Par Jean-Pierre Mbelu
« Un peuple sans mémoire ne peut pas être un peuple libre. » D. M.
Mise en route
Il est de temps en temps intéressant de suivre des compatriotes en train d’étudier certaines questions dites d’actualité en revisitant l’histoire kongolaise. Cet exercice est important. Il participe de la lutte contre l’amnésie et la falsification du processus d’émancipation politique et culturelle du pays. Donnant une conférence de presse (DISCOURS CHOC DE MFUMU NTOTO SENSIBILISE L’OPINION POUR UNE NOUVELLE CONSTITUTION), Mfumu Ntoto, a essayé de s’adonner à cet exercice périlleux.
Convaincre les masses populaires du changement et/ou de la révision d’une « constitution », dans un pays considéré par une frange importante de politiciens comme étant « un gâteau », cela est différent de la production d’une loi fondamentale conçue comme étant l’aboutissement de la lutte d’un « peuple » résilient, patriote et souverainiste.
Approfondissant la question du changement de « la constitution » actuelle du pays, il a voulu en étudier « les ancêtres » pour dire si leurs fondements étaient républicains ou pas. A plusieurs reprises, il est revenu sur le fait que ces « ancêtres » ont nié ou rejeté « le peuple » ayant le droit de se choisir « le pouvoir constituant ». En l’écoutant attentivement, il semble que sa notion du « peuple » pose de sérieux problèmes. N’entretient-il pas une confusion entre « masses populaires » et « peuple »? Un « peuple » normalement constitué aurait-il pu accepter de subir, pendant autant d’années le rejet de la part du politique ? Qu’est-ce qui a conduit à son déni et/ou à son rejet ? Ces questions ne sont pas abordées par Mfumu Ntoto. Pourtant, chercher à y répondre pourrait être nécessaire pour la suite des événements au Kongo-Kinshasa.
Car, convaincre les masses populaires du changement et/ou de la révision d’une « constitution », dans un pays considéré par une frange importante de politiciens comme étant « un gâteau »[1], cela est différent de la production d’une loi fondamentale conçue comme étant l’aboutissement de la lutte d’un « peuple » résilient, patriote et souverainiste. N’est-ce pas de la renaissance de ce « peuple » qu’il devrait être question , même s’il a besoin de s’identifier à des « noms propres » ? L’hypothèse de cet article développe une réponse positive à cette question en introduisant une différence entre les masses populaires et « le peuple ». Elle essaie d’introduire la notion du rapport de force pour comprendre le déni et le rejet des masses populaires pendant plusieurs années au Kongo-Kinshasa.
Masses populaires et peuple
Contrairement aux apparences, le débat sur la réforme et/ou le changement de « la constitution » kongolaise poursuit son petit bonhomme de chemin. A Kinshasa, les acteurs politiques multiplient leurs conférences et leurs mobilisations populaires. (Les provinces seraient absentes de ce débat…)
Pour exister, un pays n’a pas nécessairement besoin d’être une République. La diversité de formes d’Etat en témoigne. Et il arrive que « les pouvoirs en place » imposent des textes constitutionnels.
L’un des politiciens les plus engagés dans ce débat, Mfumu Ntoto, vient de donner une conférence de presse au cours de laquelle il a essayé de prouver que depuis la création de l’Etat kongolais, le pays n’est pas encore devenu une République et les constitutions ayant structuré sa marche n’ont jamais été les produits des constituants choisis par « le peuple » kongolais. Cependant, ce « peuple » ignoré par le pouvoir colonial et sollicité pour le référendum au sujet des constitutions rédigées sous Mobutu et Joseph Kabila a quand même voté majoritairement pour elles.
Il aurait été souhaitable que Mfumu Ntoto fasse la différence entre les masses populaires et « le peuple » en tant qu’entité souveraine, consciente de ses libertés, de ses droits fondamentaux et de ses devoirs. Ce « peuple » réellement a-t-il existé , majoritairement, dans les années 60, à l’acception de Mobutu au pouvoir de fait et au cours de la guerre de l’AFDL dont Joseph Kabila fut le fruit ?
Il aurait été donc souhaitable que Mfumu Ntoto définisse clairement ce qu’il entend par « peuple ». Actons le fait que depuis la création de l’Etat kongolais, le pays n’a jamais été une République. Alors quoi ? Cela a-t-il empêche à ce pays d’exister, tant bien que mal ? Donc, pour exister, un pays n’a pas nécessairement besoin d’être une République. La diversité de formes d’Etat en témoigne. Et il arrive que « les pouvoirs en place » imposent des textes constitutionnels.
La notion du rapport de force
Intégrer la notion du changement du rapport de force dans la gestion du pays aurait permis à Mfumu Ntoto de comprendre que « le pouvoir » colonial et néocolonial a été assumé par ceux qui bénéficiaient du soutien des pouvoirs financiers de l’ombre dans un pays où l’ immaturité politique populaire était criante en dépit de l’existence des résistants et des dissidents kongolais.
