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La voie lumumbienne pour l’émancipation politique du Congo

La voie lumumbienne pour l’émancipation politique du Congo

La voie lumumbienne pour l’émancipation politique du Congo 1200 675 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

Les Pères fondateurs de l’indépendance congolaise ont laissé une certaine pensée politique. Celle-ci mérite d’être revisitée régulièrement. Elle peut inspirer « la voie » ou « les voie » à suivre pour ‘’sauver le Congo’’ du bourbier où il s’enfonce au quotidien. Revisiter certaines convictions politiques de Patrice Lumumba par exemple peut être d’une importance certaine dans l’évaluation du ‘’partenariat’’ entretenu entre les acteurs sociopolitiques congolais et la communauté occidentale. Cela peut donner des idées aux partis politiques et aux associations de la société civile en quête de synergie.

Tuer Lumumba visait subrepticement l’effacement de toutes ses traces et de sa pensée en créant la peur et le syndrome du larbin dans certains rangs de ceux et celles qui auraient pu devenir ses héritiers politiques. Après cet assassinat, plusieurs compatriotes, victimes du syndrome du larbin, ont, la peur au ventre, choisi ‘’le pragmatisme’’ ou ‘’le réalisme politique’’. Ils ont versé dans une inversion sémantique les confinant à pratiquer la politique de l’autruche face aux assassins de Lumumba, devenus, comme par coup de baguette magique, ‘’des partenaires extérieurs’’, soutenant la dictature mobutienne, imposant au Congo (Zaïre) les programmes d’ajustement structurels par la Banque mondiale et la FMI interposés et orchestrant la guerre de basse intensité depuis les années 1996 pour mettre le pays de Lumumba en coupe réglée. Ne serait-il pas finalement le temps de dresser le bilan de ce ‘’partenariat pragmatique et réaliste’’ sans verser facilement dans la politique du bouc émissaire ? Qu’a-t-il produit plus de cinquante trois ans après l’assassinat de Lumumba ?

De 1996 à ce jour, il a produit un pays sous occupation et sous tutelle ; une économie saignée à blanc par les multinationales ; une pauvreté anthropologique galopante ; plus de 300 partis politique ; plus de 200 ONG de la société civile ; plus de 6 000 000 de morts : un Etat failli, sans boussole, sans direction, etc.

Impérialisme ensauvagé et impérialisme intelligent

Après ce bilan macabre, ne serait-il pas intéressant de réécouter Lumumba et d’approfondir sa méthodologie ? En dehors du fait qu’il a décrié le sort réservé à ses frères et sœurs de couleur pendant la traite négrière et la colonisation, Lumumba avait réussi, comme plusieurs leaders politiques de son temps, à identifier les véritables ‘’ennemis’’ extérieurs et intérieurs de la cause afro-congolaise. Il avait nommé leur mode opératoire et proposé une voie d’émancipation politique pour son pays et pour l’Afrique en fonction des buts poursuivis par les mouvements nationalistes de l’époque. Il avait pointé du doigt l’impérialisme et le colonialisme et les phénomènes d’assujettissement et d’abâtardissement qu’ils induisaient comme étant les pires ‘’ennemis’’ extérieurs du Congo et de l’Afrique.

Sur ce point, presque rien n’a changé. L’impérialisme ‘’ensauvagé’’ s’est reconverti en ‘’impérialisme intelligent’’ opérant au travers d’une multitude de think tanks exploitant les stratégies prônées par les têtes pensantes de l’acabit de Brzezinski. De ces think tanks est sortie l’idée de mener une guerre de basse intensité en RDC. « Trompeur, écrit Michel Collon, le terme ‘basse intensité’ peut donner l’impression que les dégâts sont moindre. En réalité, ils ne sont moindres que pour les Etats-Unis. Ainsi, la guerre dite de basse intensité que Washington a déclenchée contre le Congo (à travers les armées du Rwanda et de l’Ouganda voisins, et à travers diverses milices), cette guerre a fait cinq millions de morts et elle a paralysé le développement du Congo. »[1]

Cette guerre vise l’extension du domaine de l’empire US (sur le déclin) à certains territoires du Congo dénommés en 1996 ‘’le Zaïre utile’’ ; c’est-à-dire riche en matières premières stratégiques pour les multinationales. Il est sur le point de gagner ce pari en faisant de l’Ituri, des Kivus et du Katanga sa ‘’zone protégée’’. La reconstruction des Kivus pourrait être confiée à la Banque mondiale, ‘’petite main économique’’ de l’empire US !

