Par Mufoncol Tshiyoyo
« Vous êtes le meilleur acteur du monde, mais même l’Oscar ne suffira pas à régler nos factures. » La pique de Donald Trump à Volodymyr Zelensky, lancée sous les ors de la Maison-Blanche, devient virale en quelques heures. Simple rodomontade d’un ex-président adepte de la provocation ou mise en scène calculée d’une stratégie plus vaste ? Si les médias y voient une gifle diplomatique et ses détracteurs une bouffée d’impulsivité, erreur : ce clash est un coup de sonde dans la guerre idéologique que mène l’entourage de Trump.
Peter Thiel, stratège de l’ombre, y orchestre une offensive contre l’Ancien Monde – celui de l’OTAN tentaculaire, des ONG nourries par l’USAID et des guerres « humanitaires » érigées en dogme.
Le théâtre de l’Apocalypse
Sous l’apparence d’une insulte se cache un calcul froid : transformer l’Ukraine en emblème d’un Ancien Monde à détruire. « En politique, rien n’est le fruit du hasard », martelait Franklin D. Roosevelt, le 32ᵉ président des États-Unis. Une maxime qui résonne comme un avertissement face à ce combat où chaque mot est un missile.
Peter Thiel, milliardaire et stratège discret, incarne une vision du monde qui transcende l’alternance électorale : une « Apocalypse » politique et culturelle, perçue non comme une catastrophe, mais comme une réinitialisation imposée par l’histoire à un Occident en déclin.
Depuis la marginalisation des Straussiens, une nouvelle pensée radicale a émergé au sein de la droite américaine, portée par des figures comme Steve Banon et Peter Thiel. Ce dernier, milliardaire et stratège discret, incarne une vision du monde qui transcende l’alternance électorale : une « Apocalypse » politique et culturelle, perçue non comme une catastrophe, mais comme une réinitialisation imposée par l’histoire à un Occident en déclin.
Une thèse qui résonne avec les analyses d’Emmanuel Todd dans La Défaite de l’Occident (2024), où il décrit un système occidental paralysé, incapable de s’adapter aux mutations géopolitiques. Mais là où Todd diagnostique un effondrement à amortir, Thiel y voit une opportunité de régénération par la rupture violente.
Thiel est l’un des rares intellectuels à avoir théorisé ce bouleversement bien avant le retour de Trump. Dans des tribunes au Financial Times et des entretiens percutants, il défend une restructuration radicale du pouvoir, rejetant les institutions démocratiques traditionnelles. Pour lui, Trump n’est pas un accident de l’histoire, mais un outil de subversion – dangereux pour ses adversaires, salvateur pour ses partisans.
Peter Thiel : du chaos fondateur à l’Apocalypse stratégique
Né à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) et ayant grandi en Afrique du Sud, comme Elon Musk, Peter Thiel partage avec lui un héritage commun : la cofondation de PayPal dans les années 1990, avant que leurs trajectoires ne divergent. Son investissement précoce dans Facebook consolide son statut d’acteur clé de la Silicon Valley et alimente sa conviction que la technologie et les plateformes numériques peuvent redéfinir les structures du pouvoir.
Derrière cette quête de transparence se dissimule un objectif plus ambigu : faire de la déstabilisation un levier de reconstruction. Reste à savoir si le chaos peut réellement engendrer un ordre viable, ou s’il ne devient pas, en lui-même, un mode de gouvernance perpétuel fondé sur l’instabilité.
Mais Thiel ne se limite pas à son rôle de financier visionnaire. Nourrie par Nietzsche, Carl Schmitt et Leo Strauss, sa pensée s’ancre également dans les théories de René Girard, notamment le concept de « rivalité mimétique » développé dans Des choses cachées depuis la fondation du monde (1983). Pour lui, l’Occident traverse une crise existentielle, miné par ses contradictions internes – une analyse qui rappelle la critique platonicienne (La République) de la démocratie libérale, jugée incapable de canaliser les excès de liberté et d’égalité. Cette vision le distingue de Musk : tandis que ce dernier mise sur l’expansion spatiale, Thiel ambitionne de réinventer la société terrestre.
Son projet repose sur un paradoxe : l’effondrement comme prélude à la renaissance. L’« Apocalypse » selon Thiel n’est pas une fin en soi, mais une rupture calculée, un chaos contrôlé visant à anéantir les institutions obsolètes pour instaurer un nouvel ordre. Contrairement au Déluge biblique, porteur de purification morale, cette Apocalypse relève d’une stratégie froide et délibérée : créer un vide institutionnel propice à une restructuration radicale du pouvoir.
