Par Bénédicte Kumbi Ndjoko
En faisant fi du bon sens, de la dignité et de la vérité, on peut devenir un grand quelqu’un tout en étant rien ou l’inverse. C’est ce que cette fable congolaise de l’Orgueilleux et du rebelle nous enseigne. Toute ressemblance ou allusion à la nomination d’un président en RD Congo au début de l’année 2019 n’est assurément pas le fruit du hasard.
L’orgueilleux l’avait envoyé promené. Il avait gagné disait-il, aussi il verrait toutes ces questions une fois qu’il serait entré en fonction. Le rebelle, comme il aimait s’adresser à lui-même affectueusement, se dit que ce type n’était pas fiable, qu’il allait certainement lui causer quelques soucis. Pouvait-il se permettre de prendre ce risque, alors qu’il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour lui? Il avait dit à maintes reprises aux rares personnes avec qui il discutait qu’il savait qu’il allait mourir d’une balle dans la tête. Cependant, si cette balle pouvait attendre quelque peu, il en serait très heureux car lui aussi aimait la vie. Il le payerait, mais là il n’avait pas le temps de s’appesantir sur sa dérobade dédaigneuse. Il fallait aller voir l’associé du fils. Il était le seul à pouvoir convaincre l’autre de se ranger à ses vues. Celui-ci comme il était aisé de se l’imaginer sauta sur l’occasion. C’est vrai que pour lui cela représentait peut-être la dernière occasion de sa vie de soigner cette envie chronique de pouvoir semblable à une maladie auto-immune, de faire le beau. Le monde le reconnaîtrait enfin, lui le faiseur de rois, pour ce qu’il croyait être, un homme de génie. Bien des personnes diraient que le challenge n’était pas difficile, car tant de gens préféraient chercher des petits business à la sauvette, au lieu d’investir le savoir comme lui avait eu le courage de le faire. Cependant, ça ne changeait pas le fait qu’il était d’une intelligence redoutable. Restait maintenant à convaincre son butin de guerre.
Sarko et les ambitions du matin
Il était deux heures du matin quand ils quittèrent sa résidence pour se rendre chez le poulain. Il le trouvèrent chez lui, il venait de se mettre à table pour dîner. Il y avait un monde fou dans le salon, tous très guillerets, prêts à en découdre avec le repas qui venait d’être servi et ensuite imiter, voir dépasser les pas de JB qui hurlait dans le téléviseur à écran plat gigantesque nouvellement offert par Moïse, l’ami de toujours. L’homme de Bukavu s’approcha du visage jovial du maître de maison et lui glissa quelques mots à l’oreille. Il se leva en silence et lui indiqua le chemin vers sa chambre à coucher. La maîtresse de maison qui n’avait pas vu arriver les visiteurs mis également le cap vers la chambre. Alors qu’elle s’apprêtait à saisir la poignée de la porte et à l’abaisser, elle entendit la voix de son mari. Avec qui pouvait-il bien parler? Elle colla alors l’oreille sur le bois. La voix de Vital était armée de mille précautions, il semblait ne pas vouloir brusquer son interlocuteur. Il insistait en disant qu’ils ne pouvaient se soustraire à cette invitation, et puis il n’y avait pas que sa délégation, les Américains aussi attendaient dehors.
Les Américains? Que pouvaient-ils bien vouloir se demanda-t-elle? Une certaine inquiétude la gagna alors que de l’autre côté de la porte son mari se sentit honoré de ce que les représentants de la première puissance mondiale s’intéressent à lui. Sans aucun doute, il était devenu une voix incontournable, quelqu’un qui comptait. L’avenir ne pouvait désormais prendre des initiatives sans lui. A cette pensée, son torse se gonfla de fierté, son regard luisait et on aurait même pu dire que le sourire qu’il venait d’arborer avait quelque chose de carnassier. Il ouvrit soudainement la porte et fut quelque peu surpris de voir sa femme plantée devant lui, le regard interrogateur. Il ne prit pas la peine de lui demander ce qu’elle faisait là, il n’avait pas le temps, les Américains attendaient. Il lui annonça de façon laconique qu’il devait sortir et qu’elle serait bien aimable de lui préparer une tenue décontractée pendant qu’il prenait une douche. Il invita Vital à aller se sustenter avec les autres convives en attendant. Celui-ci déclina l’offre et lui dit qu’il l’attendrait dehors.
