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La révision de la constitution en RDC, Evariste Boshab et la justification de l’injustifiable

La révision de la constitution en RDC, Evariste Boshab et la justification de l’injustifiable

La révision de la constitution en RDC, Evariste Boshab et la justification de l’injustifiable 800 602 Ingeta

Par André Mbata B Mangu, professeur de droit public

Evariste BOSHAB, professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) et Secrétaire général du parti présidentiel, le Parti du peuple pour la reconstruction, la démocratie (PPRD), vient de publier un livre de 440 pages intitulé « Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation » sorti des éditions Larcier en Belgique. Il avait été baptisé à l’Hôtel du Fleuve, loin des milieux universitaires de Kinshasa, en date du 19 juin 2013. Je me suis efforcé d’acheter ce livre vendu à 100$US, de le lire et de le commenter pour vous ce livre.

TITRE RONFLANT QUI ENERVE ET TRAHIT LA NATION

Le mot « inanition » évoque la mort ou le dépérissement.  Evariste BOSHAB menace et prédit que la Nation mourrait certainement par « inanition » si one ne révisait pas la Constitution  et plus précisément si le président ne recevait pas un troisième mandat par « révision totale » de la Constitution ! Il oublie ce qui pourrait aussi se produire au cas où le peuple recourait à l’article 64 qui l’oblige à faire échec à tout celui qui prend le pouvoir et l’exerce en violation de la Constitution.

UN LIVRE REDIGE CONTRE LES REGLES DE L’ART ET MEPRISANT POUR SES COLLEGUES  

La bibliographie du livre ne contient aucun des textes constitutionnels de la RDC, de la Belgique, de l’Espagne, de la Suisse ou de l’Autriche que son auteur cite ni aucun des titres de nombreux des thèses et écrits qu’il évoque comme ceux des professeurs KABANGE, VUNDUAWE, MAMPUYA, BAYONA, MBOYO, YUMA, ESAMBO, KAMUKUNY, et KALUBA alors que l’auteur se réfère à plusieurs sites internet. Aucune référence à BAYART ni à BENDA pourtant auteurs des livres et des expressions  telles que « politique du ventre » et « trahison des clercs » que l’auteur cite également dans son livre.

FLAGRANTES CONTRADICTIONS ET HERESIES RELEVANT DE LA FRAUDE INTELLECTUELLE

Après avoir défendu la thèse suivant laquelle la loi no 74-020 du 15 août 1974 qui faisait du MPR l’institution unique du pays était une nouvelle constitution, le professeur BOSHAB qui se dit de l’«école sociologique» comme DJOLI, KAMUKUNYI, ESAMBO, et KALUBA épouse à présent l’idée d’une révision en prétendant faire un compromis avec les « positivistes » (KABANGE, VUNDUAWE et YUMA). Il fait également une confusion déroutante entre le « pouvoir constituant originaire » (le peuple) et le « pouvoir constituant dérivé » (élus du peuple) en suivant aveuglement LAVROFF dans son volte-face « au crépuscule de sa vie » comme si son ouvrage était aussi celui d’une personne arrivée au crépuscule de sa vie scientifique.

Evariste BOSHAB confond également « révision totale »  et « révision partielle » de la Constitution après avoir admis au départ que la révision ne pouvait être que partielle sinon on changerait de constitution et non la constitution. A l’appui, il soutient que le passage de la Belgique de l’Etat unitaire à l’Etat fédéral s’est fait sur base d’une révision totale de la Constitution, ce qui lui vaut une correction du propre préfacier de son livre, le professeur Henri SIMONART qui conseille aux lecteurs de ne pas le suivre comme pour dire qu’il ignorerait le droit constitutionnel de la Belgique où il a pourtant fait ses études doctorales. Son principal argument est fondé sur l’article 192 de la Constitution suisse de 1999. L’auteur refuse cependant de mentionner son article 195 qui stipule que toute révision doit être acceptée par le peuple et les cantons, ce qui équivaut à un référendum. Sa lecture de la constitution suisse est littérale, superficielle, et non téléologique. Esprit malin et intelligent au service du status quo, il le fait à dessein pour fournir à la majorité un argument pseudo-scientifique aux fins d’une révision totale de la Constitution comme si celle de 2011 ne suffisait pas.

