Par Jean-Pierre Mbelu
Lutter contre le capitalisme du désastre (comme matrice organisationnelle dominante du monde actuel) participe (aussi) de la guerre des idées. La gagner est plus dur que gagner la guerre des armes a partir de laquelle le renversement facile des rapports de force s’effectue. Et cette « guerre des hommes » a souvent besoin de cacher les idées, les stratégies, les méthodes et les moyens sur fond desquels elle se mène en recourant à la propagande, à la diabolisation de l’adversaire, et au mensonge. Dans cet article, nous parions que gagner la guerre des idées est possible. Et que cela est une étape importante dans les luttes d’émancipation de la recolonisation (mentale et politique) en RDC, en Afrique et partout au monde.
Une certaine approche des dégâts causés par la montée du capitalisme du désastre incite à croire que les critiques de ce système sont des « nationalistes » vivant du déni permanent du réel. Cette approche privilégiant les rapports de force qu’elle estime toujours favorables au 1% de riches en guerre perpétuelle contre les 99% d’appauvris du monde entier tente de disqualifier toutes celles qui, pensant le Sud du monde, essaient de partir des remises en question de « la théologie universelle capitaliste [1]» telles qu’elles sont faites (surtout) au Nord (et au Sud). Il y a, en filigrane, dans cette approche, une invitation à s’éloigner des textes autres que ceux censés rédigés par « les théologiens » du capitalisme du désastre ; et même de tous les textes en général pour que les commentaires libres des « experts » servent de références indépassables. Il y a là comme une invitation à l’enchaînement de la pensée[2] ; une démarche propre aux « petites mains du capital » convaincues que s’il faut cacher certaines choses à certains « nègres », il faut les mettre dans les livres. Pourtant, en fréquentant les livres, nous nous rendons compte que certains bons critiques du capitalisme du désastre, au Nord du monde, ont conseillé « les petites mains du capital ».
Un exemple. Joseph Stiglitz, un ex-conseiller de Bill Clinton en matière d’économie, est un grand critique du dysfonctionnement des IFI[3]. Il est l’un de ceux qui ont cru, avant qu’éclate la dernière crise dans laquelle le Nord gît jusqu’à ce jour, que « le capitalisme avait perdu la tête[4] ». En étudiant ce système de plus près, il en est venu à se rendre compte que le triomphe du marché financier avait partie liée avec la crise des valeurs éthiques au profit du triomphe de la cupidité et des inégalités[5] , surtout dans le pays le plus capitaliste du monde, les USA. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, étudiant le fonctionnement du capitalisme financier de plus près, en est venu à croire qu’ « un autre monde (est possible) contre le fanatisme du marché ». En 2010, certaines « petites mains du capital » lui ont demandé de faire des propositions «pour une vraie réforme du système monétaire et financier international ».
Avoir accès aux livres de Joseph Stiglitz nous a permis de comprendre comment un pays comme le nôtre était recolonisé économiquement par les IFI interposées. Celles-ci ayant été depuis longtemps identifiées à « une grande désillusion » au Nord continuaient à orienter la politique économique de notre pays comme si de rien n’était.
(Et au Sud du monde, surtout en Amérique latine, certains pays ayant compris que le FMI et la Banque mondiale étaient « une grande désillusion » s’en étaient distancés sous l’impulsion du « Grand Leader » bolivarien, le Commandante Hugo Chavez.)
Avoir accès aux livres de Joseph Stiglitz nous a permis de désapprendre (sur plusieurs questions d’économie politique), de nous débarrasser par exemple, de l’idée saugrenue de « bailleurs de fonds », de reconnaître l’importance de l’Etat dans la régulation du marché mais aussi la capacité des oligopoles de le manipuler et de l’inciter à voter des lois qui leur soient favorables.
Malheureusement, pour plusieurs d’entre nous, il est plus facile d’apprendre (pour avoir des diplômes) que de désapprendre. Cela d’autant plus que le capitalisme du désastre, par le biais de ses « experts », ensorcelle ; « il mange les cœurs et les esprits[6] » en entretenant un discours et des clichés conduisant « les esprits affaiblis » à croire qu’il n’y a pas d’alternative possible à sa narration du monde, à son organisation de l’accès au pouvoir, à l’avoir et à l’être. Et pourtant, certaines pratiques de désenvoûtement existent (ou peuvent être créées) et peuvent être testées. Fidel Castro, Hugo Chavez, Rafael Correa, Evo Morales, Lula (dans une certaine mesure), etc. les ont essayé et ont réussi dans une large mesure ; chacun dans son pays et un peu à sa manière. Ils ont compris que le socialisme du XXIe siècle pouvait constituer une alternative au capitalisme du désastre.