Alors qu’il se brossait les dents, le fils de son père ne pouvait croire à sa chance. Lors de sa tournée du pauvre, à l’Est, il pensait bien l’avoir perdue alors que cette foule ignare l’avait humilié devant le monde entier, lui le fils de son père. Tout de même, comment ils avaient osé? Il s’était présenté devant eux avec ses 38 ans de lutte, bon lui un peu moins, mais 38 ans nom de dieu, ce n’est pas rien! Voilà maintenant que même les Américains étaient à sa porte. Et l’autre là, il a bien dû se rendre à l’évidence que sans lui, il était foutu. Il pensa soudain à cette émission avec Sarko, qu’il avait regardée cent fois, et où il disait qu’il pensait à la présidence pas qu’en se rasant. Il avait adoré cet aplomb. Maintenant, lui il pourrait dire qu’il n’y pensait pas qu’en se brossant les dents. Il eut un petit rire satisfait qui lui venait certainement, pensait-il, de tous les moments où son parti avait déjoué les pronostiques en changeant le cours attendu de l’histoire. Il se regarda avec acuité dans le miroir. Oui c’était lui l’homme nouveau. Sur le lit, la tenue bleue et ample ouest-africaine en coton venait d’être repassée. Il l’enfila, savourant le contact frai du tissu. Le coeur en joie, il se laissa aller à quelques coquetteries et se parfuma. Il quitta la maison d’un pas léger certain que le succès l’attendait au coin de la rue.
Le convoi prit la route dans la nuit noire de Kinshasa, où quelques fêtards ou retardataires de la cloche familiale regardaient le cortège passer avec indifférence. Il faut dire que pendant 18 ans, ils en avaient vu passer des convois, à tel point que ça ne relevait plus de l’exception mais ça faisait partie de la circulation chaotique et exubérante de Kin qui n’avait plus de poste-nom. Dans les voitures, Ils étaient tous silencieux. Le fils de son père regardait défiler l’obscurité trouée ça et là de lumières chétives échappées des lampes à huile posées sur les étales des vendeurs travaillant 20 heures sur 24 pour pouvoir nourrir leurs familles. Et si c’était possible envoyer un enfant à l’école qui n’était même pas certain d’arriver à finir son école primaire. Il y avait tellement de chose à faire dans ce pays. A cette pensée, brusquement son coeur se mit à battre à grands coup sourds. Il chassa rapidement ces pensées de son esprit et se laissa bercer par le roulis régulier de la voiture. Un peu plus tard, les grilles de la ferme s’ouvraient devant eux. On se redressa, défroissa les habits de la main pour être présentable. Alors que la voiture s’arrêtait sous le porche, le fils de son père tournait sa tête dans tous les sens pour voir s’il pouvait apercevoir leur hôte. Mis à part son directeur de cabinet qui se tenait droit comme un piquet sans aucun sourire devant la porte d’entrée qui était restée ouverte, il n’y avait personne. Quelle était cette manière de recevoir les gens? Il y avait des Américains dans cette délégation tout de même!
L’homme de Bukavu, le Castro de Kingakati et le « couronnement » du fils de son père
Il descendit de la voiture et alla serre la main de l’homme de l’ombre. Celui-ci les conduisit rapidement au travers d’un long corridor désert, où se distribuaient de part et autre des portes fermées. Difficile de deviner ce qui se cachait derrière elles et le moment ne semblait pas approprié pour poser des questions. Arrivés au bout du couloir ils tournèrent à droite et l’on pouvait apercevoir une porte à 10 mètres. Sur la gauche, une baie vitrée laissait entrevoir un océan d’arbres et de fleurs et quelques silhouettes d’hommes solidement armés. Un frisson glacial lui parcourut le dos, et il avala difficilement sa salive en franchissant la porte du petit bureau.