Cette logique transparaît dans sa tribune du Financial Times du 10 janvier 2024, A Time for the Truth, où il associe le retour de Trump à la Maison-Blanche à un « dévoilement » des vérités occultées : de l’assassinat de JFK à la gestion de la pandémie. Pour Thiel, ce processus dépasse le cadre américain : il englobe des enjeux globaux, comme le conflit ukrainien, où il s’agirait de révéler « qui est qui et qui a fait quoi ». Mais derrière cette quête de transparence se dissimule un objectif plus ambigu : faire de la déstabilisation un levier de reconstruction. Reste à savoir si le chaos peut réellement engendrer un ordre viable, ou s’il ne devient pas, en lui-même, un mode de gouvernance perpétuel fondé sur l’instabilité.
Deux modèles antagonistes viennent contredire cette vision. D’une part, la Chine, où le Parti communiste combine contrôle social et avancées technologiques pour imposer une autorité high-tech bien plus stable que le chaos prôné par Thiel. D’autre part, la Russie, dont les accords supposés avec Trump (levée des sanctions contre un frein à l’OTAN) suggèrent que l’« Apocalypse » pourrait se réduire à un simple marchandage géopolitique.
Reste une énigme : quelle place Thiel réserve-t-il à ces puissances dans son scénario ? Cherche-t-il à les affronter, à les intégrer dans un nouvel ordre mondial ou simplement à exploiter leur influence pour précipiter le déclin occidental ? La réalité est plus complexe : ni Pékin ni Moscou ne se contenteront de jouer les figurants. Tandis que la Chine étend son emprise techno-industrielle en Afrique et en Asie, la Russie manie subversion et pragmatisme pour redessiner les équilibres géostratégiques.
Ainsi, si Thiel mise sur un effondrement contrôlé pour régénérer l’Occident, il devra composer avec des rivaux qui maîtrisent l’art du chaos mieux que lui. Ironie de l’histoire : son projet de rupture avec les règles établies pourrait se heurter à des acteurs pour qui ces mêmes règles sont des armes. L’« Apocalypse » tant annoncée risquerait alors de se muer en un théâtre où, loin de renaître, l’Occident verrait d’autres puissances écrire l’avenir – sans lui.
Silicon Valley vs. Washington : l’alliance des révolutions
Si Donald Trump incarne la lutte contre un « Ancien Régime » fantasmé, Peter Thiel, lui, ambitionne de le démanteler par la puissance disruptive d’Internet. Leur alliance, à première vue contre-nature, révèle pourtant une convergence idéologique inédite : l’« accélérationnisme réactionnaire » – un mélange de populisme conservateur et de rupture technocratique.
Mais cette convergence soulève une question centrale : Trump est-il un simple outil au service de la vision thielienne, ou partage-t-il son projet de chaos régénérateur ? Leur partenariat repose sur une dialectique paradoxale. D’un côté, une dérégulation ultralibérale favorisant les géants de la tech ; de l’autre, un protectionnisme identitaire ciblant la base électorale trumpiste. Objectif commun : exploiter les fractures sociales et géopolitiques pour imposer un ordre post-démocratique. « Les démocraties libérales sont des zombies : elles marchent, mais ne pensent plus », assène Thiel en 2023 à Stanford, résumant leur credo.
En faisant d’Internet un champ de bataille idéologique, Thiel cherche moins à libérer l’information qu’à « désintermédier » les institutions, remplaçant les gardiens de l’Ancien Monde par une architecture technologique contrôlée par une nouvelle élite. Reste l’ambiguïté ultime : cette révolution promet-elle un véritable transfert de pouvoir vers les citoyens, ou sonne-t-elle l’avènement d’une oligarchie techno-populiste, où chaos et contrôle coexistent au service d’un ordre encore plus centralisé ?
Cette stratégie s’incarne dans des figures clés comme J.D. Vance. Soutenu financièrement par Thiel dès 2020, l’auteur de Hillbilly Elegy – devenu sénateur de l’Ohio – symbolise la mécanique de l’« accélération réactionnaire ». Son discours mobilise le ressentiment de la classe ouvrière blanche contre les élites libérales, transformant les tensions sociales en levier de déstabilisation systémique.
La logique atteint son paroxysme avec le Distributed Idea Suppression Complex (DISC), concept clé forgé par Thiel. Selon lui, médias, bureaucrates et Big Tech collaborent pour étouffer les récits dissidents – comme lors de l’affaire Hunter Biden en 2020. Lorsque Twitter censure le New York Post après la révélation des e-mails compromettants, Thiel y voit la preuve d’un « complexe de suppression des idées » qu’il entend pulvériser.
