Par Mufoncol Tshiyoyo
« L’ennemi, c’est celui qui décide. » – Carl Schmitt
Mirage géopolitique
Le Congo, terre aux richesses incroyables et aux paradoxes déchirants, se trouve pris dans les filets d’un jeu de pouvoir aux règles faussées. On entend souvent qu’il s’agirait d’un affrontement entre les États-Unis, la Chine et la Russie sur son sol. Mais, sérieusement, pourquoi les États-Unis se battraient-ils contre la Chine ou la Russie au Congo ?
Le Congo n’est pas simplement un champ de bataille opposant l’Est à l’Ouest. C’est avant tout un terrain où, en coulisse, les grandes puissances coopèrent pour exploiter ses ressources. Ce ne sont pas de brutaux ennemis qui s’affrontent. Mais des prédateurs qui tirent profit d’un système cyniquement orchestré.
Cette interrogation, lancée par une partie de l’élite congolaise, repose sur une illusion dangereuse. Elle masque une réalité bien plus sombre. Le Congo n’est pas simplement un champ de bataille opposant l’Est à l’Ouest. C’est avant tout un terrain où, en coulisse, les grandes puissances coopèrent pour exploiter ses ressources. Ce ne sont pas de brutaux ennemis qui s’affrontent. Mais des prédateurs qui tirent profit d’un système cyniquement orchestré.
Prenons l’exemple de la MONUSCO. Cette mission des Nations Unies présente au Congo depuis des décennies. Officiellement, elle est chargée de stabiliser et de protéger. En réalité, elle est un outil de domination façonné par les intérêts des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Avec un budget colossal et des milliers de soldats, elle n’a ni mis fin aux conflits armés ni instauré une paix durable.
On se demande alors : comment expliquer son maintien incessant, sans véritable reddition de comptes ? La réponse est sans appel. La MONUSCO maintient le Congo dans un état de dépendance, permettant ainsi aux grandes puissances de contrôler ses richesses sous le vernis de la « sécurité internationale ». Ce mécanisme évoque même une forme moderne de colonialisme institutionnel, transformant le pays en un laboratoire d’influence.
Complicité et dépendance
Pourtant, ce système de domination ne pourrait perdurer sans la complicité d’une partie des élites locales. Ces acteurs, loin d’être de simples victimes ou des pions inconscients, assument volontairement le rôle qui leur est attribué : transformer une nation aux immenses potentiels humains en un terrain d’expérimentation pour l’exploitation et la domination.
Le Congo ne doit pas être le théâtre de luttes imposées par d’autres. Mais il doit pouvoir tracer sa propre voie. Affirmer sa dignité. Ensuite, transformer ses richesses. Pas uniquement celles enfouies dans le sol, mais surtout celle de son âme, en leviers de libération.
Leurs choix égoïstes, qui privilégient leurs intérêts personnels au détriment du bien commun, condamnent ainsi des millions de Congolais à une déshumanisation programmée. Ironiquement, on ne pouvait mieux espérer : une déchéance orchestrée à la perfection pour légitimer cet abandon.
Toutefois, ce n’est pas une fatalité. Dès que l’on prend conscience de ces mécanismes, une lueur d’espoir peut émerger. La prise de conscience collective et l’éveil d’un véritable sentiment d’appartenance pourraient être le premier pas vers une réelle émancipation. Le Congo ne doit pas être le théâtre de luttes imposées par d’autres. Mais il doit pouvoir tracer sa propre voie. Affirmer sa dignité. Ensuite, transformer ses richesses. Pas uniquement celles enfouies dans le sol, mais surtout celle de son âme, en leviers de libération.
Le moment est venu de poser la question cruciale. Pourquoi le Congo devrait-il être le théâtre de luttes qui ne sont pas les siennes ?
Une vérité qui endort
Comme l’écrivait Frantz Fanon : « Quand un peuple colonisé se libère, il ne reconquiert pas seulement son territoire, mais également son âme. » Ici, le Congo n’est pas seulement absent des hautes sphères du pouvoir mondial ; il ne se contente pas d’être invisible aux yeux du grand jeu géopolitique. Il a perdu le droit fondamental de forger son avenir, s’étant vu dépossédé de son propre destin et sacrifié sur l’autel de l’exploitation. Le Congo est faible et écrasé par des décennies d’exploitation.
