Par Jean-Pierre Mbelu
« Comme ceux qui contrôlent le récit contrôlent l’avenir – et aussi le passé – le grand défi pour l’Afrique est «la décolonisation de l’esprit» (… )» – P. ESCOBAR
Mise en route
Une certaine tendance est en train de se développer au Kongo-Kinshasa. Des « politicards » oublieux conscients et/ou inconscients de leur histoire, prennent régulièrement la parole au nom du « peuple ». Souvent, leurs prises de parole sur des questions d’intérêt général ne sont pas précédées des moments de concertation et d’échange avec « leurs bases ».
Pourquoi, dans un pays où la crise de la représentation politique est criante, ces « politicards » parlent-ils tout le temps au nom d’un « peuple » que semble fabriquer leur imaginaire ? Pourquoi sont-ils presque les mêmes à parler de ce « peuple » pendant plus de trois décennies pendant qu’il est en train de se mourir ? Quel est réellement leur apport à son émancipation politique et sociale ?
Alors, lorsqu’ils parlent au nom du « peuple », de qui s’agit-il ? Pourquoi, dans un pays où la crise de la représentation politique est criante, ces « politicards » parlent-ils tout le temps au nom d’un « peuple » que semble fabriquer leur imaginaire ? Pourquoi sont-ils presque les mêmes à parler de ce « peuple » pendant plus de trois décennies pendant qu’il est en train de se mourir ? Quel est réellement leur apport à son émancipation politique et sociale ? Que peut bien signifier cette façon de parler tout le temps à la place des autres ? Parler au nom du « peuple » pourrait être lu comme un mot de passe…
En finir avec ce paternalisme politique éhonté et cette infantilisation politicarde, cela pourrait donner un bon signal ; un « véritable peuple » pourrait enfin naître. L’incarnation du désir de réinformation en des lieux, des sites et des médias différents de mainstream peut soutenir cette lutte pour la (re)naissance d’un « peuple » souverain au coeur de l’Afrique. Telle est l’hypothèse de cet article.
Hier, ils ont coalisé avec les ennemis du « peuple »
Le débat sur le changement et/ou la modification de « la constitution » pose la question fondamentale de la qualité des débats au Kongo-Kinshasa. De plus en plus, il y a des compatriotes kongolais qui prennent la parole à bon escient. Ils analysent les questions posées en profondeur. Ils les situent historiquement dans le contexte de leur émergence et essaient d’en actualiser les conséquences. Il y en a qui le font dans le cadre des disciplines de leurs spécialités tout en restant ouverts à la pluridisciplinarité et à l’interdisciplinarité. Ce qui est bénéfique pour le production de l’intelligence individuelle et collective. Malheureusement, il y en a aussi qui, à tout moment, parlent au nom des autres sans qu’ils fassent de la place à ces autres afin qu’ils puissent eux-mêmes s’exprimer. Tel est le cas de ces « politicards » parlant tout le temps au nom du « peuple ».
Donc, « le peuple » est pour eux, « un mot de passe », un appel de pied aux plus appauvris anthropologiquement d’entre les Kongolais pour les transformer en thuriféraires, en tambourinaires et en applaudisseurs en vue d’ un objectif bien déterminé : « être aux affaires » et y être ad vitam aeternam.
Hier, plusieurs parmi eux ont coalisé avec les ennemis internes et externes de ce « peuple ». Ils l’ont assasiné. Qui se souvent encore du rôle joué par certains d’entre eux dans l’assassinat du chef coutumier Kamwina Nsapu[1] et de plusieurs jeunes kongolais[2] à travers tout le territoire national?) Ils l’ont appauvri. Ils l’ont exploité et assujetti. Ils l’ont abruti et placé dans ces conditions telles qu’il ne puisse pas avoir accès au savoir, au savoir-être, au savoir-être-avec-soi et avec autrui info-formé.
Partisans des « chantiers » toujours en construction, ces « politicards » se servent du « peuple », depuis bientôt plus de trois décennies, pour avoir accès à l’argent pouvant leur permettre de terminer « leurs chantiers » avant d’en initier d’autres au pays tout comme à l’étranger.
Parler du « peuple » et à la place du « peuple » dans un pays où la représentation politique est un leurre facilite la reproduction de cette « classe politique » d’oligarques prédateurs au niveau de leurs familles et de leurs clientèles. Donc, « le peuple » est pour eux, « un mot de passe », un appel de pied aux plus appauvris anthropologiquement d’entre les Kongolais pour les transformer en thuriféraires, en tambourinaires et en applaudisseurs en vue d’ un objectif bien déterminé : « être aux affaires » et y être ad vitam aeternam. Etre immunisés contre leurs forfaits tout en jouissant de l’argent que produisent « les affaires », cela justifie souvent leur versatilité et leur marchandisation de la vie.
