Par Jean-Pierre Mbelu
« Pour prévoir l’avenir il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tous temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par des hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats. »
– N. Machiavel
Au fur et à mesure que le monde connaît des guerres menées par procuration, la guerre du Kongo-Kinshasa et des grands lacs africains se comprend mieux. Même si l’impression est que plusieurs compatriotes estiment qu’elle est différente des autres. Non. Les guerres par procuration se ressemblent. Ils détruisent les pays qui les mènent, leurs armées, leurs populations et dévastent leurs terres. Celles d’hier[1] et celles d’aujourd’hui[2] se ressemblent terriblement. Elles prennent à leur piège les ennemis des livres et des archives. Des Kongolais curieux pourraient s’amuser à lire quelques livres sur les guerres d’hier et d’aujourd’hui et se rendraient compte de cette évidence. De temps en temps, il est nécessaire de faire de petits rappels pour éveiller les somnambules, les paresseux et les ignorants.
La guerre et le chaos constructeur
Les années passent, des compatriotes kongolais ont tendance à perdre de vue que la guerre « par morceaux » menée contre le Kongo-Kinshasa est une guerre par procuration. Il est important de rappeler, comme Tshiyoyo l’a fait dernièrement[3], que ce n’est pas une guerre contre l’Est du pays. Non. Cette guerre raciste de prédation et de basse intensité est menée contre tout le pays. Il suffit d’un peu de lucidité et de discernement pour se rendre compte que l’illusion de sa concentration à l’Est du pays est trompeuse. Elle tient, depuis 1885, à transformer le Kongo en un simple réservoir de matières premières pour « les vainqueurs » de la Seconde Guerre mondiale[4] et en faire perpétuellement un « Etat-raté-manqué ». Elle orchestre le chaos dit constructeur.
Ce n’est pas une guerre contre l’Est du pays. Non. Cette guerre raciste de prédation et de basse intensité est menée contre tout le pays. Il suffit d’un peu de lucidité et de discernement pour se rendre compte que l’illusion de sa concentration à l’Est du pays est trompeuse. Elle tient, depuis 1885, à transformer le Kongo en un simple réservoir de matières premières pour « les vainqueurs » de la Seconde Guerre mondiale et en faire perpétuellement un « Etat-raté-manqué ».
Qu’est-ce que cela veut dire ? En s’intensifiant en un ou trois endroits, elle provoque « le génocide ». Elle crée des déplacements internes poussant à une forte concentration des populations kongolaises dans certaines villes incapables de pouvoir les gérer rationnellement. Le banditisme, le vol, les massacres, les assassinats, la faim, la haine, la violence, etc. y explosent. Souvent, dépenses faites pour assurer la légitime défense du pays empêchent une prise en charge conséquente des questions essentielles liées au vivre-ensemble. Les ennemis internes en profitent. Ils se laissent corrompre par les ennemis externes et/ou détournent l’argent devant servir l’intérêt général.
D’ailleurs, la notion de l’intérêt général n’existe presque pas et « le ki lelo » prend beaucoup de place dans plusieurs coeurs et plusieurs esprits. Pour eux, ce qui importe, c’est l’immédiat : « Lona lelo, buka lelo, lamba lelo, lya lelo ». La texture du temps long comprenant le passé, le présent et l’à-venir se perd dans cette approche consumériste hédoniste. Elle fait voler en éclat la solidarité au profit des interminables rivalités ; la concurrence et la compétitivité prennent la place de la coopération-même conflictuelle- dans presque tous les domaines de la vie.
Bref, les coeurs et les esprits corrompus par la culture hégémonique néolibérale triomphante sombrent dans le fascisme. « La guerre de tous contre tous » devient l’option préférentielle pour ces victimes innocentes, ignorantes et/ou consentantes de la stratégie du « chaos constructeur ». « Les petites mains du Capital » l’ayant orchestrée en profitent pour contrôler les cerveaux et faire main basse sur les richesses du sol et du sous-sol kongolais et cela à moindre coût. Donc, ce chaos construit un ordre-désordre contrôlé par « les petites mains du Capital » et ses fondés de pouvoir.
Violentés par « la sorcellerie capitaliste », ces coeurs et ces esprits kongolais en viennent à comprendre de que cette stratégie en est la résultante.
Pourquoi cette « guerre de tous contre tous »?
