Par Jean-Pierre Mbelu
« On tue pas les idées. » – Fidel Castro
Mise en route
Deux personnes de l’histoire philosophique et spirituelle, condamnées par les tribunaux humains, ont pu avoir disciples plus de 2000 ans après. Comment cela a-t-il été possible ? Pourquoi cela ? La condamnation de Socrate et de Jésus -c’est d’eux qu’il s’agit- n’a pas tué leurs idées.
L’erreur que le prochain procès contre Charles Onana pourrait commettre : le rendre populaire pour les siècles des siècles en cherchant à la condamner.
En philosophie, le « connais-toi toi-même », le commerce avec soi-même sur fond de la maïéutique est toujours d’actualité. Donc, philosophiquement, Socrate est toujours vivant. Le nombre de ceux qui, allant à l’église ou pas essaient de vivre du principe selon lequel « il n’y a pas de meilleur amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » est toujours important (à travers le monde entier).
Il y a là deux preuves attestant qu’il est difficile de tuer les idées en éliminant ceux ou celles qui les portent. C’est peut-être l’erreur que le prochain procès contre Charles Onana pourrait commettre : le rendre populaire pour les siècles des siècles en cherchant à la condamner. Cela d’autant plus que les sources écrites et/ou orales de ses livres peuvent continuer à nourrir la pensée même si ceux-ci étaient interdits d’être lus. Le cas du livre incriminé vaut la peine d’être étudié.
La vérité sur l’opération turquoise: le livre remis en question
Le livre pour lequel Charles Onana sera appelé à répondre devant un tribunal à Paris à partir du 07 octobre donne ses sources écrites et orales. Il est possible de partir de ces sources pour constituer une petite bibliothèque. Cela pourrait aider à résister à la guerre menée contre les cerveaux, contre les coeurs et les esprits.
L’Afrique des Grands Lacs a urgemment besoin de sa »nouvelle narration » de l’histoire et du monde. Les filles et les fils de l’Afrique qui prennent le temps de participer à la production de cette »nouvelle narration » devraient être lu(e)s et leurs livres classés dans les petites bibliothèques des minorités organisées.
La victoire sur les cerveaux précède celle sur les coeurs et les mains. Antonio Gramsci l’avait bien compris quand, traitant de l’hégémonie culturelle, il notait ceci : « Si vous occupez la tête des personnes, leurs coeurs et leurs mains suivront. Le système dominant n’a pas oublié cette leçon et a créé une nouvelle narration de l’histoire pour raconter et légitimer sa domination (…).[1]
L’Afrique des Grands Lacs a urgemment besoin de sa »nouvelle narration » de l’histoire et du monde. Les filles et les fils de l’Afrique qui prennent le temps de participer à la production de cette »nouvelle narration » devraient être lu(e)s et leurs livres classés dans les petites bibliothèques des minorités organisées. Les relire, les critiquer, débattre avec eux (elles), tout cela pourrait contribuer à la production de l’intelligence individuelle et collective pouvant sortir les Grands Lacs africains de « l’enfer de la guerre » où ils ont sombré depuis trois décennies (et même plus).
Une relecture attentive de l’histoire révèle que la guerre pour le triomphe de l’hégémonie culturelle dominante peut recourir à l’autodafé pour éviter que « les hérétiques » « corrompent » les cerveaux, les coeurs et les esprits acquis à sa cause, c’est-à-dire à leur imbécillisation.
Dans ce contexte, lire Charles Onana peut être salutaire. Il renvoie à beaucoup d’autres auteurs et témoins de l’histoire tragique des Grands Lacs africains. En voici quelques-uns :, Pierre Péan, Jacqques Hogard, Bernard Lugan, Cynthia McKinney, John Swinnen, Abdul Ruzibiza, Emmanuel Neretse[2], Carla Del Ponte, etc.
Construire sa petite bibliothèque en lisant Onana
Et voici comment une petite bibliothèque peut se constituer en achetant les livres des auteurs cités, compte tenu de ce qu’il jette comme lumière sur la guerre perpétuelle des Grands Lacs. Pierre Péan a écrit Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Mille et une nuits, 2005 et Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010.
Plusieurs sources de Charles Onana n’ont pris aucune ride. Les lire, les confronter les unes aux autres permet de se faire sa propre religion sur la guerre perpétuelle dont souffrent les Grands Lacs africains. Tel est l’avantage qu’il y a à lire Charles Onana.
Dans ces deux livres, les noms des acteurs pléniers et des acteurs apparents ainsi que ceux des journalistes et des politiciens ayant écrit sur l’holocauste des Grands Lacs sont cités. Un exemple : Colette Braeckman et Honoré Ngbanda. Et on pourrait ajouter à sa bibliothèque Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003 (de Colette Braeckman) et Crimes organisés en Afrique centrale. Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux, Paris, Duboiris, 2004 (D’Honoré Ngbanda Nzambo)
Officier de la mission turquoise, Jacques Hogard publie, en 2005, Les larmes du sang. 60 jours dans la tourmente du Rwanda, Paris, Hugo et compagnie et en 2014, L’Europe est morte à Pristina chez le même éditeur. Apparemment, ces deux livres semblent n’avoir aucun lien entre eux. Mais en les lisant, une vérité saute aux yeux : les acteurs pléniers sont les mêmes. Il vient de publier et encore une fois chez le même éditeur La guerre en Ukraine. Regard critique sur les causes d’une tragédie (2014). Les trois livres de Jacques Hogard sont un bon enseignement sur la stratégie des guerres menées par procuration à partir des coulisses de l’histoire et des réseaux difficilement identifiables pour « les non-initiés ».