Disons que cette guerre se mènent depuis les années 90 sur plusieurs fronts : le front militaire, le front économique, le front historique, le front psychologique, etc. Economiquement, l’imposition sournoise des règles néolibérales au marché congolais participe de la néocolonisation de la RDC.

Lumumba et les ennemis extérieurs du Congo

De l’assassinat de Lumumba à nos jours, du point de vue de l’économie politique de la RDC, il y a des ‘’ennemis’’ extérieurs à identifier et à combattre en permanence : ‘’l’impérialisme intelligent’’ et la néocolonisation-néolibérale. (Avec quelles armes ? D’abord avec les armes de l’intelligence et de la sagesse.)
En son temps, Lumumba, après avoir identifié les buts poursuivis par les partis nationalistes (patriotes) dans leur lutte d’émancipation politique pensait que ceux-ci pourraient être atteints facilement et rapidement ‘’dans l’union plutôt que dans la division’’. Pourquoi disait-il cela ?

Il savait, lui, que les impérialistes et les colonialistes pratiquaient la politique du ‘’diviser pour régner’’ afin d’asseoir leur domination. Dans son discours à Ibadan, il disait que « ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué- et elles contribueront encore- au suicide de l’Afrique. »[2] Lumumba est-il un prophète ? Le suicide actuel de l’Afrique aujourd’hui n’est-il pas en grande partie lié aux divisions ? La Libye ? La Côte d’Ivoire ? Le Nigéria ? Le Soudant ? Le Mali ? Le Rwanda ? La RDC ? Les divisions internes de ces pays retardent l’intégration politico-économique et sécuritaire de plusieurs sous-régions africaines et font du continent un simple réservoir des matières premières pour les multinationales occidentales.

La Voie du rassemblement

Pour sortir de cette impasse, Lumumba proposait une voie. « Cette voie, c’est le rassemblement de tous les Africains au sein des mouvements populaires ou des partis unifiés. »[3] Cette voie est portée par une conviction. Lumumba croyait en la possibilité d’une coexistence démocratique des mouvements ou partis différents. Pour lui, « toutes les tendances peuvent coexister au sein de ces partis de regroupement national et chacun aura son mot à dire tant dans la discussion des problèmes qui se posent au pays, qu’à la direction des affaires publiques. »[4] Il croyait en la possibilité de la convergence des vues des partis aux tendances différentes au bout d’une discussion démocratique. Et il ajoutait un préalable : un fonctionnement démocratique au sein desdits partis. Aux yeux de Lumumba, « plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l’oppression, à la corruption et aux manœuvres de la division auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du « diviser pour régner ». »[5]

Ces prises de positions de Lumumba conduiront certains compatriotes à le classifier dans le camp des ‘’unitaristes’’ ; de ceux qui, à l’accession de notre pays à l’indépendance (formelle) ont privilégié l’option ‘’unitariste’’ au détriment de celle ‘’fédéraliste’’. Le Congo étant un pays ‘’plurinational’’, il aurait dû être fondé sur un pacte conclu entre les leaders des nations la constituant et ces nations (Kongo, Tshokwe, Lunda, Kuba, Luba, etc.) seraient devenues des ‘’fédérations’’ à part entière. Cette critique est discutable.

