Par Jean-Pierre Mbelu
« L’intelligence artificielle termine les devoirs, corrige les fautes, rédige les mails. On préfère les vocaux aux textes, les vidéos aux dissertations. On abrège, on simplifie, on saute des étapes. Mais ce qu’on perd en lisant moins, c’est la capacité à penser. Penser lentement, profondément, logiquement. Or, sans cette lenteur nécessaire, sans cette rigueur intellectuelle, on devient vulnérable à tout ce que la machine nous envoie. » – W. MBINA
Depuis une trentaine d’années, le Kongo-kinshasa traverse des moments très difficiles. Pour les minorités organisées et pensantes, il est toujours important de revenir à cette question : « Comment en sommes-nous arrivés là ? »
Une perversion politique induite
Un membre de Likambo ya Mabele répond : « Une perversion politique induite réussie. Au Congo, des figures toxiques ont inversé le vrai et le faux, glorifié leurs mensonges et leur cynisme, effacé l’histoire. Résultat : un peuple dans la confusion morale et éthique, dans un attachement et une fascination pathologique à la figure d’autorité, dans la haine de soi. »
Une perversion politique induite réussie. Au Congo, des figures toxiques ont inversé le vrai et le faux, glorifié leurs mensonges et leur cynisme, effacé l’histoire. Résultat : un peuple dans la confusion morale et éthique, dans un attachement et une fascination pathologique à la figure d’autorité, dans la haine de soi.
Donc, sur fond de cette perversion politique, la renonciation au « commerce avec soi », le temps de la méditation, de la réflexion, du discernement , « le temps du loisir », de l’éveil de la conscience indiividuelle et collective et de l’esprit critique a disparu. L’analphabétisme des digitalisés et adeptes de l’infobésité les confine à magnifier les bêtises de certaines de leurs autorités immorales toxiques. Pour en arriver là, la perversion politique induisant la confusion morale et éthique a pu gagner le temps dans les coeurs et les esprits des majorités massifiées, les incitant à opter pour « la politique » des moutons de Panurge. Tel est l’un des aspects de l’opium imposé aux majorités kongolaises.
En fait, il serait difficile de dompter les populations sans qu’elles acceptent, dans un processus de massification, les différentes doses de « l’opium du peuple ». Souvent, elles partagent, avec « les élites cocaïnées », des doses importantes de « l’herbe ». Ou, elles se laissent berner par les faux évangiles de la prospérité et l’envoûtement sorcier dans « les églises de sommeil » ; ou elles acquièrent de l’addiction pour le pain et les jeux et privilégient les débats passionnés au sujet des matches de foot (surtout entre le Real et Barcelone) ou au sujet de la concurrence entre Ferre Gola et Fally Ipupa. (Il est quand même curieux que les rues de Kinshasha grouillent de monde pour applaudir les victoires de l’un ou l’autre club espagnol. Surtout lorsque les matches opposent les deux grands, le Réal et le FC Barcelone. Est-ce du simple fanatisme ou de l’aliénation des masses « cocaïnées » ? Soit!)
Des « ventres sans âme », Kä Mana et Mudimbe
Donc, par-delà la perversion politique, il y a, un peu plus, une question de régression anthropologique. Il s’agit d’une régression à la fois culturelle, sociale, économique, politique, religieuse et spirituelle. Elle est, en effet, induite par « les élites cocaïnées », incapables de présenter aux majorités de la population kongolaise massifiée des modèles alternatifs d’un bien-vivre ensemble, d’un bonheur collectif possible partagé. Nombrilistes, ces « élites cocaïnées » ont privatisé le Kongo-Kinshasa au point d’imposer aux majorités massifiées des mercenaires et des imposteurs comme étant « leurs autorités morales » incontestées et incontestables. Il y a péril en la demeure.
Kä Mana meurt. Aucun office officiel . Mudimbe meurt. Rien. Kalele ka Billa meurt. Rien d’organiser . Ces trois exemples d’intellectuels enterrés dans l’anonymat quasi-total seraient révélateurs, à mon avis, d’une dérive dans laquelle le pays s’enfonce depuis plusieurs années : l’anonymisation des élites critiques, des minorités éveillées et éveilleuses , capables de féconder les coeurs et les esprits pour la production d’un imaginaire résistant, résilient et souverain.
La question est de plus en plus existentielle. Des « ventres sans âme » sont en train de s’imposer au coeur de l’Afrique comme étant des modèles indépassables. Ce faisant, ils livrent une guerre sans merci aux modèles alternatifs proposant la promotion de l’intelligence de la tête et du coeur, le mariage de la rationalité, de la générosité, de la bienveillance, de la compassion et de l’empathie.
Kä Mana meurt. Aucun office officiel . Mudimbe meurt. Rien. Kalele ka Billa meurt. Rien d’organiser . Ces trois exemples d’intellectuels enterrés dans l’anonymat quasi-total seraient révélateurs, à mon avis, d’une dérive dans laquelle le pays s’enfonce depuis plusieurs années : l’anonymisation des élites critiques, des minorités éveillées et éveilleuses , capables de féconder les coeurs et les esprits pour la production d’un imaginaire résistant, résilient et souverain.
Dans un pays où la musique et »les églises de sommeil » participent de l’imbécillisation des masses paupérisées, les élites alternatives sont marginalisées, les musiciens et »les pasteurs » mis sur le piédestal. Inverser cette équation en promouvant les élites alternatives, les ingénieurs et les inventeurs d’un devenir collectif différent est l’un des défis majeurs du pays de Lumumba s’il veut participer efficacement à l’avènement du monde multipolaire, polycentrique et polyphonique.
Des élites alternatives
Qui pourrait inverser cette équation ? Les élites alternatives acceptant de rompre avec toute neutralité pour mener une lutte résiliente, résistante et souverainiste d’émancipation populaire.
Une organisation des élites alternatives du pays et de la diaspora est une nécessité vitale pour le devenir collectif kongolais. Elles devraient comprendre, une fois pour toutes, que trouver des vertus aux mercenaires et aux imposteurs peut être un signe manifeste de médiocrité. Et que l’histoire enseigne que ce sont les minorités pensantes et organisées qui en changent le cours.
Elles sont dans l’obligation de se rechercher, de collaborer, de coaliser, de s’organiser, de se mettre ensemble pour lutter contre la massification des populations kongolaises et pour présenter un projet politique alternatif alliant les questions liées au ventre à celles liées à la raison, à l’esprit et au coeur.
Se contenter d’accuser « les élites cocaïnées », leurs clients ou leurs adversaires transformés en ennemis à abattre, cela ne suffit plus. Une organisation des élites alternatives du pays et de la diaspora est une nécessité vitale pour le devenir collectif kongolais. Elles devraient comprendre, une fois pour toutes, que trouver des vertus aux mercenaires et aux imposteurs peut être un signe manifeste de médiocrité. Et que l’histoire enseigne que ce sont les minorités pensantes et organisées qui en changent le cours. Sur le temps long.
Babanya