Par Jean-Pierre Mbelu
« La sagesse est l’art de vivre, l’art de se laisser enseigner par la vie pour bien vivre. » – F. LAUPIES
Dans mon dernier article[1], j’ai essayé, en me servant des sources disponibles, de (re)donner le sens de la guerre raciste de prédation et de basse intensité que connaît le Kongo-Kinshasa depuis plus de trois décennies.
En plus du fait que ses minerais stratégiques en sont l’objectif majeur, ses terres sont aussi dans la ligne de mire. L’extermination de ses filles et fils participe de la dépopulation des Grands Lacs africains. Pour cela, il y a beaucoup d’argent en jeu. Il joue sur les alliances. Il les fait et les défait. Elles changent régulièrement. Les accords signés ne sont pas respectés. Souvent, ils participent de la tactique du « talk and fight ». La multiplication des négociations ne produit pas de fruits escomptés. Pourquoi ? « Lokoso eliki ». Et ce « lokoso » renvoie à un mystère : celui des êtres inquiets de leur être.
L’identité culturelle essentialisée
Au cours de cette guerre, lorsque la question identitaire se pose, sa réponse se limite à l’identification des ethnies qui y seraient impliquées. L’identité culturelle essentialisée réduit ces africains en guerre perpétuelle à leurs appartenances tribales ou ethniques. Ce réductionnisme voulu ou fabriqué pour le besoin de la cause phagocyte l’identité humaine des belligérants et autres seigneurs de la guerre. Une approche anthropologique plurielle pourrait aider à appréhender la question métaphysique et spirituelle que le comportement de ces africains pose.
Ces africains des Grands Lacs qui identifient la politique aux « affaires » et qui, après avoir accumulé beaucoup d’argent, en veulent encore plus et prennent les armes s’ils perdent « le pouvoir-os », qui sont-ils réellement ? Souvent, des pantins semblables à leurs parrains. Mais aussi, des esprits déstabilisés.
Ces africains des Grands Lacs qui identifient la politique aux « affaires » et qui, après avoir accumulé beaucoup d’argent, en veulent encore plus et prennent les armes s’ils perdent « le pouvoir-os », qui sont-ils réellement ? Souvent, des pantins semblables à leurs parrains. Mais aussi, des esprits déstabilisés. « (…) On peut y voir le signe d’esprits déstabilisés par un sentiment de toute-puissance sur les hommes, qui ne leur permet pas pour autant d’échapper à leur propre condition humaine. », comme dirait l’anthropologue et l’historien français Emmanuel Todd. Faisant allusion à ceux que ces pantins ressemblent, il ajoute : « Nous avons affaires ici à des êtres humains un peu plus perdus que les autres et au fond, à l’opposé de ce que suggère l’économisme ambiant, un peu moins rationnels et raisonnables. »
Donc, la question fondamentale est celle de l’acceptation de leur condition humaine marquée par la finitude et la vulnérabilité. Ils sont, comme tous les autres humains, portés par le désir du désirable dont la satisfaction ne comble pas le manque [2]. Ils sont marqués par une fêlure[3] que tout l’or du monde, tous les crimes qu’ils orchestrent et les titres honorifiques ne pourront jamais refermer.
Ils ont perdu le sens culturel et spirituel de la vie bonne
Ils peuvent passer d’une négociation à une autre sans qu’ils trouvent des réponses adéquates à l’angoisse existentielle qui les tenaille. Ils ont perdu le sens du réel et leur besoin de pousser les limites de ce qui est possible est de plus en plus irrépressible.(E. Todd) Ils ont complètement perdu le sens culturel et spirituel de la vie bonne.
A moins que ces négociations s’engagent sur la voie d’une bonne « éthique reconstructive » de tous les pays des Grands Lacs en général et de chacun d’eux en particulier, il n’y aura rien de bon à en attendre.
A moins que ces négociations s’engagent sur la voie d’une bonne « éthique reconstructive » de tous les pays des Grands Lacs en général et de chacun d’eux en particulier, il n’y aura rien de bon à en attendre. Non. La question est anthropologiquement métaphysique et spirituelle.
S’engager sur la voie d’une bonne « éthique reconstructive » devrait s’accompagner de l’autonomisation des collectifs citoyens à la base des Etats des Grands Lacs Africains et un peu plus particulièrement du Kongo-Kinshasa, de la refondation de la famille, de l’école, de l’université et de l’église afin qu’elles assument en conscience leur mission : contribuer à la promotion des forces de la vie matérielle, religieuse et spirituelle, en entretenant la reliance pour une vie bonne et/ou pour le bonheur collectif partagé. L’option de l’intégration sous-régionale avec des espaces de sécurité partagée et protégée devrait être inscrite à l’agenda d’une bonne « éthique reconstructive ».
Babanya
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