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Le Kongo-Kinshasa et la fin de la guerre de basse intensité. Essai sur le sens des négociations économiques avec les USA

Le Kongo-Kinshasa et la fin de la guerre de basse intensité. Essai sur le sens des négociations économiques avec les USA

Le Kongo-Kinshasa et la fin de la guerre de basse intensité. Essai sur le sens des négociations économiques avec les USA 1200 630 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Seule une mémoire collective claire, instruite de ce qui s’est réellement passé, assure au peuple martyr l’avenir qu’il est en droit d’espérer. » – Jean Ziegler

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux font allusion aux négociations qui auraient lieu entre les USA et les gouvernants kongolais au sujet de la guerre de basse intensité dont le pays souffre depuis plus de trois décennies. Sur X, l’ambassade des USA au Kongo publie ce message : « Lorsque nous affirmons notre engagement en faveur d’une paix durable, nous sommes sincères. Nous appelons à une paix durable en RDC, qui réponde aux préoccupations en matière de sécurité et pose les bases d’une économie régionale prospère. Nous nous engageons auprès des dirigeants à œuvrer en faveur de cette paix. » La lecture de ce message soulève quand même quelques questions. Pourquoi maintenant? Quel est le prix que le Kongo-Kinshasa va payer pour cette paix dite durable ? Quel est le problème systémique que pose la guerre de basse intensité au coeur de l’Afrique ? Les élections organisées aux USA ont-elles profondément modifié la stratégie capitaliste ? Quel peut être le sens des négociations dont il est question ?

Pour essayer de répondre à toutes ces questions, il me semble important de revenir au sens que revêt la fameuse guerre de basse intensité et au rôle qu’elle joue au coeur du système capitaliste. De cette compréhension pourrait dépendre les hypothèses à émettre sur la signification des négociations économiques entre la puissance américaine et le Kongo-Kinshasa. Telle est le fil rouge de cet article.

Une guerre de basse intensité, qu’est-ce que c’est ?

La dénomination de la guerre imposée au Kongo-Kinshasa depuis les années 1990 a une signification à comprendre pour mieux plancher sur son issue. Cette guerre dite de basse intensité est une guerre que les grandes puissances orchestrent par des proxies interposés. Elle est une guerre que ces grandes puissances mènent par procuration.

Cette guerre dite de basse intensité est une guerre que les grandes puissances orchestrent par des proxies interposés. Elle est une guerre que ces grandes puissances mènent par procuration.

Etudiant cette guerre, Michel Collon trouvait que le terme « basse intensité » était trompeur. « Il peut donner l’impression que les dégâts sont moindres. En réalité, ils ne sont moindres que pour les Etats-Unis. Ainsi, la guerre dite de basse intensité que Washington a déclenchée contre le Congo (à travers les armées du Rwanda et de l’Ouganda voisins, et à travers diverses milices), cette guerre a fait cinq millions de morts et elle a paralysé le développement du Congo.[1]»

Au coeur de l’Afrique, cette guerre est celle de « l’impérialisme intelligent » au service des « usurpateurs » du pouvoir que sont les multi, les transnationales et les transcontinentates. En d’autres termes, cette guerre a lieu au moment où les entreprises privées usurpent le véritable pouvoir politique au détriment des Etats tout en ayant besoin d’eux pour les protéger.

Noam Chomsky souligne que « c’est la transformation majeure de ces vingt-cinq dernières années : beaucoup des grandes décisions politiques ont consisté à transférer le pouvoir du secteur public au secteur privé.[2]» Susan George explicite d’avantage cette « usurpation du pouvoir » par les entreprises transnationales (ETN). Elle écrit : « Les ETN interviennent jusque sur la scène internationale. Non contente d’avoir détourné à leurs profits les fonctions exécutives, législatives et même judiciaires de l’Etat, les transnationales mettent à présent le grappin sur les Nations unies. Cette infiltration ne s’est pas faite clandestinement, mais à l’invitation du Secrétaire général en personne, par l’entremise du Pacte mondial des Nations unies qui sert les ambitions de la classe de Davos : devenir maître du monde.[3]» Susan George ajoute : « Le Forum économique mondial est bien décidé à reprendre en mains tout ce qui, à ses yeux, fait l’objet d’une gestion défaillante de la part des gouvernements ou des organismes intergouvernementaux, depuis la finance jusqu’au droit maritime. L’organisme autodésigné pour procéder à ce remplacement des gouvernements par des entreprises est plus connus sous le toponyme de Davos et son programme s’intitule, en toute modestie, Initiative de restructuration mondiale.[4]»

Une tactique commerciale et une stratégie capitaliste

Eu égard à ce qui précède, la guerre de basse intensité que subit le Kongo-Kinshasa est à situer dans ce contexte où les entreprises privées ont détourné et/ou instrumentalisé le pouvoir étatique. Dans ce contexte, cette guerre devient une « simple tactique commerciale ». « En fait, écrit Michel Collon, il s’agit d’une simple tactique commerciale. Il s’agit d’imposer aux pays récalcitrants que leurs richesses soient placées sous le contrôle de telle ou telle multinationale. Ce qui implique de dominer la vie économique et politique de ce pays.[5]»

Les Etats où le pouvoir est usurpé par les ETN sont gérés par les fondés du pouvoir du Capital. Lorsque ces derniers soutiennent qu’ils veulent mettre fin à une guerre, ils savent que le rapport de forces joue en faveur du Capital. C’est-à-dire que l’objectif majeur poursuivi par leur guerre menée par procuration est atteint. Les Etats jugés récalcitrants ont été affaiblis et qu’ils sont prêts à négocier leur abdication en payant aux ETN le prix qu’il faut.

