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Qu’est-ce qui ne va pas avec le Congo ?

Qu’est-ce qui ne va pas avec le Congo ?

Qu’est-ce qui ne va pas avec le Congo ? 2048 1536 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

Le monde contemporain est régi par un système impitoyable où les multinationales imposent leur domination avec une brutalité assumée, plaçant leurs profits au-dessus de toute dignité humaine. Cette réalité est non seulement tolérée, mais cyniquement entretenue par les puissants, et subie dans un silence complice. Il ne s’agit pas ici de dénoncer un simple déséquilibre, mais d’exposer un projet conscient, fondé sur l’exploitation systématique des ressources et l’écrasement des droits fondamentaux. Tandis que les plus démunis luttent pour survivre, les puissants pillent sans retenue les richesses des terres, avec une arrogance souveraine dépourvue de remords.

Reconnaître cette réalité n’est ni une plainte ni une résignation. C’est un acte de lucidité qui permet de dévoiler les rouages du système, préalable indispensable à sa subversion. La lucidité est une arme et l’indignation un moteur. Avant d’agir efficacement, il faut comprendre, examiner ce système sans détour pour le déconstruire et le démasquer.

La question du professeur Jeffrey Sachs aux Congolais : Qu’est-ce qui ne va pas avec votre pays?

C’est précisément ce qu’a entrepris le professeur Jeffrey Sachs, économiste américain, lors d’une intervention saisissante où il s’est adressé à un ministre congolais avec une franchise brutale et une ironie mordante.

Pourquoi cette question accusatrice, « Qu’est-ce qui ne va pas avec votre pays ? », paraît-elle légitime ? Pourquoi ignore-t-on volontairement l’impact historique de l’exploitation étrangère et des ingérences politiques dans les tragédies congolaises ?

Voici ses propos traduits de l’anglais :« Le système alimentaire mondial repose sur les multinationales, axé exclusivement sur les bénéfices privés, avec une aide internationale minime ou inexistante pour les plus pauvres. Ce système révèle l’indifférence totale des grandes puissances envers l’environnement et les droits humains. […] Quand nous interrogeons le ministre de la RDC, nous demandons : ‘Qu’est-ce qui ne va pas avec votre pays ?’ Pourtant, nous oublions de mentionner que le roi Léopold II de Belgique a imposé une colonisation brutale pendant 30 ans, suivie de 40 années sous contrôle belge direct ; que la CIA a participé à l’assassinat de Patrice Lumumba, votre premier dirigeant démocratiquement élu, ouvrant la voie à une dictature de 30 ans. Aujourd’hui, des entreprises comme Glencore exploitent votre cobalt sans payer d’impôts dans votre pays. Nous ne réfléchissons jamais à ces faits. Nous nous contentons de demander : ‘Pourquoi ne gouvernez-vous pas correctement ?’ […] Ce système doit changer. Il ne peut rester aux mains du secteur privé, soutenu historiquement par les forces armées américaines » .

Ces mots, puissants et ironiques, exposent une vérité qui dérange. Par ailleurs, ils interpellent non seulement le ministre congolais présent, mais également tous ceux qui prétendent comprendre la complexité du Congo sans jamais regarder son histoire en face. Pourquoi cette question accusatrice, « Qu’est-ce qui ne va pas avec votre pays ? », paraît-elle légitime ? Pourquoi ignore-t-on volontairement l’impact historique de l’exploitation étrangère et des ingérences politiques dans les tragédies congolaises ?

L’illusion du « deal » : une méconnaissance périlleuse

Croire qu’un accord avec les puissances anglo-saxonnes sur les matières premières peut garantir la protection du Congo relève d’une dangereuse naïveté. Pour eux, le Congo n’est pas un partenaire, mais un butin de guerre. La terre appartient aux conquérants qui exploitent ses richesses à leur guise et installent au pouvoir des pantins qui leur conviennent.

Croire qu’un accord avec les puissances anglo-saxonnes sur les matières premières peut garantir la protection du Congo relève d’une dangereuse naïveté. Pour eux, le Congo n’est pas un partenaire, mais un butin de guerre.

La preuve ? Ils en font ce qu’ils veulent, exploitent ses richesses sans entrave et placent qui ils veulent à sa tête. Comment des dirigeants, installés par la faveur des puissances étrangères, peuvent-ils prétendre négocier des minerais avec ces mêmes puissances ? N’est-ce pas là une ignorance flagrante, une illusion qui perpétue la soumission ?

Les Américains, auprès de qui certains Congolais cherchent à vendre « leurs » minerais, savent que vous leur devez votre dignité. Alors quel prix d’achat ou de vente peut-on imposer à ceux qui considèrent que tout leur est dû ? Pourquoi cette incapacité à comprendre et à affronter la dure réalité de l’histoire ? Pourquoi cette insistance à croire qu’un compromis est possible, pendant que le système est conçu pour maintenir le Congo dans une position de dépendance et de soumission ?

Entre la prostitution et la révolte : pourquoi acceptons-nous d’être des fantômes ?