Cela a pris du temps ; le temps qu’il fallait pour qu’ils travaillent au renversement de rapports de force en prenant appui -non sur les armées pour mener « une guerre humanitaire » et « sauver la démocratie »- sur leurs peuples organisés en partis politiques et en mouvements sociaux travaillant en synergie. Et en créant aussi des relations géostratégiques solides fondées sur le respect de la souveraineté et la solidarité. Au Venezuela, Maduro poursuit les efforts entrepris par le Commandante en essayant de gouverner « dans la rue ». Ensemble, plusieurs pays de l’Amérique latine ont compris qu’ils devaient, pour être forts, s’unir en promouvant l’intégration sociopolitique à travers les institutions comme l’ALBA, la CELAC , etc. Presque tous ont, après le renversement des pouvoirs au service du capital par les urnes, créé des Assemblées constituantes pour avoir, avec leurs peuples, des constitutions garantissant la participation populaire. Bref, ces pays ont prouvé, qu’en marge de la confrontation et de la compromission avec « les petites mains du capital », il était possible de choisir d’être « maître » chez soi ; sans idéalisation aucune. Ils peuvent être imités dans ce qu’ils ont réalisé de meilleur.
Ce détour par les auteurs (altermondialistes pour la plupart) et l’Amérique latine nous pousse à comprendre l’importance de la révolution idéologique, du désensorcellement collectif des cœurs et des esprits au cours d’une démarche d’émancipation des forces de la mort cupides et promotrices des inégalités au profit au 1% de la population du monde. Cette démarche est entreprise au Nord comme au Sud. La lutte pour l’émancipation du capitalisme du désastre a des dimensions locale, nationale, sous-régionale, continentale et mondiale.
Entre-temps, les « experts » de ce capitalisme ne dorment ni ne sommeillent. Ils tentent, par la guerre des idées, de continuer à l’imposer en convaincant « les esprits affaiblis » qu’un autre capitalisme est possible, « le péril rouge » pèse toujours sur nos têtes comme une épée de Damoclès, que la relecture de Marx, de Lénine, de Mao, etc. est un crime de lèse-intelligence qui ne peut être commis que par « les apprentis politiciens ».
En RDC, la recolonisation passe aussi par la guerre des idées. Nos populations sont tenues dans l’obscurité et dans l’obscurantisme. Le livre, le bon livre, est de plus en plus inconnu dans la plupart de nos écoles, instituts supérieurs et universités. Le débat public est quasi-inexistant et/ou confisqué par les pouvoirs d’occupation. Les textes secrets dont ces derniers se sont servis pour planifier la recolonisation de notre pays circulent sur Internet et cette machine n’est pas fréquentée par le ¾ de nos populations. Certaines habitudes de pensée entretiennent le colportage falsifiant les sources ou n’en tenant pas du tout compte. La culture de l’ignorance et de la paresse intellectuelle gagnent du terrain.
La semaine dernière (du 13 au 19 mai), les minorités organisées et agissantes ont fait circuler un texte sur Internet. Il s’agit d’un Mémorandum adressé au Conseil de sécurité des Nations Unies en 2008 intitulé « Génocide rwandais : le peuple crie justice. » Ce texte permet de comprendre le passage permanent entre négociations et reprises de la guerre de basse intensité dans la sous-région des Grands-Lacs africains. Il met à nu les stratégies concoctées par le duo Museveni-Kagame avec le soutien de leurs parrains anglo-saxons et la complicité de l’ONU pour mettre cette sous-région à feu et à sang en ayant comme référence Adolphe Hitler (et son nazisme). La stratégie de la tension interethnique y est mise au service de la recolonisation anglo-saxonne de cette partie de l’Afrique par « les nègres de service » interposés. L’infiltration des institutions de la RDC par les alliés du duo Museveni-Kagame sert le même dessein. Recoloniser en luttant contre toute tentative de démocratisation de cette sous-région, tel est l’un des objectifs majeurs de cette guerre de basse intensité anglo-saxonne.