Certains pays, et surtout les grandes puissances, considèrent le contrôle des matières premières stratégiques, du gaz et du pétrole comme faisant partie de leur sécurité nationale. Et elles mènent des guerres afin que leurs rivaux ne puissent pas y avoir accès. Pour le cas des Grands Lacs Africains, il ne faudrait pas oublier que les Etats-Unis, après la chute du mur de Berlin, avaient décider qu’ils ne devaient plus être la chasse-gardée de la Belgique et de la France.

En fait, tout en étant au service de leurs « usurpateurs », « les trois grands blocs (Etats-Unis, Europe, Japon) mènent la guerre chaude, froide ou tiède, contre les peuples du tiers-monde. Mais ils se font aussi la guerre entre eux pour savoir qui va dominer le monde et ses richesses. La guerre économique bien sûr. Mais aussi la guerre politique et, dans certaines conditions, militaire. Quand le rapport de force change entre les grandes puissances, quand une superpuissance veut en remplacer une autre, ou simplement la priver de l’accès à certaines matières premières stratégiques, cela se règle aussi par la violence. Soit directement, soit indirectement, soit indirectement par l’intermédiaire d’Etats ou de mouvements contrôlés. La guerre est le moyens fondamental pour se repartager les richesses du monde, c’est-à-dire les profits.[6]» (p.20-21)

Contrairement à ce que d’aucuns pensent, l’usurpation du pouvoir étatique par les multi, les transnationales et les transcontinentales est le fait du capitalisme du désastre. Les élections dites « démocratiques » n’y changent absolument rien. D’ailleurs, « la démocratie a massivement représenté l’organisation, à une très large échelle, de l’impérialisme, du colonialisme et des guerres mondiales entassant les morts par millions. Elle se nourrit partout, cette « démocratie », d’une complicité générale avec le développement d’inégalités monstrueuses, accompagnée de l’idée que le capitalisme est la seule voie stratégique.[7]» Il s’agit d’une question systémique. Les Etats où le pouvoir est usurpé par les ETN sont gérés par les fondés du pouvoir du Capital. Lorsque ces derniers soutiennent qu’ils veulent mettre fin à une guerre, ils savent que le rapport de forces joue en faveur du Capital. C’est-à-dire que l’objectif majeur poursuivi par leur guerre menée par procuration est atteint. Les Etats jugés récalcitrants ont été affaiblis et qu’ils sont prêts à négocier leur abdication en payant aux ETN le prix qu’il faut.

Michel Collon le rappelle. « La guerre contre l’Irak, chacun sait que c’est une guerre pour le pétrole, c’est-à-dire pour les bénéfices d’ Exxon et Chevron ? Mais c’est aussi pareil pour toutes les opérations « humanitaires » des grandes puissances. La guerre contre le Congo (menée par l’intermédiaire du Rwanda, de l’Ouganda et de certaines milices), c’est une guerre pour les bénéfices des multinationales du diamant, du coltan, de l’uranium et d’autres minerais.[8]»

Donc, la stratégie capitaliste est celle de la domination de la vie politique, de la vie économique, de la vie sociale et culturelle par le truchement de ses fondés de pouvoir, de leurs vassaux et de leurs « petites mains ». Mais aussi par la manducation des coeurs et des esprits des pans entiers des Kongolais(es) par « la sorcellerie capitaliste ».

Que peut signifier la négociation dans ce contexte ?

Quel sens peuvent bien avoir « les négociations » commerciales dans ce contexte ? Elles peuvent symboliser une remise aux calendes grecques de la souveraineté réelle du pays et de la renaissance nationale…Il se pourrait que « les négociations » dont il est question soient suivies d’un moment de répit pouvant ouvrir des brèches pour des assises de refondation au coeur de l’Afrique. Cette possibilité, même si elle soulève quelque doute, n’est pas à écarter. Elles pourraient être un moment d’échanges avec les responsables d’un pays qui a orchestré la guerre de basse intensité imposée au Kongo. Profondément, elles peuvent être le signe d’une capitulation face à la loi du plus fort.

Quel sens peuvent bien avoir « les négociations » commerciales dans ce contexte ? Elles peuvent symboliser une remise aux calendes grecques de la souveraineté réelle du pays et de la renaissance nationale…

Comment, au Kongo-Kinshasa, en est-on arrivé là ? A cause de la guerre de basse intensité devenue perpétuelle. A force d’entretenir, au cours de cette guerre, la confusion entre les acteurs apparents et les acteurs pléniers ; à cause de l’interchangeabilité entre les acteurs apparents et « les petites mains » du Capital. La négligence de la mémoire historique, la volonté d’ignorer, le refus d’apprendre, de désapprendre et de réapprendre ont mis plusieurs cerveaux kongolais à l’envers. Les remettre à l’endroit à partir des collectifs citoyens à la base de la société kongolaise où les pratiques de désenvoûtement peuvent être appliquées est indispensable à la renaissance de l’humain kongolais créateur du « solidarisme » et de « la tradicratie ouverte ».

En l’absence d’un ordre mondial juridique et éthique contraignant, tout ceci pourrait passer par une véritable démarche de refondation assumée par les résistants, les résilients, les survivants et les patriotes de tous les bords.

Babanya Kabudi

[1] M. COLLON, Les 7 péchés d’ Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009, p.393.

[2] N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretien avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Paris, Les arènes, , 2001, p.43.

[3] S. GEORGE, Les usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Paris, Seuil, 2014, p. 26.

[4] Ibidem.

[5] M. COLLON, Bush, le cyclone, Bruxelles, Oser dire, 2005, p.18.

[6Ibidem, p.21-22.

[7] A.BADIOU, Trump, Paris, PUF, 2020,p.68.

[8] M. COLLON, O. C., p. 19.

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