ARGUMENTS D’EVARISTE BOSHAB 

L’auteur repartit arbitrairement les différents groupes qui préconisent la révision de la Constitution entre les « souverainistes », les « puristes », et les « contextualistes». L’auteur du Pouvoir et droits coutumiers à l’épreuve du temps (2007) qui veut faire feu de tout bois se donne une dizaine de pages pour administrer une foudroyante correction à la « théorie » de l’« intérisme » du « souverainiste » « Grand Frère » Professeur MBOYO EMPENGE, autant de pages pour régler des comptes avec la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et surtout avec le Cardinal MONSENGWO coupables de s’opposer au pouvoir en place et d’avoir rejeté comme non-conformes à la vérité des urnes les résultats des élections de novembre 2011, et presqu’autant pour « corriger » le « puriste » DJOLI qui avait osé critiquer la Constitution pour son manque d’identité. Evariste BOSHAB se considère lui-même comme un « contextualiste ». Les « contextualistes » seraient d’avis que la révision de la Constitution se situerait dans l’évolution et le mouvement du temps qui change. Il ignore, par exemple, que le temps n’a eu que peu d’impact sur la Constitution des Etats-Unis qui n’a été modifiée que 28 fois en plus de deux siècles et, plus près de nous en Afrique, sur la Constitution du Bénin adoptée après la Conférence nationale et promulguée le 11 décembre 1990 qui n’a connu aucune révision depuis près de 23 ans.Le «contextualiste» ignore également le contexte régional et international qui privilégie l’Etat de droit démocratique. Il affirme par ailleurs que le constituant d’une génération ne saurait lier une autre sans dire combien de générations sont passées depuis la promulgation de la Constitution en 2006 et surtout depuis la dernière révision constitutionnelle en 2011.

Le « contextualisme » conduirait à l’enseignement d’un droit constitutionnel contextuel ou saisonnier, ce qui placerait nos étudiants dans une situation bien inconfortable où le droit, le vrai, le beau, et le juste dépendraient du temps ou des saisons et varieraient suivant les circonstances, au gré des vagues et des vents. Ceux qui voulaient se servir du livre comme une caution scientifique pour une énième violation de la Constitution doivent être bien déçus et devraient déchanter. Du pont de vue juridique, spécialement du droit constitutionnel, les arguments du « contextualiste » BOSHAB sont pauvres et intenables d’autant plus qu’ils relèveraient non pas du droit, mais  la « politologie ».

LIVRE DE POLITOLOGIE ET NON DE DROIT CONSTITUTIONNEL

Le livre a été soutenu par la Cellule d’appui politologique pour l’Afrique et les Caraïbes (CAPAC) de l’Université de Liège, ce qui pourrait tant soit peu mitiger la sentence de la Faculté de Droit et de l’UNIKIN déjà coupables d’avoir produit de nombreux talents au service du pouvoir autoritaire dans notre pays. Le monde universitaire et les constitutionnalistes belges connaissent trop peu de cette cellule dirigée par Mr BOB KABAMBA KAZADI, chargé de cours au Département de science politique et bien connu pour ses accointances avec les milieux du pouvoir à Kinshasa. Evariste BOSHAB est l’un des collaborateurs de CAPAC tout comme Monsieur l’Abbé MALU MALU que l’on ne présente plus. Ce n’est pas un hasard si le baptême du livre est intervenu juste après l’investiture de ce dernier comme président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). L’Abbé MALU MALU pourrait avoir de sérieux problèmes à marquer son « coup » en organisant un référendum constitutionnel. En bon capitaine d’une équipe qui gagne souvent « hors-jeu », Evariste BOSHAB tire son coup franc indirect ou un corner dans la surface de réparation pour créer le cafouillage et permettre aux parlementaires de sa majorité de marquer le but fatidique qui serait une révision constitutionnelle.

IMPOSSIBLE REVISION CONSTITUTIONNELLE DES MATIERES A L’ARTICLE 220 DE LA CONSTITUTION 

Le savant exercice du « contextualiste » et du « politologiste » consiste d’abord à banaliser les pouvoirs du constituant originaire en l’assimilant au pouvoir constituant dérivé, à fausser la théorie en prétextant que la révision peut être partielle ou totale, et à déverrouiller les matières contenues à l’article 220 en les mettant au même niveau que toutes autres matières constitutionnelles pour les rendre ensuite révisables par le Parlement où son parti et sa coalition détiennent la majorité des sièges. Pourtant, cet article 220 interdit toute révision touchant à la forme républicaine de l’Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du gouvernement, au nombre et à la durée des mandats présidentiels, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique et individuel.

L’article 220 interdit également toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées.