Sa contre-offensive ? Financer des plateformes alternatives comme Rumble ou Truth Social, présentées comme des bastions de « transparence radicale ». En faisant d’Internet un champ de bataille idéologique, Thiel cherche moins à libérer l’information qu’à « désintermédier » les institutions, remplaçant les gardiens de l’Ancien Monde par une architecture technologique contrôlée par une nouvelle élite. Reste l’ambiguïté ultime : cette révolution promet-elle un véritable transfert de pouvoir vers les citoyens, ou sonne-t-elle l’avènement d’une oligarchie techno-populiste, où chaos et contrôle coexistent au service d’un ordre encore plus centralisé ? Le rôle de Trump est-il un simple levier stratégique pour Thiel ? Ou bien partage-t-il réellement cette vision du chaos fondateur ?
Conclusion : le clash comme rituel de passage – du spectacle à l’agonie
Le clash Trump-Zelensky ne fut pas un simple échange belliqueux, mais un rituel symbolique, une mise en scène dans la guerre idéologique que mène l’Occident contre lui-même. Dans ce théâtre de l’absurde, Peter Thiel officie en stratège de l’ombre, tandis que Trump incarne l’imperator moderne, usant de l’insulte comme outil de dévoilement. À l’image des Césars humiliant leurs généraux pour exalter leur auctoritas, ces provocations calculées révèlent les fissures du système… tout en désignant leur auteur comme l’ultime rempart contre le chaos qu’il orchestre.
L’Occident, civilisation fatiguée, cherche désespérément un remède. Mais son choix – un chaos calculé, un burn it all érigé en doctrine – ressemble moins à une prophétie qu’à la logique d’un pyromane en costard-cravate : allumer des incendies pour se croire, l’espace d’une nuit, maître des flammes.
Pourtant, derrière ce spectacle se cache une énigme : cette Apocalypse télévisée est-elle l’acte fondateur d’un projet cohérent… Ou un autodafé narcissique où l’Occident brûle ses propres mythes ? Quand Thiel finance le Seasteading Institute – utopie libertarienne oscillant entre génie et farce –, et que Musk réduit la guerre en Ukraine à des tweets sur Zelensky, la frontière entre vision prophétique et pantomime grotesque s’évapore. La révélation des fractures annonce-t-elle une catharsis salvatrice ? Ou bien scelle-t-elle le dernier acte d’une civilisation épuisée, préférant jeter ses récits au feu plutôt que de les réécrire ? La guerre, les vies, les territoires : tout devient matière première d’un storytelling mondialisé, où l’horreur se monétise en temps réel.
Une question persiste : une fois les braises de l’Apocalypse refroidies, qui maîtrisera les algorithmes structurant le réel ? Les libertariens de la Silicon Valley, persuadés de pouvoir renaître des cendres ? Ou bien les tsars du Kremlin et les IA chinoises, patientes hyènes de l’Histoire ? Thiel et ses alliés prétendent réinventer les liens entre pouvoir, vérité et technologie, façonnant l’avenir sur les ruines d’un présent moribond. Mais l’histoire enseigne une leçon cruelle : le chaos, même méticuleusement calculé, échappe souvent à ses architectes. L’Apocalypse thielienne sera-t-elle un phénix renaissant… Ou l’avènement d’un monde où l’instabilité permanente devient la monnaie d’échange des puissants ? La vérité est sans doute plus glaçante : cette Apocalypse n’est qu’un alibi commode pour des élites techno-politiques jouant aux apprentis sorciers. Dans leur grand jeu, l’Ukraine n’est pas un enjeu géopolitique, mais un décor interchangeable, une toile de fond jetable pour leurs expérimentations.
Dernière question, aussi cynique que l’époque : cette Apocalypse sera-t-elle streamée en direct sur TikTok, ultime content à l’ère de l’attention fracturée ? L’Occident, civilisation fatiguée, cherche désespérément un remède. Mais son choix – un chaos calculé, un burn it all érigé en doctrine – ressemble moins à une prophétie qu’à la logique d’un pyromane en costard-cravate : allumer des incendies pour se croire, l’espace d’une nuit, maître des flammes.
Pour les nouveaux scribes du pouvoir, qu’ils siègent à Ouagadougou, Bamako, Niamey, Palo Alto, Moscou ou Pékin, l’Occident n’est déjà plus qu’un chapitre clos de l’Histoire. Ses derniers soubresauts ressemblent à s’y méprendre à des râles d’agonie. Reste à savoir si ses convulsions seront interprétées, demain, comme des spasmes de renaissance… Ou simplement comme l’ultime jump scare d’un cadavre qui refuse de comprendre qu’il est mort.
Mufoncol Tshiyoyo, M.T.,
Think Tank La Libération par la Perception (Lp) et membre du mouvement La Dissidence « D »