Oui, la République démocratique du Congo regorge de ressources précieuses – cuivre, cobalt, coltan, or, diamant, lithium, uranium, pétrole – autant d’or prestement convoitées. Or le Congo n’est pas le seul à posséder de telles richesses. Des pays comme le Chili, l’Australie, la Russie ou les États-Unis, voire la Chine, sont, eux aussi, dotés de réserves stratégiques, souvent exploitées de manière plus efficace, mieux protégées et résolument défendues par des nations souveraines.
Pourtant, ce sont ces mêmes ressources qui attirent les convoitises. Non pas en raison de leur pureté ou de leur quantité exceptionnelle. Mais à cause d’un vide stratégique. L’absence de doctrine, de volonté collective et de vision nationale permet le pillage sans négociation, l’exploitation sans reddition de comptes, et la manipulation en toute impunité. Le Congo n’est pas seulement riche. Il est livré, abandonné à des intérêts qui ne cherchent qu’à en extraire le profit.
Cette « berceuse géologique » n’est donc pas une bénédiction, mais un piège qui endort un peuple. Au lieu de rêver et de construire sa propre richesse, le pays se retrouve paralysé par un sommeil imposé, transformant une nation aux immenses potentialités en une pâle ombre d’elle-même. Le Congo pourrait être un phare éclatant pour l’Afrique, une force inspirante pour le monde. Un pays qui brille non seulement par ses ressources. Mais surtout par sa dignité et sa souveraineté.
Le mirage de la protection américaine
Dans une récente interview largement diffusée, un journaliste congolais saluait un partenariat stratégique avec les États-Unis, présenté comme la solution miracle face aux ambitions concurrentielles de la Chine et de la Russie. Or, cette vision simpliste occulte la réalité d’une coopération qui sert principalement les intérêts américains et leurs relais régionaux, et ce, au détriment du peuple congolais.
Trump rémunère carrément le mercenariat rwandais pour exploiter le Congo au profit de l’Amérique. En incitant le pays à signer des accords avec le Rwanda, il n’offre aucune protection au Congo ; il achète la complicité d’un intermédiaire – un proxy – destiné à piller ses richesses.
Il est encore plus frappant de constater la résonance de la phrase « Donald Trump sauve le Congo ». Sauver le Congo ? Rien n’est moins certain. En réalité, Trump rémunère carrément le mercenariat rwandais pour exploiter le Congo au profit de l’Amérique.
En incitant le pays à signer des accords avec le Rwanda, il n’offre aucune protection au Congo ; il achète la complicité d’un intermédiaire – un proxy – destiné à piller ses richesses.
La domination par procuration et ses conséquences
Cette illusion dépasse la naïveté. Elle s’inscrit dans une logique où le mensonge devient outil de pouvoir. Comme le rappelle Babanya Jean-Pierre Mbelu, « telle est l’une des misères kongolaises actuelles : faire le plus de buzz possible, même s’il faut enseigner l’ignorance et la bêtise. » Le mépris des connaissances, le rejet des débats intelligents et l’absence d’un esprit critique laissent le terrain fertile pour une nouvelle forme de recolonisation, où le continent se réduit à son potentiel brut, devenant ainsi le laboratoire des ambitions étrangères.
La protection recherchée ne transforme pas le Congo en une puissance ni en une force autonome. On ne sort pas de la faiblesse en s’appuyant sur la protection d’un adulte ou d’un aîné. Même s’il est bien intentionné. Mais par des voies non ordinaires. Par l’affirmation d’une volonté collective et la rupture de toute dépendance.
De plus, comment croire à une promesse de sécurité émanant d’un empire qui, en pleine guerre, refuse même de garantir une aide à Zelensky malgré des accords ? Proposer un accord aux Américains revient à s’imaginer partenaire alors qu’en réalité, on n’est qu’un fournisseur subalterne – démuni de la liberté de négocier ses propres conditions. Le Congo, par ce mécanisme, se retrouve réduit à un vulgaire butin de guerre, où chaque accord signe un peu plus la perte de sa souveraineté.
La protection recherchée ne transforme pas le Congo en une puissance ni en une force autonome. On ne sort pas de la faiblesse en s’appuyant sur la protection d’un adulte ou d’un aîné. Même s’il est bien intentionné. Mais par des voies non ordinaires. Par l’affirmation d’une volonté collective et la rupture de toute dépendance. Ainsi, au lieu de recevoir le secours d’un sauveur extérieur, le Congo doit puiser dans ses propres ressources et dans la force de son peuple pour forger un avenir qui lui soit propre.