L’auteur réserve aux matières contenues dans les dispositions constitutionnelles intangibles qu’il qualifie maladroitement de « clauses d’éternité » le triste sort que seul Procuste savait réserver à ses victimes : il les tuait et  elles mouraient toutes par « inanition » pour non-conformité à la longueur de son « lit », le « Lit de Procuste». Pourtant, les matières prévues à l’article 220 « ne peuvent faire l’objet d’aucune révision ». Au lieu de se contenter de révolter le peuple dont il annonce la mort par « inanition », l’auteur  énerve aussi la science du droit et la constitution. D’autre part, aucune théorie, même pas celle dite de la « double révision » qui se fonderait sur l’idée que l’article 220 lui-même ne serait pas verrouillé ne saurait justifier une révision constitutionnelle de ces matières. Evariste BOSHAB ne le dit pas, mais tout le monde sait que tout ce qui préoccupe le plus le « politologiste » et dont il fait une question de vie ou de mort pour la Nation, ce n’est pas la révision de toutes les matières prévues à l’article 220, mais plutôt le nombre et la durée des mandats présidentiels, le compte à rebours ayant déjà commencé pour le second et dernier mandat présidentiel qui arrive irrémédiablement à son terme en 2016. Cette perspective met dans tous leurs états ceux dont la carrière politique dépend étroitement de la présence de Mr KABILA au pouvoir alors que lui-même n’aurait pas grand-chose à craindre pour son avenir, la Nation qui lui demande de respecter la Constitution lui ayant déjà fait la part belle en lui réservant un siège à vie au Sénat.

RESPONSABILITE DES INTELLECTUELS DANS LA CONSOLIDATION DE L’AUTORITARISME

Dans la conclusion de son livre, l’auteur évoque les difficultés qui bloquent le développement du droit constitutionnel et cite notamment l’instabilité de la norme constitutionnelle  et la « trahison des clercs » se traduisant par  l’auto-censure et le servilisme des intellectuels. Son livre qui préconise les révisions constitutionnelles tend malheureusement à nous ramener à l’instabilité constitutionnelle de l’ère mobutiste. Il ne constitue pas moins la preuve de ce que l’auteur fustige lui-même comme étant la « trahison des clercs» (BENDA) relevant de la « politique du ventre » (BAYART) et débouchant sur une certaine « défaite de la pensée » (FINKIELKRAUT). Il s’agit d’une démission de l’intellectuel, d’une déconfiture de la pensée de ceux que j’appelais naguère les « tambourinaires du pouvoir » et qui avaient été dénoncés par le romancier nigérian  CHINUA ACHEBE. Dans The Anthrils of the Savannah (les termitières de la savane), ACHEBE estime que comme les termitières sont construites par de petits et nombreux « soldats », les dictateurs ne sont pas non plus nés, mais plutôt « faits » par les courtisans qui ne cessent de bourdonner à leurs oreilles et d’inventer des théories pour leur faire croire qu’ils seraient faits pour régner et régner pour toujours!

KWESI PRAH avertissait dès 1992 que les sciences sociales devaient prendre très au sérieux la question de savoir pourquoi certains brillants intellectuels africains finissent par se faire corrompre et devenir des lèche-bottes et des garçons de course des dirigeants autoritaires qu’ils vilipendaient. La « politique du ventre » pourrait expliquer un tel « servilisme » de ceux qui deviennent des « intellectuels organiques » du pouvoir autoritaire, pour emprunter l’expression de GRAMSCI, des agents du status quo ou des « chercheurs du gouvernement » selon les termes d’un jeune docteur en droit partageant les thèses d’Evariste BOSHAB qui participait à la conférence que j’avais tenue à l’UNIKIN en date du 26 juin 2006 sur « Mandats présidentiels et révisions constitutionnelles en Afrique ». Le professeur BASUE lui signifiait immédiatementque les « chercheurs du gouvernement » déjà nombreux parmi nous n’avaient pas leur place à l’université et feraient donc mieux de prester dans les « fermes » présidentielles ou les « hôtels » des fleuves. Ce livre d’Evariste BOSHAB est probablement celui qui l’aurait introduit par la grande porte dans le monde des constitutionnalistes. Il risque d’être malheureusement celui qui lui ferme aussi cette porte à cause de ce qu’il qualifie lui-même de « discours soporifique tendant à justifier l’injustifiable ». Il constitue un terrible gâchis intellectuel.

