Par Jean-Pierre Mbelu
Un Occident en pleine crise économique peut-il travailler à l’émergence d’un pôle autonome et souverain ? Nous en doutons. Il a besoin des marchés où il peut investir 1$ et en gagner 7 sans un quelconque contrôle démocratique.
Les IFI et les élites compradores sont toujours disposés à l’y aider. La RDC et « son Plan Marshall » ne pourraient pas faire exception.
La meilleure façon d’éviter la (mauvaise) répétition de l’histoire, note Peter Dale Scott, est de l’étudier. Souvent, les remises en question proactives de ce qui se passe en RDC sont fondées sur une approche critique de notre histoire. Mais aussi de la connaissance sans cesse approfondie des partenaires extérieurs et des Institutions Financières Internationales. A ce point nommé, il est bon de souligner l’avantage que certains d’entre nous ont de travailler en étant à la fois branchés sur les Congolais(es) de la base et les grandes productions scientifiques occidentales, asiatiques, latino-américaines et africaines sur les relations Nord-Sud. Malgré toutes les critiques que nous pouvons formuler à l’endroit de l’Occident, il a ses « iconoclastes » ; c’est-à-dire ces hommes et ces femmes qui, fiers de l’usage de leurs libertés fondamentales, travaillent à la mise sur pied des médias alternatifs et des pensées alternatives. L’ouverture de leur espace public à la liberté de la pensée leur permet d’être comptés parmi les grands critiques du dysfonctionnement du système néolibéral sous lequel l’Afrique (et la RDC) croupit. Ils sont convaincus de la force des idées dans le renouvellement du coprs sociétal dans son entièreté.
Prenons un exemple. Les études du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde) sur les dégâts causés par le FMI, la Banque Mondiales et toutes les IFI avec lesquelles ces institutions de Bretton Woods travaillent sont d’une richesse inimaginable au sujet des procédures auxquelles elles recourent pour noyauter l’indépendance économico-politique des pays africains. (Malheureusement, il arrive que les renvois à la documentation dont se sert le CADTM ou celle qu’il produit soient interprétés comme une forme de pédantisme de la part de certains compatriotes africains et congolais habitués aux solutions prêtes-à-porter et rebelles aux efforts enrichissants de la recherche multidimensionnelle. )
La lecture d’un petit livre d’Eric Toussaint intitulé « Procès d’un homme exemplaire », par exemple, vient confirmer toutes les analyses faites sur le dysfonctionnement de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international par des auteurs tels que Joseph Stiglitz et Aminata Traoré[1]. Après avoir constaté que les institutions de Bretton Woods avaient contribué à entretenir « une grande désillusion » au sujet de leur efficacité économique en 2002, Joseph Stiglitz a indiqué, en 2003, que le système que servaient ces IFI, le capitalisme, avait perdu la tête.
Et quand, une décennie après, nous apprenons que la Banque Mondiale va participer à la réalisation du Plan Marshall dans un pays où le code minier qu’elle a dicté aux gouvernants a favorisé la prise en otage de ce pays par les multinationales et les autres « petites mains » du capitalisme sauvage, nous nous disons que le pire au Congo dit RDC est encore à venir.
Pourquoi ? A partir de la relecture de notre histoire via Eric Toussaint[2], nous apprenons que la BM et le FMI ont contribué à l’imposition d’une dette odieuse à la RDC en finançant les projets présentés par Mobutu même quand ces IFI savaient qu’une bonne partie de ce financement était utilisé par le dernier Maréchal de l’Afrique pour ses dépenses de prestige, pour son enrichissement illicite et la consolidation de sa dictature aux dépens de la population congolaise meurtrie, appauvrie, niée dans sa dignité humaine. Ce faisant, ces IFI ont créé un vivier où les aigris de tous bords étaient disposés à vendre leurs âmes au premier « libérateur » sans un minimum de discernement.