La question de Jeffrey Sachs dépasse largement le cadre d’une simple provocation. Elle agit comme un miroir reflétant l’héritage de l’oppression, mais également notre propre incapacité à sortir d’une mentalité d’impuissance. Pourquoi cette question, bien qu’issue d’un regard extérieur, nous bouleverse-t-elle autant ? Pourquoi semble-t-elle si légitime, comme si nous avions intégré au fil des ans l’idée que notre impuissance était une fatalité ? C’est une honte qui se diffuse dans le silence, une honte qui déchire, mais que trop peu osent affronter. Pourrait-elle être transformée en catalyseur d’une révolte intérieure capable de briser les chaînes psychologiques tissées par des décennies de passivité ?

Le problème du Congo n’est pas uniquement dans l’histoire qu’on lui impose, mais dans l’histoire qu’il refuse de se raconter. L’acceptation tacite de l’humiliation, de la dépendance et de la prostitution économique n’est-elle pas, en elle-même, une négation de notre potentiel ?

Pourquoi attendons-nous toujours le doigt accusateur de l’Occident pour envisager un sursaut ? Pourquoi ne posons-nous pas nous-mêmes les bonnes questions sans attendre des leçons extérieures ? Cette honte pourrait-elle devenir une arme pour redéfinir notre dignité collective, ou resterons-nous éternellement des fantômes sur une terre riche, mais privée de souveraineté ?

Le problème du Congo n’est pas uniquement dans l’histoire qu’on lui impose, mais dans l’histoire qu’il refuse de se raconter. L’acceptation tacite de l’humiliation, de la dépendance et de la prostitution économique n’est-elle pas, en elle-même, une négation de notre potentiel ? Comment un peuple peut-il se libérer s’il continue à croire que son salut viendra des mêmes mains qui l’ont enchaîné ?

Rompre avec l’esprit de servilité

La servilité n’est pas seulement un héritage colonial, mais aussi le reflet d’une acceptation intérieure, d’une incapacité à imaginer un avenir différent. Elle résulte d’une perception déformée de soi, d’une vision qui réduit le Congo à un rôle passif, dicté par des forces extérieures.

Si d’autres nations africaines ont su affirmer leur dignité dans des conditions similaires, pourquoi le Congo semble-t-il incapable de rompre avec ce cycle de subordination ?

Mais comment un peuple peut-il espérer se libérer si ses élites continuent à s’aveugler, à chercher la validation extérieure et à perpétuer un cycle de dépendance qui étouffe toute souveraineté ?  L’interrogation de Jeffrey Sachs doit être retournée et réappropriée. Pourquoi la soumission est-elle devenue une norme, presque une habitude chez l’élite congolaise ?

Pourquoi la quête d’autonomie est-elle reléguée au rang d’utopie, alors même que des exemples de résilience et de mobilisation souveraine existent ailleurs sur le continent ? Si d’autres nations africaines ont su affirmer leur dignité dans des conditions similaires, pourquoi le Congo semble-t-il incapable de rompre avec ce cycle de subordination ?

Vers une nouvelle perception

Ce changement de paradigme commence par une révolution intellectuelle et culturelle. Le changement nécessaire commence par une révolution intellectuelle et culturelle. Nous devons réapproprier notre histoire, comprendre les mécanismes d’aliénation et investir les espaces de décision. C’est à travers une prise de conscience collective que le Congo pourra s’élever au-dessus du rôle que le monde lui assigne : celui d’un peuple courbé sous le poids d’une domination imposée. Nous ne devons plus survivre sous le regard condescendant des puissances. Nous devons nous redresser, affirmer notre dignité et refuser les rôles dictés par l’histoire coloniale et néocoloniale.

C’est à travers une prise de conscience collective que le Congo pourra s’élever au-dessus du rôle que le monde lui assigne : celui d’un peuple courbé sous le poids d’une domination imposée. Nous ne devons plus survivre sous le regard condescendant des puissances. Nous devons nous redresser, affirmer notre dignité et refuser les rôles dictés par l’histoire coloniale et néocoloniale.

La souveraineté commence dans l’esprit. Elle exige la rupture des récits de soumission et le courage de réinventer une vision nationale, une vision audacieuse et propre, capable de répondre aux défis contemporains avec dignité et force. La libération ne viendra ni de l’Occident ni des acteurs étrangers. Elle naîtra de notre capacité à nous affranchir, à penser librement et à agir avec détermination.

Comme nous le rappelle l’histoire, ce combat n’est pas seulement intellectuel ou politique : Likambo oyo eza likambo ya mabele, likambo ya mabele ezali likambo ya makila. Cabral l’avait compris, et ses mots résonnent aujourd’hui encore comme un testament universel : « Masquez nos visages, et vous verrez nos âmes. Détruisez nos corps, nos idées fleuriront. Notre lutte n’est pas pour prendre le pouvoir, mais pour que le pouvoir soit pris par le peuple. »

Mufoncol Tshiyoyo, M.T.
Think Tank La Libération par la Perception (Lp)
Membre du Mouvement La Dissidence « D »

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