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Lumumba : un rêve brisé et une foi inébranlable dans l’avenir du pays

Lumumba : un rêve brisé et une foi inébranlable dans l’avenir du pays

Lumumba : un rêve brisé et une foi inébranlable dans l’avenir du pays 1280 837 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Pour prévoir l’avenir il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tous temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par des hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats. »
– N. Machiavel

Avant son assassinat, le rêve de Lumumba est brisé par la corruption de certains de ses compatriotes. Fantoches du « capitalisme dégradant et honteux », ils ont rejeté, à quelques exceptions près, la lutte pour l’indépendance économique et « la voie » pour l’émancipation politique tracée par Lumumba et ses amis. Depuis lors, le Kongo-Kinshasa vit une longue transition politico-économique profondément marquée par une désorientation existentielle de plusieurs de ses filles et de ses fils. Fermer la parenthèse de cette longue transition peut passer par une relecture collective de Lumumba. Aujourd’hui où la corruption semble être devenue un « sport national » au coeur de l’Afrique, une bonne relecture de Lumumba peut réorienter sur « une voie différente ». Telle est l’hypothèse de cet article.

« Le sort » a uni et divisé les Kongolais

L’hymne national kongolais est porteur d’une éthique responsabilisante dont plusieurs compatriotes ne tiennent pas toujours compte en le chantant. Au même moment qu’il magnifie l’unité des Kongolais mis debout à cause de leur lutte contre  »le sort », il leur lance un appel à consolider cette unité dans le labeur pour bâtir un pays plus beau qu’avant. Cette éthique responsabilisante ne peut être mieux appréhendée que si cet hymne est replacé dans le contexte historique où il a été écrit. Il rappelle que « le sort » n’a pas fait qu’unir les Kongolais. Il les a aussi divisés et a imprimé, dans certains coeurs et dans certains esprits un grand mépris pour le travail manuel.

« Le sort » a à la fois unis et mis plusieurs Kongolais debout pour leur indépendance politique formelle et corrompu plusieurs autres afin qu’après avoir ingurgité le complexe d’infériorité, la servilité, la corruption, la soumission, la convoitise, le larbinisme, le rejet du travail manuel assimilé à l’esclavagisme, etc. ils deviennent des suppôts du »capitalisme dégradant et honteux » et trahissent la cause de l’indépendance économique du pays.

Dans ce contexte, il est possible de capitaliser l’expérience de Lumumba et de ses amis. Pour quoi faire ? Capitaliser l’expérience de Lumumba et de ses amis pour la réinvestir à meilleur escient , cela ne peut se faire sans tenir compte de l’ambiguïté du résultat produit par « le sort », de son aspect paradoxal. « Le sort » a à la fois unis et mis plusieurs Kongolais debout pour leur indépendance politique formelle et corrompu plusieurs autres afin qu’après avoir ingurgité le complexe d’infériorité, la servilité, la corruption, la soumission, la convoitise, le larbinisme, le rejet du travail manuel assimilé à l’esclavagisme, etc. ils deviennent des suppôts du  »capitalisme dégradant et honteux » et trahissent la cause de l’indépendance économique du pays.

Adeptes de la déraison du mimétisme, ils ont choisi de jouer les rôles de ministres, de grands cordons, de parlementaires en ayant accès à des maisons somptueuses dans la cité européenne, des autos de luxe, des gros traitements[1] tout en sacrifiant le travail acharné en vue de créer l’indépendance économique. Ces compatriotes ont sombré dans la déraison du mimétisme après qu’ils aient été corrompu par les colonialistes et leurs alliés ayant instrumentalisé certains fonctionnaires de l’ONU. « Ils ont, écrit Lumumba, corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. »

La corruption a brisé le rêve de Lumumba et de ses amis

La corruption a brisé le rêve de Lumumba et de ses amis. Elle a brisé le rêve d’une réelle indépendance du pays sans attenter à la foi de Lumumba dans un avenir meilleur pour son peuple.

La corruption a brisé le rêve de Lumumba et de ses amis. Elle a brisé le rêve d’une réelle indépendance du pays sans attenter à la foi de Lumumba dans un avenir meilleur pour son peuple.

Pensant à ce spectacle odieux, Lumumba écrivant à Pauline dit : « Que pourrai-je dire d’autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.»