Pourquoi cette « guerre de tous contre tous »? Pour la dépopulation du pays, pour sa déculturation, pour sa déstructuration, pour l’accaparement des terres kongolaises, pour le contrôle des énergies et des matières premières stratégiques, pour sa balkanisation et son implosion en de petits morceaux pouvant poursuivre »la guerre de tous contre tous » jusqu’au dernier kongolais. Bref pour un désir de domination hégémonique. Michel Collon soutenait, à raison, il y a déjà quelques années, que « les trois grands blocs (Etats-Unis, Europe, Japon) mènent la guerre chaude, froide ou tiède, contre les peuples du tiers-monde. Mais ils se font aussi la guerre entre eux pour savoir qui va dominer le monde et ses richesses. La guerre économique bien sûr. Mais aussi la guerre politique et, dans certaines conditions, militaire. Quand le rapport de forces change entre les grandes puissances, quand une superpuissance vent en remplacer une autre, ou simplement la priver de l’accès à certaines matières stratégiques, cela se règle aussi par la violence. Soit directement, soit indirectement par ‘intermédiaires d’Etats ou de mouvements contrôlés. La guerre est le moyen pour repartager les richesses du monde, c’est-à-dire les sources de profits. [5]»
Pourquoi cette « guerre de tous contre tous »? Pour la dépopulation du pays, pour sa déculturation, pour sa déstructuration, pour l’accaparement des terres kongolaises, pour le contrôle des énergies et des matières premières stratégiques, pour sa balkanisation et son implosion en de petits morceaux pouvant poursuivre »la guerre de tous contre tous » jusqu’au dernier kongolais. Bref pour un désir de domination hégémonique.
A l’heure actuelle, les BRICS font partie de ces grands blocs et la Chine tend à remplacer les USA comme superpuissance économique. Géoéconomiquement, le Kongo-Kinshasa ne peut pas ne pas tenir compte de cette nouvelle donne dans sa lecture de la guerre perpétuelle qu’il subit en se limitant à ses intérêts commerciaux. Cela d’autant plus que le changement de rapport de forces entre les USA et la Chine ne relève pas de sa responsabilité. Au niveau mondial, la géopolitique de « la route de la soie » n’est pas à négliger du point de vue des analystes.
Au niveau africain, géopolitiquement, cette guerre de basse intensité empêche l’Afrique de s’unir afin de peser dans la balance des rapports de force dans un monde (encore) dominé par « le capitalisme dégradant et honteux » comme dirait Patrice Lumumba.
Donc, analyser la guerre menée par procuration contre le Kongo-Kinshasa en simples termes d’intérêts commerciaux sans tenir compte de ses dimensions géostratégiques, géopolitiques et géoéconomiques (globales) me semble être une erreur monumentale. Une telle analyse serait simpliste et risquerait de présenter aux Kongolais(es) « une alternative infernale »: « La guerre est une stratégie du néolibéralisme ; mais il n’y a pas d’alternative à cela, faisons avec. Contentons-nous d’attaquer les proxies du système en croyant qu’ils seront mis hors d’état d’agir afin que nous reprenions leur place sans rompre avec ce système. »
Une petite conclusion : les Kongolais(es) face à « l’alternative infernale »
Le Kongo-Kinshasa semble être victime consentante (ou maligne?) de cette « alternative infernale ». Il a rompu avec une « Idée régulatrice ». Idéologiquement, il aurait étudié en profondeur Lumumba, et se serait rendu compte que produire « l’en-commun » en rompant avec »le capitalisme dégradant et honteux » est possible. Il serait devenu l’allié des pays africains engagés sur la voie du souverainisme en coopérant avec les ténors socialistes du Sud Global.
Les questions idéologiques font rarement partie du débat politique kongolais. Sinon, après le passage du Pape François à Kinshasa, lorsqu’il a affirmé qu’après le colonialisme politique, le colonialisme économique ravage le pays, les Kongolais(es) l’ayant applaudi auraient commencé à étudier individuellement et collectivement comment opèrent »les petites mains » du Capital et comment faire pour qu’elles se retirent ? Ce débat collectif n’a pas encore eu lieu.
Malheureusement, des politicards kongolais fascistes sont intéressés par les débats pouvant leur permettre de faire comme Néron incendiant Rome. Ils veulent participer au feu que les initiateurs du « chaos constructeur » veulent mettre au pays. Ils évitent, comme de la peste, les questions idéologiques. En fait, les questions idéologiques font rarement partie du débat politique kongolais. Sinon, après le passage du Pape François à Kinshasa, lorsqu’il a affirmé qu’après le colonialisme politique, le colonialisme économique ravage le pays, les Kongolais(es) l’ayant applaudi auraient commencé à étudier individuellement et collectivement comment opèrent »les petites mains » du Capital et comment faire pour qu’elles se retirent ? Ce débat collectif n’a pas encore eu lieu.
L’un ou l’autre compatriote, marxiste et/ou souverainiste produit régulièrement des textes sur cette question sans qu’il fasse des émules. Malheureusement…
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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