Par Mufoncol Tshiyoyo
Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump n’a envoyé aucun émissaire à Paris. Aucun à Berlin. Aucun à Londres. Rien non plus pour Bruxelles. Pourtant, ces capitales aiment à se croire au centre du monde libre.
On m’objectera que la guerre se déroule plutôt en Ukraine. Et non en Europe de l’Ouest. Mais ce serait oublier que cette guerre concerne, dans sa genèse, son financement et sa narration, Londres, Berlin, Paris et Bruxelles plus que Kiev elle-même. Elles ont, dès 2014, applaudi le renversement de Ianoukovytch. Elles ont alimenté le brasier. Elles ont nourri les discours de croisade démocratique, puis enchaîné les livraisons d’armes comme des automates.
La table des grands s’est déplacée
Cependant, Trump les ignore. Délibérément. Ce n’est pas un oubli. C’est une hiérarchie. Et cette hiérarchie est raciale, politique et géostratégique. Les Anglo-Saxons classent désormais la race à l’intérieur même de la race. L’Europe continentale, si bavarde, n’est plus conviée aux tractations qui dessinent le réel. Elle n’est plus qu’un public décoratif. Un auxiliaire bavard. Un commis administratif du désordre occidental. Alors, qui l’eût cru hier encore ?
Entre les lignes de cette rencontre se dessine un autre monde. Un monde en recomposition. Un monde dans lequel les anciennes capitales de l’ordre libéral sont écartées comme des enfants turbulents, tandis que les adultes se parlent entre eux, à huis clos.
Par ailleurs, Moscou, elle, reçoit. À plusieurs reprises, Moscou a reçu des visiteurs. Cette semaine encore, Vladimir Poutine a accueilli au Kremlin Steve Witkoff, l’envoyé spécial de Donald Trump. De quoi ont-ils parlé ? De l’Ukraine, sans doute. Des officiers de l’OTAN capturés ? Mais seulement cela ? Ce serait naïf de le croire.
Parce que entre les lignes de cette rencontre se dessine un autre monde. Un monde en recomposition. Un monde dans lequel les anciennes capitales de l’ordre libéral sont écartées comme des enfants turbulents, tandis que les adultes se parlent entre eux, à huis clos.
Le signal est limpide. On ne parle plus des relations internationales avec Paris ou Berlin. On en parle sur Paris et sur Berlin. La table des grands s’est déplacée. Elle n’est plus à Davos ni à Bruxelles. Elle est triangulaire, et peut-être même asymétrique : Moscou, Washington, Pékin. Ou Moscou, Washington, Delhi. Peut-être même Moscou, Washington, Brasilia.
Un ordre qui s’effondre
Ici, Alexandre Douguine se réjouirait : le jeu a changé. Contrairement aux affirmations de Zbigniew Brzezinski, l’Amérique n’est plus seule à jouer aux échecs. La grille stratégique n’est plus unipolaire. Elle est devenue multicentrée, imprévisible, décentrée. En effet, le Sud, considéré jusque-là comme tel, résiste. L’Est se relève. Pendant que l’Ouest implose en silence ?
Ceux qui, au Congo, pensent pouvoir pérenniser le système anglo-saxon se réveilleront surpris. Ce sera trop tard. Parce que pendant qu’ils singent un ordre qui s’effondre, les Saxons eux-mêmes parlent avec Poutine, parient sur Moscou, et misent sur un monde nouveau.
Alors oui, se rendre à Moscou aujourd’hui, pour un envoyé américain, c’est comme aller à Canossa hier. Pour un petit rappel… En 1077, l’empereur Henri IV, excommunié par le pape Grégoire VII, dut traverser les Alpes et patienter, pieds nus dans la neige, devant le château de Canossa pendant trois jours pour obtenir le pardon pontifical. Ce fut une humiliation publique. Ce geste, devenu expression, symbolise depuis l’abdication du politique devant le spirituel, du fort devant le souverain invisible.
Aujourd’hui, le parallèle est cruel. C’est Washington qui se rend à Moscou. Non plus pour implorer, peut-être, mais pour reconnaître. Reconnaître que le pouvoir ne parle plus anglais, ne pense plus libéral, ne se diffuse plus par des conférences, mais par la verticalité nue de ceux qui tiennent bon. C’est cela, le vrai message derrière la poignée de main entre Vladimir Poutine et Steve Witkoff. L’Occident, ce n’est plus un bloc. Ce n’est même plus une force. C’est une illusion à laquelle ses propres maîtres ne croient plus.
Et ceux qui, au Congo, pensent pouvoir pérenniser le système anglo-saxon se réveilleront surpris. Ce sera trop tard. Parce que pendant qu’ils singent un ordre qui s’effondre, les Saxons eux-mêmes parlent avec Poutine, parient sur Moscou, et misent sur un monde nouveau. Le vrai réalisme est ailleurs. Il se conjugue à l’Est. Et il ne prévient pas deux fois.
Mufoncol Tshiyoyo,
M.T., L’Étincelle, en homme libre