Passer du paradigme néocolonial au paradigme souverainiste , dans les faits, peut précéder la rédaction d’une constitution. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont compris cela. Ces trois pays ont organisé la révision et/ou le changement de leurs constitutions après le renversement de l’ordre néocolonial et en organisation des assises de refondation pour leurs pays. Ils y sont arrivés après que leurs masses populaires se soient transformées en masse critique, en des peuples résilients épris de liberté et d’émancipation politique. Des peuples conscients des jeux et des enjeux politiciens auxquels s’adonnent leurs proxys.
Oui. Depuis Berlin (1884-1885) jusqu’à ce jour, le fait économique a dominé le fait politique. Le rapport de force est favorable au fait économique. Ses fondés de pouvoir dictent la ligne politico-économique au coeur de l’Afrique. Ils ont manipulé « les belligérants » à Sun City et ont influencé leur approche consumériste et hédoniste du « Kongo gâteau ». Tel est l’un des faits »invisible » aux yeux de Mfumu Ntoto.
Renverser, dans les faits, ce rapport de force n’est pas une question de décision constitutionnelle. Non. Passer du paradigme néocolonial au paradigme souverainiste , dans les faits, peut précéder la rédaction d’une constitution. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont compris cela. Ces trois pays ont organisé la révision et/ou le changement de leurs constitutions après le renversement de l’ordre néocolonial et en organisation des assises de refondation pour leurs pays. Ils y sont arrivés après que leurs masses populaires se soient transformées en masse critique, en des peuples résilients épris de liberté et d’émancipation politique. Des peuples conscients des jeux et des enjeux politiciens auxquels s’adonnent leurs proxys. Des peuples capables d’identifier leurs amis et/ou ennemis internes et externes en ayant un certain sens élevé du don de soi et de l’intelligence collective au sein des structures régaliennes du pays. Des peuples dont la naissance et/ou la renaissance précède les bouleversements tectoniques étatiques. Souvent, ils renaissent en s’identifiant à certains « noms propres » comme Castro, Lumumba, Chavez, etc.
Donc, tant que les politiciens kongolais entretiendront la confusion entre masses populaires, masse critique et peuple, ils remettront toujours aux calendes grecques le renversement du rapport de force néocolonial. L’avantage d’avoir des masses critiques et des peuples résilients est qu’ils ne se laissent pas aller aux jeux des rivalités entre les politiciens manipulés par les adeptes du « diviser pour régner ». Les masses populaires obéissent à la propagande des plus offrants et peuvent tomber facilement dans le piège des fondés de pouvoir du Capital et de leurs larbins. Elles peuvent faire feu de tout bois en accompagnant la balkanisation et l’implosion du pays.
N’empêche qu’un soutien explicite d’une masse critique puisse contribuer à propulser, sur le devant de la scène politique, des compatriotes ayant de la voyance et capables d’accomplir cette difficile tâche. C’est à eux qu’il pourrait appartenir d’ associer cette masse critique, devenue partie prenante de la lutte, à la rédaction de la loi fondamentale.
Une contradiction
Mfumu Ntoto ne prenant pas en compte la notion du rapport de force ne semble pas s’être rendu compte qu’il fondait « le pouvoir » de changer « la constitution » actuelle sur les prérogatives qu’elle édicte. Ceci semble être absurde ou plutôt paradoxal ou contradictoire.
« Pourquoi les masses populaires ont-elles accepté, au référendum, « une constitution » dont elles n’avaient pas élu « les constituants » et qui, aujourd’hui, est utilisée pour justifier son changement ? » Fatiguées par la guerre, elles croyaient en une possible paix. Sans en penser le prix. Les masses populaires faisaient face aux « belligérants » et le rapport de force leur était défavorable.
Il aurait mieux fait de commencer par se poser cette question : « Pourquoi les masses populaires ont-elles accepté, au référendum, « une constitution » dont elles n’avaient pas élu « les constituants » et qui, aujourd’hui, est utilisée pour justifier son changement ? » Fatiguées par la guerre, elles croyaient en une possible paix. Sans en penser le prix. Les masses populaires faisaient face aux « belligérants » et le rapport de force leur était défavorable.
Si elles étaient devenues un peuple résilient, ayant en son sein des minorités réellement organisées et éveillées, ayant une vison claire du Kongo de demain, elles ne s’appuieraient pas sur cette « constitution des belligérants » pour mieux penser la marche du pays. Elles renverseraient simplement le rapport de force et produiraient une constitution propre à elles. Elles fermeraient tout simplement la parenthèse ouverte par la colonisation et la néocolonisation.
Petite conclusion : de quoi s’agit-il profondément ?
En fait, c’est de cela qu’il s’agit profondément : de la (re)naissance du peuple, de la réinvention de l’humain kongolais et de la mise sur pied d’une éthique reconstructive du pays respectueuse de sa culture et de sa tradition plurielles, de l’avènement d’un peuple patriote et souverain. Mais, les masses populaires n’en sont pas encore là. Malheureusement…
Et les politiciens croient facilement que convaincre les masses populaires à participer à un référendum constitutionnel est la même chose que voir un peuple patriote, résilient et souverainiste se mettre majoritairement debout pour changer de paradigme. Non. C’est différent.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] Bob Kabamba, « la constitution » et le Kongo-gâteau – Ingeta