Quant à Bernard Lugan, le regard historique qu’il jette sur Les guerres d’Afrique. Des origines à nos jours, Paris, Ed. du Rocher, 2013 mérite un intérêt certain. Son apport à la compréhension de l’holocauste des Grands Lacs n’est pas négligeable. Il met à nu la stratégie du Front Patriotique rwandais de Paul Kagame à la page 334. Connaisseur de cette stratégie, Bernard Lugan écrit un autre livre en 2014, chez le même éditeur, et l’intitule Rwanda. Un génocide en questions. Il essaie, dans ce livre, de déconstruire les idées reçues sur le génocide rwandais.
Avant lui, un témoin de l’intérieur, Abudul Joshua Ruzibiza avait déjà décrié « une histoire secrète » de la tragédie rwandaise dans un livre intitulé Rwanda. L’histoire secrète, Paris, Ed. du Panama, 2005.
De cette « histoire secrète », Carl Del Ponte en sait quelque chose comme en témoigne son autobiographie intitulé La traque, les criminels de guerre et moi. Madame la Procureure accuse, Ed Héloïse d’Omerson, Paris, 2009. Défenestrée du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Madame la Procureure est l’une des sources écrites et orales indispensables de l’holocauste des Grands Lacs africains. Sa porte-parole de 2000 à 2006, Florence Hartmann, est très bien informée là-dessus. Elle en témoigne dans un magnifique livre dont le titre résume le non-dit de la guerre de basse intensité dont souffre le coeur de l’Afrique. Elle a écrit Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justices internationales, Paris, Flammarion, 2007.
Plusieurs sources de Charles Onana susmentionnées n’ont pris aucune ride. Les lire, les confronter les unes aux autres permet de se faire sa propre religion sur la guerre perpétuelle dont souffrent les Grands Lacs africains. Tel est l’avantage qu’il y a à lire Charles Onana. L’ abondance de sa documentation peut permettre à ses lecteurs de voler de leurs propres ailes en lisant les auteurs auxquels il renvoie.
Charles Onana et ses sources ineffaçables
Supposons que Charles Onana soit condamné au bout du procès du mois d’octobre, cela n’effacera pas ses sources. Il risque de devenir un peu plus populaire qu’avant sa condamnation. Les curieux auront envie d’aller voir dans ses livres et dans sa documentation ce qui peut avoir contribué à sa condamnation et à juger par eux-mêmes.
Supposons que Charles Onana soit condamné au bout du procès du mois d’octobre, cela n’effacera pas ses sources. Il risque de devenir un peu plus populaire qu’avant sa condamnation. Les curieux auront envie d’aller voir dans ses livres et dans sa documentation ce qui peut avoir contribué à sa condamnation et à juger par eux-mêmes.
Il me semble qu’initier un procès contre un écrivain de la taille de Charles Onana ne soit pas une mince affaire pragmatiquement. Ici, l’allusion est faite à la pragmatique en tant qu’art de faire attention aux conséquences. Socrate et Jésus, deux condamnés par les tribunaux humains, n’ont cessé d’avoir des disciples depuis plus de 2000 ans. C’est dingue ! Franchement, Fidel Castro avait bien vu les choses : « On tue pas les idées » claires et limpides pouvant s’imposer en fonction de leur lien au réel et de l’accueil que peuvent leur réserver les minorités organisées.
L’avantage de lire Charles Onana est que ses sources sont diverses et diversifiées. Il rend compte de l’implication des hommes et des femmes épris de paix et de justice de plusieurs coins de la planète. Il incite à questionner les orientations géopolitiques, géostratégiques et géoécomiques du débat kongolais (en particulier). A un certain moment, l’impression est qu’il est au niveau zéro ou presque eu égard à ces orientations. Il est vraiment tentant de soutenir que le niveau du débat kongolais, à quelques exceptions près, témoigne d’une ignorance crasse, d’une inculture et d’une défaite de la raison qui ne peuvent se justifier, dans une certaine mesure, que par le rejet de l’étude, de la formation permanente, du livre et de la bibliothèque.
Certains engagements mercantilistes pris par « les gouvernants » sont révélateurs du néant de la pensée, de la conscience historique critique et de la méconnaissance du mode opératoire des acteurs pléniers et/ou de la complicité avec eux au cours de la guerre perpétuelle imposée aux Grands Lacs africains. Ces « gouvernants » font semblant d’oublier son côté sanitaire.
Une petite conclusion : prendre le temps d’étudier, de lire et de s’informer
Il y a quelques jours, j’ai suivi une émission sur Tango Ekoki . C’était une catastrophe du point de vue de la grammaire et de la syntaxe. J’ai aussi suivi une autre émission sur Congo Buzz, c’était encore pire. La capacité d’argumenter n’y était pas. De plus en plus, une majorité de compatriotes ne prend plus le temps d’étudier, de lire, de s’informer. Non.
Pourtant, ce ne sont pas les livres et les médias alternatifs qui manquent. Plusieurs compatriotes se cachent derrière des dénominations bidonnées du genre « pouvoir » et/ou « opposition » tout en refusant de reconnaître qu’ils sont envoûtés par « la sorcellerie » de l’hégémonie culturelle dominante ayant mangé leurs cerveaux, leurs coeurs et leurs esprits au point qu’ils ont perdu toute capacité de penser la guerre perpétuelle que connaît leur pays, ses conséquences sur le vivre-ensemble et son entretien par les acteurs pléniers et leurs larbins. Ils feraient un tour par le dernier livre de Charles en vue de constituer leurs petites bibliothèques.
Il n’est pas sûr que ce sont les ignorants et les incultes qui feront avancer la cause du Kongo-Kinshasa et des Grands Lacs africains. Non. Ce n’est pas vrai.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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[1] A. Gramsci cité par R. PETRELLA, Pour une nouvelle narration du monde, Montréal, Ecosociété, 2007, p. 21.