Ce soutien à la dictature a réussi grâce à la complicité entre certaines entreprises occidentales et une certaine élite européenne représentant leurs intérêts au sein de ces IFI. Pendant la période de la dictature mobutienne, ces IFI ont imposé au Zaïre les PAS (programmes d’ajustement structurels). Ces PAS exigeaient au pays de Mobutu d’exporter ses matières premières brutes (sans valeur ajoutée) pour financer sa dette extérieure odieuse au mépris de l’agriculture vivrière proclamée « priorité des priorités ». Mais aussi au dépens des droits économiques, sociaux et culturels : la santé, la création des emplois, l’habitat sain, les salaires de la fonction publique, l’école, etc. devaient être les parents pauvres de la deuxième République. En revanche, l’exportation des matières premières brutes permettaient d’acheter les produits finis des entreprises occidentales représentées à la Banque Mondiale et au FMI par une certaine élite européenne. Et sur le 1$ investi dans ces IFI, elles gagnaient plus ou moins 7 $. Tous les documents récents du CADTM auquel appartient Eric Toussaint attestent que ce système n’ a pas positivement changé. Il s’est au contraire « amélioré ». Et quand nous apprenons que la BM va participer au plan Marshall en RDC, notre inquiétude est grande. Pour cause.
La guerre de basse intensité imposée à la RDC depuis plus ou moins trois décennies a eu raison des remises en cause sérieuses des IFI. Depuis cette guerre dite de « libération », le Congo travaille avec les IFI. (C’est la BM qui lui a imposé le code minier néolibéral.) Les élites compradores à ses commandes sont loin de comprendre le fonctionnement de la machine infernale de ces IFI quand elles n’en sont pas tout simplement que des complices. Et l’imaginaire violé de plusieurs d’entre nous disqualifie, sans analyse fouillée, toute critique sensée à l’endroit de cette machine infernale. Vous en avez qui vous disent : « Ah ! Le plan Marshall n’est pas encore mis en œuvre et vous commencez à le critiquer ». Par ignorance, complicité ou paresse intellectuelle, ces compatriotes refusent d’étudier le fonctionnement passé et présent des IFI et des élites compradores dont elles se servent pour mettre en coupe réglée le Congo de Lumumba. Ils s’en prennent à leurs compatriotes critiques en leur demandant de dire tout simplement ce qui doit être fait pour que « le Congo sorte de sa crise » sans en connaître les acteurs mineurs et majeurs et leur mode opératoire en réseau.
Le viol de l’imaginaire a convaincu plusieurs d’entre nous que le bonheur du Congo sera fait (d’abord) par ses agresseurs d’hier et d’aujourd’hui. Ils ne se rendent même pas compte que les africains ayant essayé des solutions assez originales allant dans le sens de produire un bonheur collectif partagé ont été simplement trucidés. Le cas de Kadhafi est plus que parlant.
Que voulait-il après avoir réussi à diriger son pays, la Libye, sans dette extérieure ? Contrôler les réserves énergétiques de son pays, soutenir les efforts de développent africain et souverain avec plus de 150 milliards de dollars, participer activement à la création d’une Banque d’investissement africain par le biais de l’UA, soutenir la naissance d’une Banque centrale africaine et d’un Fonds monétaire africain. Il voulait aussi participer à la naissance de la coopération Sud-Sud sur d’autres bases que celles du capitalisme sauvage en favorisant les ponts entre l’Amérique Latine et l’Afrique. Ce rêve a été brisé par « les petites mains » de la Banquemondiale et du FMI. Dès lors, comment croire que la participation de la BM au Plan Marshall au Congo va aider ce pays, ou sa partie Est, à voir le bout du tunnel ? Si le miracle pouvait se produire, les néolibéraux occidentaux se tireraient une balle dans le pied : ils perdraient leur réservoir de matières premières. Or qui perd le Congo perd l’Afrique. Pourquoi ? L’Afrique a la forme d’un révolver dont la gâchette se trouve au Congo, disait Frantz Fanon. Donc, il sera difficile aux néocoloniaux de perdre le Congo. Surtout de laisser ce pays évoluer vers une démocratie participative et une réelle souveraineté gérées par ses dignes filles et fils. La lutte est âpre. Elle mérite d’être menée.
Il est possible qu’un miracle puisse survenir. Mais nous n’y croyons pas. (A suivre)
Mbelu Babanya Kabudi
[1] A. TRAORE, Le viol de l’imaginaire, Fayard, 2002.
[2] E. TOUSSAIN, Procès d’un homme exemplaire, Bruxelles, Al Dante, 2013.