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Mobutu et les consultations populaires… (suite et fin)

Mobutu et les consultations populaires… (suite et fin)

Mobutu et les consultations populaires… (suite et fin) 606 391 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

L’application des mesures d’austérité dans les pays occidentaux pour le triomphe de la démocratie du marché économico-financier rend les oligarchies occidentales de moins en moins crédibles. Et quand les oligarques, « créateurs de nos dictateurs » les affublent de tous les noms d’oiseaux, leur rhétorique devrait être passé au crible de la critique en vue de savoir quels desseins ils veulent réellement servir. Le temps de gober « la théologie universelle capitaliste » culpabilisante distillée par leurs experts devrait être révolu.

De plus en plus, une sérieuse remise en question de la démocratie chez les « créateurs de nos dictateurs » est en train de devenir un secret de polichinelle. Pour avoir approché les institutions européennes afin de comprendre de plus près leur fonctionnement, Christophe Deloire et Christophe Dubois (deux journalistes français) sont arrivés à comprendre comment les Etats membres de l’UE s’étaient dépossédés de leur souveraineté au profit de la Troïka (BCE, Commission Européenne et FMI) et aux dépens de leurs peuples et de la démocratie[1].

Peu de temps avant eux, Michel Collon (journaliste belge), dans une étude consacrée à un Président sud-américain, Hugo Chavez, taxé de dictateur par plusieurs Présidents et médias du Nord, notait ce qui suit : « Sur un autre point (…), le Venezuela s’avère bien plus démocratique que les pays européens : le contrôle du peuple sur ses élus. Hugo Chavez, systématiquement accusé d’être autoritaire et dictatorial s’avère en fait un dictateur bien maladroit. Car une de ses toutes premières mesures a été de faire en sorte que les vénézuéliens puissent plus facilement se débarrasser de lui ! [2]» Pour ce faire, il a rendu possible la constitutionnalisation d’un référendum révocatoire en 1999. Celui-ci permet aux électeurs de se débarrasser de leurs mandataires publics s’ils estiment qu’ils ne tiennent pas leurs promesses électorales ou exercent mal leur mandat. Et en 2004, l’opposition vénézuélienne a eu recours à ce référendum pour se débarrasser de Chavez. Le Commandante s’est en bien tiré avec 59% de voix favorables après un large débat organisé à travers tout le pays. Plus récemment, Pierre Lévy, dans un style romantique, a publié un livre dans lequel il soutient que « les dirigeants européens ne supportent plus la démocratie ». Dans une interview accordée à Grégoire Lalieu et reprise par Investig’action, il dit ceci : « Démocratie et souveraineté renvoient en fait au même concept tel que nous l’avons hérité notamment des Lumières après des siècles de combat : chaque peuple est souverain, il ne doit pas y avoir de puissances au-dessus de lui pour lui dicter ce qu’il doit faire. Mais cette avancée politico-philosophique est devenue extrêmement gênante pour les tenants de la mondialisation et de cette gouvernance mondiale qui effacerait la souveraineté des peuples. Aujourd’hui, les dirigeants européens ne supportent plus la démocratie. Nous avons eu un exemple caricatural avec les referendums irlandais en 2001 et 2008 : la réponse n’était pas satisfaisante pour l’UE, les citoyens ont donc été contraints de retourner aux urnes. Autre exemple avec le referendum de 2005 en France. Malgré une opposition massive au traité constitutionnel, les dirigeants européens se sont arrangés pour refourguer le contenu du texte sous une autre forme[3]. »

Plus récemment encore, Guillaume de Rouville, dans un article bien sourcé historiquement, va plus loin en soutenant que les oligarchies gérant plusieurs pays occidentaux n’ont jamais opté pour la démocratie[4]. Elles ont servi leurs intérêts privés tout au long de l’histoire. Et elles sont en train de revenir sur certaines concessions faites à leurs peuples après la deuxième guerre mondiale en leur imposant des mesures d’austérité.