Le savoir dont il est question dans cette citation est fondé sur l’expérience de la lutte ayant conduit à l’indépendance. Cette lutte pour l’indépendance et contre « le sort » imposé aux Kongolais et aux  »combattants de la liberté » était porteuse d’un rêve. Ce rêve est au coeur du discours programmatique tenu par Lumumba le 30 juin 1960[2]. Il peut être résumé comme suit : « L’indépendance politique du Kongo comme pas décisif dans la lutte panafricaine pour la libération de l’Afrique ; l’engagement dans un travail collectif pour assurer sa prospérité et sa grandeur au Kongo-Kinshasa, signes manifestes de son indépendance économique. »

Savoir et « prise sorcière »

Le savoir de Lumumba -tout comme son sentir- a échappé à la prise « sorcière » du « capitalisme dégradant » qu’il a décrié et don il avait réussi à nommer les effets délétères à travers la description de la nature du « sort » réservé aux Kongolais pendant 80 ans d’humiliation esclavagiste. Pour dire les choses autrement, le savoir de Lumumba a échappé au soft power de « la sorcellerie capitaliste » et à son pouvoir corrupteur. Ce savoir a produit, en Lumumba, de l’empathie et de la compassion pour ses compatriotes. Ces sentiments ont créé en lui une grande confiance -un peu aveugle- en son « peuple ». Son savoir fondé sur l’expérience de la lutte collective et les sentiments d’empathie et de compassion ont provoqué en lui une grande confiance et une foi inébranlable en la victoire de son peuple sur ses ennemis intérieurs et extérieurs, ‘petites mains » du  »capitalisme dégradant et honteux ».

Seule, la lutte fondée sur un savoir info-formé, magnifiant la valeur du travail pouvant créer « l’en-commun » au coeur des alliances ouvertes à une unification cordiale, rationnelle et raisonnable des mouvements pluriels est libératrice pour Patrice Lumumba.

Lumumba a su capitaliser l’expérience de sa lutte aux côtés de ses amis, « combattants de la liberté » kongolais, africains, latino-américains, asiatiques, etc. et la partager le jour de l’accession du pays à l’indépendance. Réinvestir à meilleur escient cette expérience ne peut être que le fait des « combattants de la liberté » qui en sont au courant, qui l’ont étudiée et approfondie et qui peuvent, tout en lui restant fidèles, jouer le rôle d’ intellectuels organiques existants et/ou à réinventer au sein des masses populaires en les éveillant au rôle des démiurges de leur propre destinée dans une grande ouverture à l’altérité. Et un peu plus à « la tricontinentale ». Le rôle d’intellectuels organiques assumé par les combattants de la liberté peut contribuer à la transmutation des masses populaires kongolaise en « peuple » (au sens engageant du mot).

Donc, la foi inébranlable de Lumumba en un avenir meilleur pour son pays est fondée sur les oeuvres que lui-même et ses amis ont pu accomplir tout en travaillant avec les autres pays épris de liberté. Ce travail échappant à l’envoûtement de « la sorcellerie capitaliste » a jeté les bases d’une vraie émancipation politico-économique. Ce n’est pas une foi naïve ou une simple déclaration de bonne intention. Seule, la lutte fondée sur un savoir info-formé, magnifiant la valeur du travail pouvant créer « l’en-commun » au coeur des alliances ouvertes à une unification cordiale, rationnelle et raisonnable des mouvements pluriels est libératrice pour Patrice Lumumba. Une lutte de cette envergure se mène dans la révolte contre la corruption entendue comme produit du  » capitalisme dégradant et honteux ». Cette lutte risquée peut être africanisée et internationalisée au nom du bien commun de l’humanité.

Conclusion : Pour un socialisme fondé sur la philosophie de l’harmonie

Cette lutte peut engager sur la voie de la fermeture de la parenthèse ouverte depuis plus de cinq siècles par « le capitalisme dégradant et honteux » dont « petites mains » falsifient la vérité pour un socialisme fondé sur la philosophie de l’harmonie dans un monde lié par un destin commun et de plus en plus polycentré ; un monde à l’écoute de l’autre et respectueux de sa différence.

Une bonne partie du Sud Global est engagé sur cette voie et crée de plus en plus un rapport de force averti. Le Kongo-Kinshasa traîne encore les pas. Ses gouvernants d’hier et d’aujourd’hui semblent croire qu’en faisant la même chose avec les mêmes  »petites mains du capital », ils finiront par aboutir à des résultats différents. Il semble que c’est une folie que cette approche ne puisse pas se laisser instruire par l’histoire…Bon ! Il se pourrait que le pays de Lumumba ait opté pour « la neutralité »…Mais, « tôt ou tard », l’urgence sera la rupture avec la grande importance accordée au Capital au détriment du Travail.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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[1] Lire J. CHOME, L’ascension de Mobutu. De sergent Joseph Désiré au général Sese Seko , Bruxelles, Complexe, 1974, p.24.

[2] Lire Lumumba et le « Nous » kongolais. Méditer sur l’hymne national en relisant son discours programmatique du 30 juin 1960 – Ingeta

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