Il arrive que ces mêmes « politicards » avouent au grand jour qu’après avoir soutenu pendant longtemps qu’ils se battaient pour « le peuple », ils se rendent compte qu’une fois « aux affaires », ils passent tout leur temps à ne s’occuper que d’eux-mêmes et de leur enrichissement illicite. Il arrive que « le peuple » oublie rapidement ces aveux et se remettent à applaudir ces oligarques prédateurs. Majoritairement assujetti, ce « peuple » a du mal à s’inspirer des expériences des autres véritables « peuples » éveillés. L’horizon de son savoir-être-avec-soi et avec autrui info-formé est limité. Il est pratiquement bouché.
En fait, la guerre de basse intensité qui lui est imposée a fini par produire des oligarques prédateurs ne pouvant pas lui permettre de répondre à ses besoins essentiels, à ses besoins existentiels. Donc, cette guerre a atteint son objectif majeur : créer au coeur de l’Afrique un « Etat-raté-manqué ». Ce défi traîne et risque de traîner pendant longtemps avant d’être relevé à cause de la capacité caméléonesque des « nouveaux prédateurs » à toujours se présenter comme étant les porte-paroles d’un « peuple imaginaire ».
Des lieux de réinformations dans « un pays solution »
Il est urgent que ce « peuple » crée des lieux, des journaux et des sites de réinformation. Il est vrai que certains « communicateurs » arrivent à éveiller l’attention du « peuple » sur certaines informations importantes. Mais leur option pour être au service de certains « politiciens » et « politicards » joue sur leur impartialité. Même s’il est difficile de parler d’une neutralité absolue, des lieux, des journaux et des sites (Internet) de réinformation sont nécessaires pour un traitement suffisamment objectif des questions essentielles et existentielles du pays. C’est vrai, il y en a déjà quelques-uns. Malheureusement, la majorité de Kongolais(es) n’y a pas accès. Pourquoi ? L’une des réponses à cette question est le manque d’énergie.
Le Kongo, « pays solution », mais pour qui ? Parcourir le monde entier en clamant sur les toits que le Kongo est « un pays solution » pendant que l’obscurité envahit les coeurs et les esprits au coeur de l’Afrique, n’est-ce pas se livrer à un spectacle d’extraversion ahurissant ? Ne faudrait-il pas commencer par résoudre les problèmes internes que pose le manque d’énergie ?
Comment « un pays » dit « solution » s’apprêterait-il à résoudre les grands problèmes liés au climat pour le monde entier sans offrir de l’électricité à la majeure partie de sa population ? Cela ferait-il partie d’une politique délibérée suivie par « les politiciens » et « les politicards » kongolais depuis bientôt 65 ans pour maintenir les masses populaires dans l’obscurité et l’obscurantisme afin de mieux les manipuler à leur seul profit ? C’est possible…
Le Kongo, « pays solution », mais pour qui ? Parcourir le monde entier en clamant sur les toits que le Kongo est « un pays solution » pendant que l’obscurité envahit les coeurs et les esprits au coeur de l’Afrique, n’est-ce pas se livrer à un spectacle d’extraversion ahurissant ? Ne faudrait-il pas commencer par résoudre les problèmes internes que pose le manque d’énergie ? Peleleee ne mu ntelelu, mu mbelu ku diatshi ?, questionne la sagesse ancestrale. (Avant d’arriver au lieu où se trouve le feu dans une case, on franchit d’abord l’entrée, la porte. )
Résoudre le problème des énergies pourrait être un pas important pour les populations kongolaises prises en otage par des « politicards » auto-désignés porte-paroles du « peuple ». (A condition que cela s’accompagne de la refondation de la famille, de l’école, de l’église et de l’université sur la décence ordinaire.)
Des collectifs animés par des individualités fortes nécessaire au « peuple »
En principe, là où né un « véritable peuple », « les porte-paroles » intéressés par leur carriérisme politique disparaissent. « Le véritable peuple » se prend en charge. Les masses populaires manipulées par « les politicards » kongolais ne sont pas encore devenues un « peuple ».
« Le véritable peuple » se prend en charge. Les masses populaires manipulées par « les politicards » kongolais ne sont pas encore devenues un « peuple ».
Cela étant dit, prétendre que tous les Kongolais et toutes les Kongolais(es) sont facilement manipulables, il y a un pas qu’il faudrait se garder de franchir. Un certain éveil est en train de se manifester. C’est déjà ça.
Il doit encore être bien formalisé afin qu’un « nous, peuple kongolais », qu’un collectif kongolais regroupant d’autres collectifs et animés par des individualités fortes, attachées aux livres et aux archives, ayant une bonne maîtrise de la géopolitique, de la géoéconomie et de la géostratégie ; des individualités éprises de justice, de paix, de rationalité et de coeur, de souveraineté et de patriotisme arrive à rompre avec la médiocrité à laquelle « les politicards » carriéristes ont habitué les masses populaires abruties et assujetties. Les médias, les lieux et les sites de réinformation sont indispensables à la production de ce « nous, peuple kongolais éveillé ».
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
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