Pourquoi évoquons-nous ces différents textes ? Pour dire, comme Amin Maalouf, que les oligarques occidentaux, détracteurs de nos « dictateurs », n’ont plus grand-chose d’humanisant à proposer au monde[5]. Ces différents textes devraient nous pousser à toujours questionner les qualificatifs dont « les créateurs de nos dictateurs » les affublent, à lire par nous-mêmes les textes et la pratique de ces « dictateurs » en les intégrant dans notre héritage historique pour mieux orienter notre présent et notre avenir. De toutes les façons, la démocratie du marché économico-financier de l’Occident (et de ses experts) ne devrait plus constituer notre unique référence dans la requête (ou la reconquête) des idéologies émancipatrices de la RDC de l’impérialisme et du néocolonialisme. Il est plus que temps de fouiller davantage dans nos philosophies, traditions et cultures politiques et de regarder ailleurs. D’ailleurs, certains philosophes, journalistes, politiciens et médias alternatifs occidentaux ont compris cela et se tournent vers l’Amérique Latine. Dans l’interview susmentionnée, Pierre Lévy estime qu’ « on devrait, par exemple, beaucoup tirer de convergences de luttes avec les pays latino-américains. » Pourquoi ? Il répond : « Ils plaident pour des coopérations plus étroites, mais insistent en même temps pour que chaque pays garde et renforce sa souveraineté nationale. Solidarité et souveraineté ne sont pas contradictoires, la seconde est même une condition nécessaire à la première. »

Revenons au texte de Mobutu du 24 avril 1994. Ce rare moment de lucidité du Maréchal a comporté ses zones d’ombre. L’une de ces zones d’ombre fut la décision du Président de se situer théoriquement « au-dessus de la mêlée » pour échapper à la critique et au contrôle du peuple. « Le Chef de l’Etat, dit-il, est au-dessus des partis politiques. Il sera l’arbitre, mieux : l’ultime recours. Avec la révision constitutionnelle, le Chef cesse d’être le Chef de l’exécutif. De ce fait, il ne pourrait être soumis ni à la critique, ni au contrôle du conseil législatif. Il demeure le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité territoriale et constitue le dernier rempart de la nation. Tous les fils et toutes les filles de notre pays, membres ou non d’un parti doivent se reconnaître en lui. Et quoi qu’il arrive, en sa qualité de chef, se situant au-dessus de la mêlée, il s’engage à demeurer le dénominateur commun, c’est-à-dire le rassembleur, le pacificateur et l’unificateur. » Cette décision connut des dérapages dans son application. Au-dessus de la mêlée, « l’aigle de Kawele » se retira dans son village natal et passa une bonne partie de son temps sur son bateau ; à l’écart du Zaïre à pacifier et unifier. En effet, Mobutu était l’otage de son système, de sa cour et de ses parrains. Sa maladie, la fin de la guerre dite froide et le choix de nouvelles marionnettes dans la sous-région des Grands Lacs africains par ses parrains cassèrent ses ailes d’aigle. Il mourut au Maroc, seul, abandonné par « les vieux dinosaures ».

Après lui, Joseph Kabila, « Mobutu light », tirant un profit maximum de l’assassinat de Mzee Laurent Kabila va, avec l’aide de ses parrains, appliquer une partie de cette décision mobutiste en se mettant « au-dessus de la mêlée » et en « punissant » sévèrement et/ou en éliminant physiquement ses critiques par des « collabos » interposés; sans qu’il soit capable d’un leadership rassembleur, pacificateur et unificateur.

De 2001 jusqu’ à ce jour, Joseph Kabila n’a jamais été soumis à une quelconque reddition des comptes (en dehors du camouflet qui lui a été infligé aux élections de novembre et décembre 2011 et qu’il a méprisé en faisant un coup d’Etat pour régner par défi.)

(Des sources proches de « la Présidence », nous savons par exemple que son budget est de deux à trois fois supérieurs à celui de certaines provinces du pays ; sans compter les différentes opérations-retour dont il bénéficie (lui et sa kabilie) de gouverneurs de ces mêmes provinces[6]. Il ne rend compte à personne (au pays) ni de la gestion de ces sommes colossales, ni de sa politique en général.)

