’on avait dissous dans l’acide. Et certains y ont vu un geste honorable. Mais une dent, ce n’est pas un cadeau. C’est une preuve. Une gifle. Une trace. Un cri. C’est tout ce qu’il restait d’un homme libre livré aux bourreaux avec la complicité de l’État, de ses élites, et du silence international.

La dent de Lumumba doit nous hanter. Non pour pleurer, mais pour nous réveiller. Parce qu’une dent, c’est une racine. C’est ce qui mord. Ce qui résiste. Ce qui reste quand il ne reste plus rien. Que cette dent devienne le point de départ d’un serment collectif : nous ne naîtrons pas en suppliant le maître de nous respecter. Nous naîtrons en décidant, en forgeant, en résistant. Nous naîtrons non dans la commémoration, mais dans l’incandescence du sens.

Nous devons dire à nos enfants :: « Tu viens d’un peuple à qui l’on a rendu une dent. Mais cette dent, nous en avons fait une arme, un signal, un levier. Tu n’es pas né pour qu’on te restitue des restes. Tu es né pour reprendre ton tout. »

Alors brûle, frère. Brûle. Brûle — car c’est dans cette brûlure que renaît le peuple. Dans cette incandescence, les mots cessent d’être des signes pour devenir des signaux de ralliement, des armes de clarté, des leviers de bascule. Que ce feu ne s’éteigne pas. Qu’il nous traverse, nous éveille, nous redresse. Il est temps de naître. Non pas indépendants. Mais vivants
Ce 30 juin ne sera plus commémoration. Il sera création. Naissance. Prise de parole.
Nous naîtrons, non pas indépendants. Mais vivants.

Mufoncol Tshiyoyo, M.T., un homme libre, au nom de tous les miens…

INGETA.

REINVENTONS

LE CONGO

Informer. Inspirer. Impacter.

Notre travail consiste à :
Développer un laboratoire d’idées sur le passé, présent et futur du Congo-Kinshasa.

Proposer un lieu unique de décryptage, de discussion et de diffusion des réalités et perspectives du Congo-Kinshasa.

Aiguiser l’esprit critique et vulgariser les informations sur les enjeux du Congo, à travers une variété de supports et de contenus (analyses, entretiens, vidéos, verbatims, campagnes, livres, journal).