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« Manger l’argent. » Essai sur la perversion du lien politicard kongolais à l’argent

« Manger l’argent. » Essai sur la perversion du lien politicard kongolais à l’argent

« Manger l’argent. » Essai sur la perversion du lien politicard kongolais à l’argent 1080 810 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. » – Mt 6,24

« Sortez vos mains du Kongo », disait le Pape François aux vampires ayant transformé le Kongo-Kinshasa en leur chasse gardée. Mais comment sortir ces mains du Kongo lorsqu’elles sont marrionnettistes et ont réussi à appâter les politicards kongolais en les achetant ? Ils endettent le pays en « mangeant » l’argent qu’il produit ou qui est destiné à financé les projets. Heureusement que les procès en cours et/ou non aboutis en témoignent. Comment rompre avec une approche pervertie de l’argent en tant que  »nourriture » dans un pays où les disciples de celui qui a dit que l’homme ne vit pas seulement de pain se comptent par millions ? Dans un pays où les églises se retrouvant à tous les coins des rues côtoient un appauvrissement éhonté ?

En effet, dès que Mamon remplace le Dieu-Amour-Compassion dans les coeurs et les esprits, que l’argent au lien d’être un moyen devient une fin, il peut s’y développer une intelligence de la méchanceté et de « la violence diabolique ». Comment transmuter cette « violence perverse » en une « violence converse », capable de promouvoir la convivialité ? Tel est l’objet de cet article.

« Lekelayi tudie bietu »

« Lekelayi tuanji kuadia bietu ! » « Laisser nous manger (l’argent) à notre tour. » Tel est le message que certains politicards kongolais passent dès qu’ils arrivent  »aux affaires » et qu’ils verrouillent tous les canaux possibles et imaginables de rencontre entre eux et leurs compatriotes maintenus en dehors des « affaires » chaque fois que le régime change au Kongo-Kinshasa.

La politique est réduite à une mangeoire dans un contexte où l’argent perd sa valeur originaire d’usage et/ou d’échange. Il est dorénavant vu comme « une nourriture ».

Cette approche de l’argent le transforme en « nourriture ». La politique n’est plus conçue comme un lieu où la parole partagée et promouvant l’intersubjectivité critique permet de créer un bien-vivre ensemble, la vie bonne et la convivialité, une convivialité riche de la pluralité de ses sujets. Non. Elle est réduite à une mangeoire dans un contexte où l’argent perd sa valeur originaire d’usage et/ou d’échange. Il est dorénavant vu comme « une nourriture ». Il devient « un maître » assujettissant, réifiant, produisant des « sujets entravés ».

L’argent-nourriture et la violence diabolique

En effet, la nourriture, nous en avons besoin au quotidien. Les gourmands tombent dans la boulimie. Souvent, leurs gros ventres en témoignent. Mais aussi « les chantiers » qu’ils créent et sur lesquels ils veillent au quotidien. Les gros ventres peuvent se révéler, à la longue, comme étant des symptômes des maladies (physiques). Tout comme l’exclusion des autres de l’entre soi et la veille sur les chantiers peuvent être des maladies morales, éthiques et spirituelles. L’égoïsme, l’individualisme exacerbé, la cupidité, l’inconscience morale, l’impunité et « la prise sorcière » des coeurs et des esprits peuvent en être les symptômes. Ces maladies physiques, morales et spirituelles amoindrissent la résistance contre les ennemis intérieurs et extérieurs. Elles induisent une injustice sociale et une incohérence nationale rendant la résilience collective difficile et/ou impossible. Elles font que les victimes oublient que l’homme ne vit pas seulement de pain et qu’il a aussi (et surtout) besoin de la nourriture de l’esprit.

La perversion de la relation à l’argent a converti, plusieurs de ces politicards, en « sujets entravés ». C’est-à-dire des gens démunis, sans grande marge de liberté, sans lucidité ni discernement et ayant renoncé à la rationalité. Soumis à la recherche quotidienne de l’argent comme « nourriture », ils ont sombré dans la dystopie et dans l’aliénation.