A ce point nommé, la guerre des idées peut être évoquée. Quand les « experts » de « la théologie universelle capitaliste » nous parlent des pays de « vieille démocratie » pouvant « nous aider », ils font comme si la lutte contre la démocratie n’était pas « une vieille idée » dans ces pays dont le plus capitaliste (USA). Pour gagner cette guerre, ils se moquent du renvoi à certains livres comme celui de Danielle Mitterrand[7] traitant d’un centre d’études américain travaillant, déjà en 1948, à la promotion du « Grand Domaine » et classifiant la démocratie et les droits de l’homme parmi les idées illusoires. Ils font comme si cette lutte ne s’est pas poursuivie à travers « les cercles de pouvoir » comme la commission Trilatérale soutenant, à l’initiative de David Rockefeller, dans les années 60, la publication d’un livre intitulé « la crise de la démocratie ». Et selon les auteurs de ce livre, « il y avait crise de la démocratie parce que dans les années 60, les citoyens des pays représentés dans la Trilatérale avaient tenté d’entrer dans l’arène publique.[8] » Et « pour surmonter la crise, ils ont appelé à une plus grande modération de la démocratie. La vraie démocratie ne pouvait revenir qu’à condition que les citoyens redeviennent passifs et apathiques.[9] » Et cette lutte contre la démocratie participative est permanente dans les pays dits de « vieille démocratie » Susan George en témoigne en écrivant récemment « cette fois, en finir avec la démocratie[10] » et en appelant au changement de paradigme pour rompre avec « la théologique universelle capitaliste ». Elle n’est pas seule. Plusieurs journalistes et politologues occidentaux lui emboîtent le pas aujourd’hui. L’exemple de Michel Collon ( avec Bush, le cyclone ou Les 7 péchés d’Hugo Chavez), de Christophe Deloire et Christophe Dubois (avec Circus politicus) peuvent être cités.
Où voulons-nous en venir ? A cette question « bête » : « Comment des élites dominantes occidentales luttant contre la démocratie participative dans leurs propres pays et engagées dans la lutte à mort des riches contre les pauvres peuvent-elles soutenir les démarches conduisant à l’auto-détermination et à la souveraineté politique, économique et culturelle dans une Afrique riche en matières premières stratégiques et plus particulièrement en RDC comment certains d’entre nous voudraient nous le faire croire ? » Et nous y répondons en ces termes : « Elles ne peuvent pas du tout malgré leur rhétorique répercutée par leurs « experts ».»
En relisant le Mémorandum susmentionné, nous nous rendons compte que les luttes pour l’émancipation du capitalisme du désastre (avec ses programmes d’ajustement structurel et ses guerres permanentes) internes à l’Afrique, l’option levée (par certains africains à travers leurs partis politiques et mouvements sociaux) pour la démocratie « réelle », la peur suscitée par « le discours » de François Mitterrand à la Baule en 1989, les conférences nationales africaines, etc. ont créé une certaine inquiétude chez les initiateurs de « la guerre froide » …Fidèles à leur credo des « maîtres » incontestés et incontestables du monde, ils ont choisi de recoloniser la sous-région des Grands-Lacs africains, en y chassant la Belgique et la France , par « des nègres de service » interposés et à travers une guerre perpétuelle de basse intensité. Ils dénomment cela de l’impérialisme intelligent !
Dans ce contexte, agir efficacement, nous exige (aussi) d’être des masses critiques (= plusieurs minorités organisées et interconnectées) à gagner la guerre des idées contre le capitalisme du désastre et son désir permanent de remodeler l’Afrique (et le monde) avec l’aide de « ses petites mains expertes ». Et cette guerre se gagne dans l’entretien d’un lien permanent au livre, au débat, aux échanges provocateurs du changement de paradigmes, de croyances, etc. Cette guerre passe aussi par le désenchainement de la pensée au cœur de nos propres « cercles de pouvoir ». Elle est à la fois locale, nationale, sous-régionale, continentale et mondiale. Ces différents niveaux doivent pouvoir co-agir sous l’impulsion synergique des minorités organisées et agissantes « détribalisées ».
Mbelu Babanya Kabudi