L’hégémonie américaine et le contrôle par procuration
Emmanuel Todd qualifie les États-Unis d’« État bas-impérial » (Todd, 2024 : 29) : une puissance dépourvue de vision universelle, qui maintient son hégémonie non par la persuasion ou la bienveillance, mais par la force brute et la manipulation. Cette logique se manifeste pleinement dans l’action des États-Unis en Afrique, et particulièrement au Congo. Washington ne se contente pas de protéger le Congo. Il le contrôle à distance. Par délégation. Des pays comme le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola ou le Kenya agissent comme proxies régionaux, exécutant les stratégies américaines pour piller les richesses congolaises.
Washington ne se contente pas de protéger le Congo. Il le contrôle à distance. Par délégation. Des pays comme le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola ou le Kenya agissent comme proxies régionaux, exécutant les stratégies américaines pour piller les richesses congolaises.
Cette domination par procuration n’est pas une nouveauté dans l’histoire des empires. Elle évoque, par exemple, la période de Rome sous Trajan, lorsque l’expansion céda la place à la construction de murs et de frontières – le fameux « limes ». De même, aujourd’hui, les États-Unis se retirent progressivement de la présence militaire directe, en se replongeant dans des zones stratégiques comme le Pacifique, tout en maintenant leur emprise en Afrique par des moyens indirects.
Les grandes puissances apprennent à adapter leurs stratégies lorsque l’expansion devient trop coûteuse ou complexe. Elles abandonnent les conquêtes directes pour des formes de contrôle plus subtiles : alliances avec des proxies régionaux, exploitation économique indirecte, ingérence discrète dans les affaires intérieures des États faibles.
Les leçons de l’histoire et la quête de la souveraineté
Cependant, l’histoire nous enseigne une leçon cruciale. Aucun empire ne dure éternellement. Même si les puissances majeures finissent par reculer, céder du terrain ou perdre leur influence, ce déclin n’ouvre pas automatiquement la voie à la libération des peuples dominés. Tout réside dans leur capacité à saisir l’opportunité (Niger, Burkina, Mali), à briser les chaînes de la dépendance et à reconquérir leur souveraineté.
La vraie richesse, c’est la conscience. La vraie puissance, c’est l’organisation. La vraie liberté, c’est la souveraineté. Et si le Congo veut un jour sortir de l’ombre sous laquelle il est maintenu, il devra apprendre à valoriser ces trésors, bien plus précieux que tout l’or ou le cobalt du monde.
Pour le Congo, il est temps de refuser de rester un pion insignifiant sur l’échiquier géopolitique. La force d’un pays ne se mesure pas uniquement à l’abondance de ses ressources enfouies. Mais à l’habileté de son peuple à penser, à transformer et à bâtir un avenir commun. Prenons aussi en compte la question essentielle. Qui, dans ce jeu économique asymétrique, fixe le prix de vente ou d’achat des ressources soi-disant congolaises ? Alors que les bénéfices de l’exploitation sont souvent calculés en monnaies étrangères et que les multinationales dictent les termes des transactions. Le Congo demeure quant à lui un spectateur impuissant.
Pire encore, pendant que d’autres nations africaines se transforment en producteurs de produits agricoles et soutiennent leur autosuffisance alimentaire, le Congo est réduit à une classe économique compradore alimentée exclusivement par les ressources minières. Non productif. Cette ignorance des réalités locales met en péril l’agriculture, l’industrie et surtout le bien-être des populations au profit d’une exportation pure de matières premières.
Un pays peut détenir les ressources les plus abondantes. Cependant, si ses dirigeants et son peuple manquent de vision et de volonté, il demeurera vulnérable aux prédateurs étrangers. Le Congo souffre d’un manque de volonté collective, d’un déficit de leadership et d’une absence cruelle de vision stratégique. Pourtant, la solution est à portée de main. Elle réside dans la capacité des Congolais à se réapproprier leur destin. Non, en creusant toujours plus profondément dans le sol. Mais en construisant des institutions solides ; en formant des citoyens éclairés et en développant une économie au service du peuple.
