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Représentation particratique et/ou ethno-provinciale au Kongo-Kinshasa

Représentation particratique et/ou ethno-provinciale au Kongo-Kinshasa

Représentation particratique et/ou ethno-provinciale au Kongo-Kinshasa 1080 720 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Il faut oser douter des théories dont le but est de justifier la domination. »
– J.-M. ELA

 

Mise en route

Avant la constitution du gouvernement actuel, nous posions déjà des questions autour de sa forme et de son fond[1]. Amoureux de « la forme », des compatriotes kongolais attachent trop peu d’importance au « fond ».

Amoureux de « la forme », des compatriotes kongolais attachent trop peu d’importance au « fond ».

Penser le fond les aurait conduits à se poser la question du contexte dans lequel le pays se retrouve, des moyens et des compétences qu’il a à mobiliser pour en finir avec la guerre raciste de prédation et de basse intensité qui lui est menée depuis plus de trois décennies et de la néocolonisation dont il a encore du mal à se départir, etc.

Penser le fond aurait peut-être permis de constituer « une modeste équipe de combat »  disposée à lutter sur plusieurs fronts en intégrant celui de l’appauvrissement anthropologique des pans entiers des populations kongolaises.

« La forme » semble l’avoir emporté. Il fallait un gouvernement représentatif de la particratie et  de toutes les provinces du pays. Mais pour quoi faire ? Pourquoi faut-il reconduire un modèle budgétivore qui a échoué ? Ne faudrait-il pas finalement un changement paradigmatique ? Qui peut l’impulser ? Voyons.

Un gouvernement représentatif des partis, des ethnies et des provinces

A entendre certains compatriotes kongolais, il semble que « le gouvernement »  actuel aurait tenu compte à la fois des desiderata des regroupements politiques et de la représentation ethno-provinciale. Les déçus du partage du gâteau regretteraient que leurs ethnies ne s’y retrouvent pas.  Certaines ethnies, par ailleurs auraient raflé la part du lion.

La prétention de représenter les partis politiques, les ethnies et les provinces  peut être interprétée comme étant  un subterfuge servant à cacher la réalité néocoloniale et ploutocratique.  Si les ethnies et les provinces comptaient  réellement, pourquoi tous les gouvernements représentatifs passés n’ont-ils pas réussi à associer les communautés citoyennes de base  à une politique émancipatrice pouvant les autonomiser depuis plus de deux décennies ?  

Cette approche de la représentation gouvernementale pose plusieurs questions. Qu’est-ce qui importe  dans la constitution d’un gouvernement ?  Les compétences, le patriotisme, le nationalisme, le souverainisme, la citoyenneté responsable, la vision collective du pays à bâtir, « le nous »  kongolais à consolider, la sortie du sous-système néocolonial où le pays est enfermé, l’éthique politique et reconstructive ou le  simple partage particratique et ethno-provincial du gâteau ?   Une approche holistique de la représentation ne devrait-elle être porteuse des valeurs et des idées économiques, spirituelles, culturelles, sociales, politiques, géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques   pouvant conduire le pays sur la voie de  l’émancipation  des paradigmes négatifs et de la souveraineté ?

Vouloir reconduire  le même modèle de la représentation gouvernementale ne devrait-il pas  pousser à procéder d’abord par une évaluation  des apports concrets  des envoyés des partis politiques et  des ethnies   depuis plus de deux décennies ? A quoi sert-il de reproduire un modèle dont les résultats manquent à l’appel ? Un modèle ayant renoncé à toute reddition des comptes ? Bref, quel est le sens et/ou le bien fondé d’une représentation politique  dans un pays potentiellement riche, en guerre, et aux populations majoritairement appauvries ?

En néocolonie, reconduire pendant plusieurs années un modèle représentatif budgétivore, inefficace et impuissant peut être  une façon de participer à la régression anthropologique du pays au profit des globalistes apatrides et de l’oligarchie autochtone compradore.  La prétention de représenter les partis politiques, les ethnies et les provinces  peut être interprétée comme étant  un subterfuge servant à cacher la réalité néocoloniale et ploutocratique.  Si les ethnies et les provinces comptaient  réellement, pourquoi tous les gouvernements représentatifs passés n’ont-ils pas réussi à associer les communautés citoyennes de base  à une politique émancipatrice pouvant les autonomiser depuis plus de deux décennies ?  Au contraire, elles se sont sérieusement appauvries dans un pays où  les multi et les transnationales ne cessent de faire fortune et où certains compradores achètent et vendent des terres communes à leur seul profit.