NON A LA REVISION DES MATIERES A L’ARTICLE 220

Aucun argument de droit constitutionnel ne permettant de réviser l’article 220 de la Constitution, le président ne devrait pas écouter les vendeurs d’illusions scientifiques et politiques. Toute révision constitutionnelle touchant aux matières prescrites par cet article serait une violation intentionnelle et flagrante de la Constitution punissable de haute trahison. L’on peut parier que la Nation refusera de mourir par « inanition » et s’y opposera énergiquement en recourant à l’article 64 qui l’oblige à faire échec à  tout gouvernement inconstitutionnel. La communauté internationale n’est pas non plus disposée à cautionner un tel « coup d’Etat » après s’être tue à la suite des élections calamiteuses de novembre 2011. Pour le Président de la RDC comme pour ses collègues du Congo, du Burundi et du Rwanda qui sont également dans leur second et dernier mandat, le cas de Mamadou TANDJA qui avait cru se donner un troisième mandat au Niger au motif qu’il n’avait pas achevé ses chantiers de modernisation devait servir de leçon. Au lieu de passer leur temps à fabriquer des arguments pseudo-scientifiques pour amener les présidents à violer les constitutions en se cramponnant au pouvoir, les thuriféraires et tambourinaires du pouvoir devraient plutôt aider ces hommes qui étaient déjà mal entrés dans l’histoire politique de leurs pays à se réconcilier avec leurs peuples en se retirant dignement à la fin de leurs mandats. L’histoire nous apprend qu’aucun mobutiste n’avait suivi Mobutu dans sa chute. Ils étaient les premiers à le renier et à le vilipender en le présentant comme un vilain dictateur. Les courtisans de régimes actuels seront les premiers à bruler demain ceux qu’ils adorent ou encensent aujourd’hui et à sabler du champagne une fois qu’ils ne seront plus au pouvoir. Le jugement de l’histoire est impitoyable et personnel.

Les chefs d’Etat devraient cesser d’écouter et écarter de leurs entourages tous ceux qui les empêcheraient d’inscrire leurs noms en grands caractères dans l’Histoire. Tout mandat a une fin. Il faut quitter le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte. Comme l’écrivait Victor HUGO, gloires, honneurs, fortunes militaires, toutes les choses de la terre ne sont sur nous posées que comme l’oiseau sur nos toits. Les dirigeants tels que FW de KLERK et Thabo MBEKI en Afrique du Sud, Quett MASIRE et Festus MOGAE au Botswana, Abdou DIOUF et Abdoulaye WADE au Sénégal, Alpha Oumar KONARE et Amadou Toumani TOURE au Mali, Olesegun OBASANJO au Nigeria, Joaquim CHISSANO au Mozambique, Daniel ARAP MOI au Kenya, Pierre BUYOYA au Burundi, Kenneth KAUNDA et  Rupiah BANDA en Zambie, Jerry RAWLINGS et John KUFUOR au Ghana, Ali Hassan MWINYI et Benjamin MKAPA en Tanzanie, Nicéphore SOGLO et Mathieu KEREKOU au Bénin, nous apprennent qu’il ne sert à rien de s’éterniser au pouvoir par des coups d’Etat, des fraudes électorales  ou des révisions constitutionnelles et qu’il existe bien une vie après la présidence en Afrique. Cette vie après la présidence peut même être plus belle et plus longue comme le témoigne la vie de Nelson MANDELA qui ne s’était contenté d’un seul mandat en Afrique du Sud. Comme ses collègues, le Président Joseph KABILA a tout intérêt à ne pas violer la Constitution pour se donner un troisième mandat. Après 15 ans au pouvoir, il devrait se retirer en 2016 pour devenir sénateur à vie. Il peut préparer sa succession et se donner un dauphin comme le Secrétaire général du PPRD qui deviendrait alors le candidat à la présidence pour le compte de la majorité actuelle. Tel est le vrai combat que devait mener Evariste BOSHAB. Au lieu de se perdre dans des gesticulations scientifiques inutiles, il devrait plaider pour sa propre chapelle et solliciter le soutien du président pour lui succéder. Le reste ne serait que du vent car il n’y aura pas de révision constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels ni même pas de référendum constitutionnel. L’«inanition » risque cependant d’avoir lieu, non pas l’«inanition » de la Nation comme celle annoncée par Evariste BOSHAB, mais plutôt celle des courtisans. Joseph KABILA n’était pas né pour eux tout comme il ne se privera pas d’entrer dans l’Histoire à cause d’eux car le contraire serait suicidaire.

 

André Mbata B Mangu
Professeur de droit public
Professeur des Universités

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