Un pays puissant n’est pas celui qui attire les convoitises, mais celui qui inspire le respect par sa résilience, son innovation et sa dignité. La domination est passagère. Tandis que la liberté ne tombe pas du ciel. Elle se conquiert. Pour le Congo, le moment est venu de choisir entre deux voies : continuer à subir les stratégies des puissances étrangères ou devenir une nation souveraine, maîtresse de son destin.
Car la vraie richesse, c’est la conscience. La vraie puissance, c’est l’organisation. La vraie liberté, c’est la souveraineté. Et si le Congo veut un jour sortir de l’ombre sous laquelle il est maintenu, il devra apprendre à valoriser ces trésors, bien plus précieux que tout l’or ou le cobalt du monde.
En conclusion: Réanimer le Congo ou le laisser sombrer
A. Un constat pour rebâtir l’avenir
Le Congo n’est pas exploité parce qu’il est unique. Mais, puisqu’il est absent… Absent des cartes majeures du pouvoir mondial ; absent de la trajectoire qui devrait être la sienne. Ce constat cruel n’est pas une sentence définitive, mais le point de départ d’une révolution intérieure. Comme l’a souligné Frantz Fanon, « chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus vaste : empêcher que le monde ne se défasse. »
Le Congo attend encore ses véritables leaders : ceux qui oseront briser les chaînes de la servitude volontaire ; ceux qui comprendront que la véritable richesse n’est pas celle du sous-sol, mais celle d’un peuple capable de penser librement, de planifier son avenir et de défendre sa dignité.
Aujourd’hui, le Congo a besoin d’une résistance profonde. Il ne s’agit pas seulement de reconstruire un pays ou de réclamer ses richesses, mais de préserver son âme, de protéger son identité et de transformer l’invisible en quelque chose de concret. C’est une lutte qui transcende les frontières et les générations, exigeant une prise de conscience collective, une mobilisation sans faille et le courage de briser les chaînes invisibles qui l’enchaînent à son déclin.
Tant que l’élite persiste dans l’illusion, le Congo restera ce qu’il est aujourd’hui : un corps dépourvu d’âme, un laboratoire d’expérimentation pour des intérêts étrangers, un pion sur un échiquier géopolitique dont il ignore les règles. Le Congo attend encore ses véritables leaders : ceux qui oseront briser les chaînes de la servitude volontaire ; ceux qui comprendront que la véritable richesse n’est pas celle du sous-sol, mais celle d’un peuple capable de penser librement, de planifier son avenir et de défendre sa dignité.
B. Le choix de l’audace et de la révolution intérieure
Il faut le dire sans détour : le Congo ne sera jamais sauvé par ceux qui le voient comme un banal trésor à piller, un marché à dominer ou une zone d’influence à contrôler. Seuls, ceux qui percevront en lui l’incarnation d’un peuple à relever, une histoire à réécrire et une souveraineté à reconquérir pourront offrir au pays l’avenir qu’il mérite. Le moment est venu de choisir entre le chemin facile de la trahison et l’audace de la liberté, entre le confort de la servitude et la douleur nécessaire d’une renaissance. Le Congo ne peut plus attendre.
Le Congo n’est pas condamné à n’être qu’une ombre de ce qu’il pourrait devenir. Il peut se transformer en un phare pour l’Afrique, en une force inspirante pour le monde. Cependant, cela nécessite une transformation radicale. Pas seulement dans ses structures et ses politiques, mais plutôt dans son état d’esprit et sa conscience collective. Ce n’est ni le cobalt, ni l’or, ni le lithium qui délivrera le Congo. C’est la conscience.
Le scandale géologique n’est pas une célébration des richesses du sous-sol, mais l’abîme béant entre ce potentiel immense et la réalité actuelle. Cet abîme sera comblé uniquement par une nation qui se relève, main dans la main, pour reconquérir sa place – sur la scène mondiale, et surtout dans son propre destin.
Le Congo n’est pas condamné à n’être qu’une ombre de ce qu’il pourrait devenir. Il peut se transformer en un phare pour l’Afrique, en une force inspirante pour le monde. Cependant, cela nécessite une transformation radicale. Pas seulement dans ses structures et ses politiques, mais plutôt dans son état d’esprit et sa conscience collective. Ce n’est ni le cobalt, ni l’or, ni le lithium qui délivrera le Congo. C’est la conscience. C’est elle qui décidera du sort du Congo… soit sa survie, soit sa disparition.
Likambo oyo eza likambo ya mabele…
Mufoncol Tshiyoyo, M.T, un homme libre