L’homme était assis à une table en marbre noir. Sans un bonjour, il le dévisagea, puis lui indiqua une chaise devant lui. Il commença à lui dire d’une voix ennuyée et lasse que ce que l’on allait lui présenter était énorme et c’était la chance de sa vie. Hypnotisé, l’aspirant hocha de de la tête. Il avait les mains moites et tremblait tout de même un peu. C’est qu’il savait bien que celui qu’il avait en face de lui n’était pas un Castro même s’il se plaisait à l’imiter dans ses tenues. Bon peut-être qu’il avait aussi un goût immodéré pour le kaki et ça n’avait rien à voir avec sa réputation de tueur froid. En face, l’autre se cala dans son fauteuil et le regarda lentement, semblant se demander si cette bouille de bébé allait être à la hauteur, s’il était capable de se révolter. Des mauvais coups, ça il savait qu’il en était capable, qu’on avait pas trop à le forcer dès lors qu’il s’agissait de jouissance à la clé…mais là? On parlait tout de même de très hautes fonctions de représentation. Qu’à cela ne tienne, il savait l’homme menteur, assez vaniteux sous ses airs débonnaires, et avenants. Il se pencha au dessus de son bureau, le regarda droit dans les yeux, et se mit à lui expliquer qu’il avait décidé de le faire roi. Ceci devait être la consécration d’une vie passée aux yeux des gens à batailler pour le pays. Avant qu’il ne puisse arriver à la fin de son exposé, le fils de son père se mit soudainement debout. Un silence se mit à virevolter au dessus d’eux.
L’homme de Bukavu qui se tenait juste à côté de lui, eu un moment d’affolement. Ce fils à papa n’allait tout de même pas avoir un sursaut de fierté! Ils étaient là, sur le marchepied de la gloire, de l’argent facile, sans compter toutes les femmes qui allaient se jeter à leurs pieds…non, il n’allait tout de même pas avoir le toupet de refuser une offre qui ne se représenterait plus jamais. Et lui, il avait promis, juré à sa promise qu’il allait l’épouser dès qu’ils seraient revenus à meilleure fortune. Il posa une main sur l’épaule de son poulain, comme pour le rassurer et l’encourager. Celui-ci se tourna vers lui et esquissa un sourire furtif. Doucement, il tendit sa main en direction du bureau pour saisir un stylo et dans un souffle emprunt de reconnaissance, il dit: »Couronnez-moi demain. » Castro de Kigankati aurait tout de même espéré un peu de résistance. Il aimait la chasse, terrasser sa proie avec ruse. Cette victoire sur l’homme considéré comme un Dieu pour beaucoup lui laissa un goût amère, d’inachevé. Il poussa le contrat vers son dauphin désormais pour qu’il en prenne connaissance et le signe. Les pages furent rapidement tournées alors que les yeux du nouveau roi du Congo cherchaient fébrilement l’endroit où il allait inscrire son nom en lettres d’or dans l’histoire de son pays. Le stylo glissa rapidement sur a feuille. trois signatures secrètes et le monde était à lui. Le fils de son père se redressa satisfait et il eu une pensée émue pour son paternel qui n’avait jamais pu atteindre ces sommets. Castro de Kingati se leva, lui dit qu’il pouvait à présent aller chercher un taxi et retourner chez lui. Même pas un verre pour sceller cette nouvelle amitié se demanda l’aspirant? C’était un peu décevant mais le rattrapage aurait lieu dès demain parmi les siens.
Devant le portail de la ferme, le fils de son père et son mentor se demandaient bien comment ils allaient pouvoir héler un taxi dans ce coin perdu. Ils se regardaient l’un l’autre un peu désemparés lorsqu’ils virent les soldats américains se préparant à monter dans leur véhicules. Ils leur firent des signes et leur demandèrent à travers la grille, s’ils pouvaient les ramener à Kin. Il fallait croire que c’était leur jour de chance. Bien calé à l’arrière de la Jeep banalisée, Félix premier s’endormit un sourire au lèvre, rêvant d’une fête d’investiture grandiose, où il ferait venir quelques bières spéciales de Belgique…oh, et il ne fallait pas oublier le ntaba.
Bénédicte Kumbi Ndjoko