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Mobutu et les consultations populaires: Un des rares moments de lucidité (Part. 1)

Mobutu et les consultations populaires: Un des rares moments de lucidité (Part. 1)

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Par Jean-Pierre Mbelu

Critiques acerbes des dictateurs que nous fabriquent « les petites mains du capital », il arrive que nous soyons très peu attentifs aux rares moments de lucidité dont ils ont pu témoigner. Souvent, nous préférons vanter les oligarques occidentaux ayant pris leurs peuples en otage à travers le système représentatif de la démocratie du marché économico-financier que de nous pencher sur « les dictateurs » qu’ils nous fabriquent pour questionner profondément leur parcours. Et peut-être nous inspirer de ce que leurs rares moments de lucidité leur ont permis d’expérimenter avec nos peuples.

Au moment où ce qui nous reste de classe politique au Congo se bat pour l’organisation hypothétique des concertations-dialogue, il est curieux que l’attention accordée au dialogue inter-congolais de Sun City ait volé la vedette au discours du 24 avril 1990, aux consultations populaires qui l’ont précédé et à la conférence nationale souveraine qui l’a suivi. C’est comme s’il y avait là tout un héritage que certains d’entre nous voudraient expurger de la réécriture de notre histoire par nous-mêmes !

La disqualification de nos « dictateurs » au moyen des manipulations et du phénomène de diabolisation orchestré par « leurs créateurs » conditionne souvent l’appréhension de la marche collective que nous avons pu effectuer avec eux. Voyons le cas de Mobutu à travers le récit qu’il nous brosse des consultations populaires lors de son discours du 24 avril 1990.

Aller à la rencontre de nos populations a permis à Mobutu de palper leur « sens élevé du nationalisme » et leur « maturité politique ». Après la lecture des mémos rédigés par les différentes composantes de nos populations, Mobutu relève ce qui suit : « De l’examen de ces mémorandums, j’ai été heureux de constater que le peuple n’a pas remis en cause un certain nombre d’acquis. En effet, de Bukavu à Matadi, de Lubumbashi à Kisangani, partout c’est l’affirmation de l’identité nationale, le souci de l’intégrité territoriale et la préservation de la paix retrouvée. Au-delà de ces acquis incontestés, le peuple exige des changements importants au niveau des cadres, des institutions ainsi que du fonctionnement de celles-ci. » Ce diagnostic ne semble pas avoir changé jusqu’à ce jour. Nous y reviendrons.

Ces mémos ont néanmoins, à 87%, soutenu le maintien du MPR comme Parti unique moyennant des réformes en profondeur. 13% seulement ont formulé le souhait du passage au multipartisme. Il y a plus. « Outre le choix porté sur le maintien du monopartisme ou sur l’instauration du multipartisme, l’analyse des mémorandums a également permis de déceler d’autres préoccupations du peuple que voici : la réhabilitation des trois pouvoirs traditionnels, à savoir : le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire ; le renforcement des pouvoirs de contrôle du Conseil Législatif et de tous les organes délibérants ; la responsabilisation de l’Exécutif tant au niveau central que régional devant les organes délibérants ; la dépolitisation de la Fonction publique, de la territoriale, des forces armées, de la Gendarmerie , de la Garde civile et des services de sécurité, exigeant pour ces derniers une profonde restructuration en vue de garantir en toutes circonstances les droits fondamentaux des citoyens et les libertés individuelles. » Au sujet des partis politiques, Mobutu placé face à sa conscience et après réflexion, choisira d’écouter la voix de la minorité (13% de mémos) et d’ouvrir le pays au multipartisme tout en exprimant sa peur de voir ce dernier se transformer en « multitribalisme ».

A ce niveau de notre analyse, nous pouvons soutenir que pour connaître nos populations, il est important de les approcher, de dialoguer avec elles. Les regarder de haut peut conduire à les minimiser et à mépriser leur capacité d’analyse politique. Malheureusement, cette expérience, par les remises en question qu’elle permet comporte « des risques » : elle ouvre à la démocratie participative et directe et coupe l’herbe sous les pieds des oligarques au pouvoir, les privilégiés du système communément appelé « les élites politiques » . Cette expérience prouve que nos populations, dans leur diversité, ne sont pas aussi « bêtes » que « les élites politiques » le croient : elles savent tenir aux « acquis » et exiger « des réformes en profondeur ». Telle est la pilule que « les dinosaures » mobutistes fondés sur un système patrimonialiste ont refusé d’avaler (avec l’appui leurs créateurs). Cette riche expérience n’a pas pu être poursuivie ; la conférence nationale souveraine en a réduit les dimensions en permettant un débat entre quelques « délégués » de nos populations sans que le va-et-vient soit maintenu entre les deux parties.

Mobutu aurait précédé Hugo Chavez dans le dépassement de la cassure politique entre le peuple et sa classe politique ; et dans celui de la cassure épistémologique entre le savoir des « élites politiques » et le savoir populaire. Lui, Hugo Chavez, engagé dans un processus révolutionnaire à partir d’en bas, en instaurant un dialogue permanent avec le peuple vénézuélien, était convaincu de ceci : « Le peuple est savant, les paysans doivent venir discuter avec nous, nous ne croyons pas que nous autres les penseurs soyons une élite. Non, pas du tout, le savoir du peuple est fondamental pour alimenter ces processus si nous voulons une véritable révolution. Le savoir populaire est illimité. » (Hugo Chavez communiquait en permanence avec le peuple à travers l’émission allo presidente. A sa mort (physique) des millions de vénézuéliens se sont identifiés à lui en disant : « Nous sommes tous des Chavez »)

Chez nous aussi, « le peuple[1] fut (et est) savant » .Sous Mobutu, il sut apporter sa part au diagnostic sur la misère anthropologique dont souffre notre pays en exigeant « des changements importants au niveau des cadres, des institutions ainsi que du fonctionnement de celles-ci. » L’institutionnalisation de la démocratie directe et participative par le biais des discussions permanentes permettant à ce peuple d’être partie prenante des décisions engageant « le vivre ensemble » aurait aidé notre pays à faire de grands bonds en avant (avec ses martyrs, ses conflits et ses résistances). Pour cause, l’institutionnalisation des consultations populaires comme mode de « gouverner » avec, par et pour le peuple aurait été un changement de paradigme important du point de vue de l’économie politique. Malheureusement « les dinosaures mobutistes » en ont décidé autrement en reléguant notre peuple au rang de simples applaudisseurs de « technocrates ». « Les nouveaux prédateurs » et « les surdoués » de la kabilie n’ont pas fait mieux. Présentement, ils font exprès d’oublier ces consultations populaires comme l’une des meilleures formes du dialogue avec la base et parlent de simples concertations autour du « raïs » pour créer « la cohésion nationale ». Ils ont peur du peuple réel. Et comme tous les oligarques, ils évitent de tomber « victimes » de sa grande capacité de remise en cause. Ils se contentent d’un régime représentatif de leurs intérêts égoïstes fondé sur le patrimonialisme[2], la fraude, la violence et tournant politiquement à vide. (A suivre)

Mbelu Babanya Kabudi

 


[1] Nous faisons la différence entre population et peuple. Celui-ci est pour nous synonyme d’une population organisée, responsable,  consciente de ses droits et libertés fondamentales, engagée dans la lutte pour son émancipation de toute forme d’esclavage volontaire. Mais aussi capable d’apporter, consciemment, sa part à l’édification de la cité.

[2] Dans les prochains mois, un livre écrit par « un témoin de l’intérieur » nous permettra de mieux approfondir le fonctionnement de ce  régime.

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