Que faire ? Il y a des solutions que dicte la pratique politique engagée aux côtés des masses populaires. D’autres sont dictées par certains moments favorables ; par le kaïros. Plusieurs autres ont été proposées par nos Pères et Mères de la Résistance et de l’indépendance. Un travail de reconquête de ces propositions au sein des « cercles d’étude » est indispensable. Pour notre part, nous estimons qu’il y a du travail à abattre au niveau individuel, collectif et structurel (institutionnel). Nous pouvons, petit à petit, nous guérir de toute haine contre nous-mêmes et contre autrui (la haine inhibe notre capacité de créativité, d’imagination et d’inventivité. C’est un sentiment négatif ; un poison autodestructeur.); nous décoloniser collectivement psychologiquement et travailler avec nos masses populaires afin que nous devenions ensemble « les démiurges » de notre devenir collectif. Comment ? Dans deux ou trois grands mouvements fédérateurs fondés sur la solidarité, l’égalité, la liberté et la coopération, entretenir et/ou susciter « nos Hugo Chavez ». Et avec eux, créer, dans un avenir proche, une assemblée constituante à même de constitutionnaliser les consultations populaires et/ou de créer des mécanismes de dialogue et débat permanents entre le système représentatif (les mandataires publics) et le peuple. Sans que personne ne soit placé « au-dessus de la mêlée ».

Hugo Chavez l’avait mieux compris. Avant d’adopter le référendum révocatoire comme moyen d’éviter les abus dans l’exercice du pouvoir des mandataires publics, « fut adoptée au Venezuela une Constitution consacrant la participation populaire dans toutes les affaires d’intérêt national et imposant l’obligation d’agir selon un Etat Démocratique et Social de Droit et de Justice, conception de l’Etat qui défie frontalement le fondamentalisme libéral et oblige l’Etat à se porter garant des droits fondamentaux des citoyens.[7] » Ceci fut le travail d’une assemblée constituante patriote, héritier de Bolivar, de luttes sociales et de la théologie de libération. (Cette bonne constitution fut le fruit de bons citoyens, de bons patriotes.) Et fort de son leadership visionnaire, rassembleur, pacificateur et unificateur, Hugo Chavez savait que pour que le peuple joue mieux son rôle, il a besoin d’un pouvoir économique conséquent. Il était d’avis que « le peuple n’aura pas de pouvoir économique aussi longtemps qu’il ne sera pas propriétaire des facteurs de production : la terre, les outils, la technologie, la connaissance, le capital, le travail» L’alphabétisation et l’éducation du peuple, l’appropriation populaire des moyens de production à travers les communes et les coopératives, la liberté d’expression (reconnue même aux médias de l’opposition), etc. l’ont aidé à créer d’ « autres Chavez », sans céder à l’ensauvagement. Après lui, les « autres Chavez » poursuivent son œuvre et croient qu’il est possible d’aller plus loin avec la démocratie directe et participative au moyen d’ « un gouvernement dans la rue ». Il a su passer le relais. Et à temps.

Pouvons-nous, en RDC, en arriver là ? Oui. A condition qu’avec nos mouvements des masses, nous puissions mettre au pas les vieux dinosaures mobutistes, les nouveaux prédateurs de la kabilie et le système néocolonial qui les porte et/ ou imaginer des alternatives crédibles portées par l’éthique de réconciliation et de responsabilité dans la justice. Au pays, par-ci par-là, des timides signes de refondation d’une autre économie politique sont visibles à travers le travail abattu en synergie par « les forces acquises au changement » ayant compris que la première révolution est celle des cœurs et des esprits. Il y a encore du chemin à parcourir…Il ne faut pas minimiser le cynisme de l’impérialisme et du néocolonialisme ainsi que celui de leurs marionnettes patrimonialistes.

Mbelu Babanya Kabudi


[1] C. DELOIRE et C. DUBOIS, Circus politicus, Paris, Albin Michel, 2012.

[2] M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’action, 2009, p. 300.

[3] G. LALIEU : « P. Lévy : Les dirigeants européens ne supportent plus la démocratie », www.michelcollon.info, 25 avril 2013

[4] G. DE ROUVILLE, L’oligarchie a fait un rêve, www.legrandsoir.info,  22 avril 2013

[5] A. MAALOUF, Le dérèglement du monde, Paris, Grasset, 2009.

[6] Un livre suffisamment détaillé écrit par « un témoin de l’intérieur » va bientôt mettre ces chiffres sur la place publique. Malgré ses limites, ce livre dévoilera les scandaleuses pratiques du « clan Kabila » en donnant  expliquant comment, de l’intérieur, la RDC est dépecée.

[7] S. JOSE ROCA,  Hugo Chavez et la pensée critique, www.legrandsoirinfo, 07 avril 2013. Les citations suivantes  sont tirées du même texte.

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