Dans ce contexte où l’argent est une « nourriture » privilégiée et la politique une « mangeoire », l’exclusion des autres du  »banquet de la vie » peut être interprétée comme une  »violence diabolique ». Prétendre que ce contexte où les autres sont exclus est « une démocratie » est un mensonge. Cela d’autant plus que l’exclusion peut être vécue par ses victimes comme étant « leur suppression » de la vie, comme un « homicide ». Ce  « mensonge » et « cet homicide » porteurs de la « violence diabolique » fonctionnent, depuis Mobutu jusqu’à Fatshi, sur fond de la massification des majorités populaires. Cette massification est une manipulation. Souvent, elle passe par des djalelistes, par des atalaku, communément dénommés « communicateurs » ou « partisans ». Manipuler les majorités populaires, c’est les chosifier. C’est, en quelque sorte, les traiter comme des objets. C’est enfreindre l’interdit de « l’inceste ».

Donc, des compatriotes politicards qui, depuis Mobutu jusqu’à Fatshi, ont eu une relation perverse à l’argent ont, de l’intérieur, participé de l’entretien de « la violence diabolique » et se sont rendus vulnérables aux marionnettistes utilisant l’argent comme appât en vue de néocoloniser le Kongo-Kinshasa et d’en faire, perpétuellement, un « Etat raté » incapable d’ imposer « la peur du gendarme ».

La perversion de la relation à l’argent a converti, plusieurs de ces politicards, en « sujets entravés ». C’est-à-dire des gens démunis, sans grande marge de liberté, sans lucidité ni discernement et ayant renoncé à la rationalité. Soumis à la recherche quotidienne de l’argent comme « nourriture », ils ont sombré dans la dystopie et dans l’aliénation. Ils ont en horreur les compétences réfléchies et sont incapables des débats argumentés portés par une intersubjectivité critique. La quête quotidienne de « l’argent-nourriture » les pousse à croire que « le temps c’est de l’argent ».

Donc, ils n’ont plus du temps pour eux-mêmes. Ce temps de la méditation, du recueillement et du loisir indispensable à la maturation de l’esprit de lucidité et du discernement et à la lenteur dont la pensée a besoin pour être porteuse de convivialité. Non. Ils n’ont plus ce temps. Ils ont perdu « le commerce avec eux-mêmes » indispensable à l’éclosion de la conscience morale.

La philosophie pratique de la pluralité et l’éthique reconstructive

Ayant enfreint les interdit de « l’homicide », du « mensonge » et de « l’inceste », ils ne peuvent participer à la refondation du pays sans promouvoir « la philosophie pratique de la pluralité » [1](créatrice du « tiers langage ») et sans passer par l’épreuve de « l’éthique reconstructive » dans sa double dimension d’éthique de responsabilité et d’éthique de réconciliation.

Sans une Commission Palabre, Justice, Vérité et Réconciliation, la refondation du Kongo-Kinshasa aura toujours du plomb dans l’aile…

Bref, sans une Commission Palabre, Justice, Vérité et Réconciliation, la refondation du Kongo-Kinshasa aura toujours du plomb dans l’aile… « La philosophie pratique de la pluralité » et « l’éthique reconstructive » peuvent offrir aux Kongolais(es) la chance de transmuter « la violence diabolique » les divisant , les appauvrissant et les assujettissant, en « violence symbolique » pour un bien-vivre ensemble, pour une vie bonne dans la convivialité animée par un dialogue permanent et assumant le conflit non meurtrier.

Les élites alternatives devraient être porteuses de cette « philosophie pratique » et de cette « éthique reconstructive ». Elles pourront, là où les rapports antagonistiques cherchent à l’emporter sur les rapports agonistiques[2], travailler au renversement des rapports de force.

 

Babanya
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[1] Lire J.-F. MALHERBE, La démocratie au risque de l’usure. L’éthique face à la violence du crédit abusif, Montréal, Liber, 2004.

[2] Lire C. MOUFFE, L’illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016.

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