Le pays a un problème sérieux. Héritier d’un modèle colonial paternaliste, il a du mal à promouvoir une citoyenneté responsable à partir de la base. Certains de ses politiciens reproduisent ce modèle infantilisant en estimant qu’il leur appartient d’être  les porte-paroles et /ou « les pères » et « les mères » de leurs compatriotes restés au village.  Ainsi, certains parmi eux-elles sont-ils (elles) content(e)s qu’on les appelle « papas » et « mamans », « chefs », « excellences », non par respect, mais par flatterie, lorsqu’ils (elles) retournent  dans leurs villages respectifs où des pans entiers de leurs compatriotes sont clochardisés.

Un changement de paradigme

 Nous ne dirons jamais assez. L’engagement sur la voie de la sortie de la néocolonisation impose un changement de paradigme et un renversement de la pyramide hiérarchique dans une approche tradicratique de la gestion du pouvoir  dans sa pluralité en privilégiant son émiettement et l’autonomisation des entités citoyennes à la base de la société. Cela n’ira pas  sans que des efforts constants soient déployés dans le sens de la re-civilisation dans ce pays où les ravages causés par la guerre raciste de prédation et de basse intensité  ont plongé  plusieurs compatriotes  dans un ensauvagement qui ne dit pas son nom.

L’engagement sur la voie de la sortie de la néocolonisation impose un changement de paradigme et un renversement de la pyramide hiérarchique dans une approche tradicratique de la gestion du pouvoir  dans sa pluralité en privilégiant son émiettement et l’autonomisation des entités citoyennes à la base de la société.

En effet, le paradigme de néantisation qu’a été la traite négrière, celui  d’indignité que sont la colonisation et de la néocolonisation ont dé-civilisé plusieurs d’entre nous au point de corrompre leur processus résilient  de maturation et de pousser certains à opter pour l’hédonisme consumériste , porteur de la haine, de la violence diabolique et de la méchanceté gratuite.

Passer de ces paradigmes de néantisation et d’indignité à celui de la tradicratie ouverte  est question  existentielle pour le pays. D’où l’urgence du processus re-civilisateur  intégrant les valeurs du BOMOTO dont la justice, le courage, la vérité, la solidarité et le travail, etc.

Une bonne relecture de notre hymne national[2] peut en faire des valeurs structurantes de la cohésion sociale et de la cohésion nationale ; et des valeurs émancipatrices du paternalisme et de l’infantilisme.

La famille, l’école, les églises et l’université devraient s’investir dans ce processus résilient de re-civilisation. (Il y a quelque chose  qui lui ressemble un peu dans l’expérience du « service national ».  Les jeunes kongolais ensauvagés des rues kongolaises sont en train de devenir des acteurs-bâtisseurs suffisamment disciplinés de leur pays. Ces efforts risquent de ne pas être soutenus sur le temps long  tant que  « les kulunas » en cravate feront partie de la représentation paternaliste  et compradore du gouvernement.  D’où l’importance du passage au paradigme de la tradicratie ouverte et re-civilisatrice. En principe, « les kulunas » en cravate devraient rejoindre ces jeunes sur les champs du « service national ». L’avenir du pays dépend aussi de leur rééducation.)

Conclusion : de quoi le pays a-t-il réellement besoin ?

Le pays semble avoir un peu plus besoin d’un « nous » riche de sa pluralité,  de ses différences et de ses ressemblances. Il a besoin d’un « nous » engagé dans l’édification de la cité par la mobilisation des compétences et des moyens divers et diversifiés, par des paroles et des actions échangées  dans un effort constant de conversion de la violence diabolique en violence symbolique, entendue comme énergie convivialiste ; d’un « nous » se constituant à partir des communautés citoyennes de base autonomisées et s’autonomisant.

Les patriotes souverainistes de tous les bords ont intérêt à s’engager dans ce processus résilient  de co-bâtissement re-civilisateur du pays, pilier de la tradicratie ouverte, en tenant compte du fait qu’il y a et il y aura toujours des rapports de force antagonistiques à renverser le long du parcours. La re-civilisation ne sera pas un cadeau sur un plateau doré. C’est une lutte  existentielle d’émancipation anthropologique de tous les instants.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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[1] Lire  Un nouveau gouvernement au Kongo-Kinshasa. Est-ce que la forme suffit ? – Ingeta
[2] J’essaie de me livrer à cette relecture de notre hymne national dans mon dernier livre intitulé Terre promise. Néocolonisation & souveraineté : le cas du Kongo-Kinshasa, Paris, Congo Lobi Lelo, 2023.

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