Face aux hypothèques pesant sur le pays à son indépendance, n’aurait-il pas été sage et intelligent de commencer par consolider l’union dans une diversité fondée sur la discussion démocratique ? Comment les Etats fédérés auraient-ils pu survivre dans un pays sans administration et sans armée locales, livré aux appétits gloutons de ceux qui estimaient « qu’après l’indépendance = avant l’indépendance » ? Quel usage faisait-il des rivalités politiques ? Sur cette question, voici ce que disait Lumumba : « Je veux attirer l’attention de tous qu’il est hautement sage de déjouer, dès le début, les manœuvres possibles de ceux qui voudraient profiter de nos rivalités politiques apparentes pour nous opposer les uns aux autres et retarder ainsi notre libération du régime colonialiste. »[6] Disons que depuis nos indépendances africains, l’instrumentalisation des rivalités politiques est une donne permanente dans les relations avec ‘’les partenaires extérieurs’’. Elle sert à la mise en pratique d’un principe cher à Brzezinski :’’Eviter la collusion entre les vassaux’’. Elle facilite ‘’la balkanisation de nos pays en de petits Etats faibles’’ et corvéables à souhait.

Pour Patrice Lumumba, les ennemis ne sont pas qu’extérieurs. Ils peuvent aussi être intérieurs et s’appeler : égoïsme, gloriole, intérêts personnels, etc. Partant de son expérience, Lumumba soutenait « que dans nos territoires africains, l’opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie n’est souvent inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, si pas l’unique mobile. »[7]

Où sont nos think-tanks, écoles et universités?

Après Lumumba, le Congo/Zaïre a quand fait l’expérience d’un mouvement populaire unifié et unifiant. Il s’agit du Mouvement Populaire de la Révolution. Politiquement, sa base n’était pas la discussion démocratique. Il a travaillé au triomphe de la pensée unique et du culte de la personnalité. Economiquement, il était gangréné par la kléptomanie et la corruption. Son fondateur fut l’otage des IFI[8]. Sécuritairement, il était l’agent des services secrets impérialistes et néocolonialistes. Idéologiquement, il n’a pas été bien servi par le recours folklorique à l’authenticité. Au lieu d’être un mouvement unificateur, le MPR fut un mouvement uniformisant. Il a eu quand même ‘’le mérite’’ d’avoir atteint tous les coins et recoins du pays. A ce point, il y aurait quelque chose à recréer, de près ou de loin : réussir à avoir un ou deux mouvements unifiant, respectueuse de la diversité, promoteur de la discussion démocratique et fondé sur la souveraineté politique, économique et culturelle du pays.

La deuxième République a un peu excellé dans le culte de la personnalité et de la pensée unique. Ce mal semble être encore présent au cœur de plusieurs partis politiques et mouvements citoyens congolais. Un pays ‘normal’ peut-il compter plus de 300 partis politiques ? C’est-à-dire plus de 300 idéologies ? Est-ce vrai ? Est-ce que nous ne nous mentons pas à nous-mêmes ? Si nous voulons réellement tous ‘’sauver le Congo’’, pourquoi ne réussissons-nous pas à nous mettre le plus possible ensemble, en nous laissant guider par exemple par une présidence tournante assumée par deux ou trois d’entre nous ? Et en nous fixant des objectifs à atteindre sur le court, moyen et long terme ; des défis à relever sur le temps ? Ne serait-il pas temps de relire Lumumba et d’appliquer certaines de ses meilleures idées en ayant comme matrice organisationnelle ‘’la solidarité-coopératrice’’? A ce point nommé, il y a une ‘’révision constitutionnelle’’ à imaginer. Demain, quand le Congo ‘’sera sauvé’’, qu’il y ait une mise en place d’une assemblée constituante pouvant repenser les critères présidant à la mise sur pied d’un parti politique ou d’un mouvement citoyen. Nos ‘’partenaires extérieurs’’ ont réussi, depuis toujours, à avoir de grands regroupements politiques et une multitude de lieux de la pensée qui rend efficaces leurs actions. Ils ont des think tanks qu’ils financent, des écoles d’administration et des universités mises au service de la politique et de l’économie. Et nous ?

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009, p.383.
[2] « Africains, levons-nous !  Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), Paris, Points, 2010, p.10.
[3] Ibidem.
[4] Ibidem, p. 10-11.
[5] Ibidem, p. 11.
[6] Ibidem.
[7] Ibidem.
[8] Lire E. TOUSSAINT, Procès d’un homme exemplaire. Jacques de Groote, directeur exécutif au FMI et à la Banque mondiale pendant 20,  Ai Dante, CADTM (Belgique), 2013.

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