Par Mufoncol Tshiyoyo
Ce texte n’est pas un commentaire. C’est un acte. Il interroge, nomme et refuse le silence complice. Il s’adresse à celles et ceux qui n’acceptent plus d’être gouvernés dans le mensonge, et à qui l’on a trop souvent demandé de ne pas penser. Il ne cherche ni à plaire, ni à rassurer. Il dérange et rappelle que penser est déjà résister.
La messe est dite. Sous les projecteurs diplomatiques, on célèbre une messe à l’américaine. Une farce solennelle où deux pions, le Congo et le Rwanda, dansent sous la baguette du maître. L’un destiné à être sacrifié, l’autre manipulé. Même soumission, même illusion : ils disputent tous deux la bénédiction de Washington.
Ne pas dénoncer…
Et pendant que l’Empire signe, une partie de l’élite congolaise, comme envoûtée, brandit cet accord comme une victoire. Conscience tranquille, car inconsciente. La paix serait signée. Les masses applaudissent. En transe, elles crient en chœur : Amen.
Les « gardiens de service » vous répondront : « Quelle est votre solution ? Et même si vous en avez une — plus viable, plus digne —, on n’en voudra pas. Comme elle demande des efforts, une vision, un courage que les actuels acteurs ne possèdent pas. Tout est dans l’immédiateté.
Puis le silence. Vient ensuite l’interdit. Surtout, ne pas grommeler. Ne pas exprimer de désaccord. Cela constituerait un crime de lèse-majesté. Aussitôt, les « gardiens de service » vous répondront : « Quelle est votre solution ? Et même si vous en avez une — plus viable, plus digne —, on n’en voudra pas. Comme elle demande des efforts, une vision, un courage que les actuels acteurs ne possèdent pas. Tout est dans l’immédiateté.
Davantage, ne dites pas que l’Amérique manipule tout ce beau monde pour prolonger d’un an ou deux leur survie politique à la tête de la boutique-Congo.
Ne pas dénoncer. Ne pas dire qu’ils dansent sur l’humiliation depuis 1996, quand le pouvoir a été négocié et octroyé sous tutelle étrangère. En effet, depuis 1996, l’ethnie reine, les Tutsi – soldats de l’Amérique – obtient tout ce qu’elle désire. Et à moindre coût. Ce n’est pas un hasard.
Le théâtre sécuritaire et la peur de nommer
Mais l’impunité ne s’arrête pas là. L’œil se détourne timidement de Kigali, mais sur Kampala, il se ferme depuis longtemps. Par ailleurs, on condamne Kagame à demi-mot. Mais Museveni ? Huit ans de silence. Pourquoi ? Posons-nous alors une seule question honnête. Qu’a-t-on promis à Museveni en échange du pouvoir-os ? Quels engagements ont été pris au nom du Congo, sans le Congo ? Surtout : pourquoi le « pouvoir » actuel ne peut-il pas dénoncer ce pacte ?
Ne parlons pas d’humiliation comme si elle était imposée. Elle est assumée. Elle continue. Non par contrainte, mais par servilité. Car ceux qui se prétendent souverains n’osent même pas nommer leurs parrains.
C’est plus profond. Ce n’est ni la peur, ni la diplomatie. C’est que les racines du pouvoir actuel plongent dans ce pacte originel. Alors, après le Rwanda, faudra-t-il signer aussi avec l’Ouganda ? Ne parlons pas d’humiliation comme si elle était imposée. Elle est assumée. Elle continue. Non par contrainte, mais par servilité. Car ceux qui se prétendent souverains n’osent même pas nommer leurs parrains.
On évoque la chute des Kivu comme un château de cartes. Mais qui commande ces cartes ? Qui les pose ? Qui les retire ? Pourquoi faut-il attendre huit ans pour comprendre que des officiers sont infiltrés ? Pourquoi attendre la dernière année du mandat pour jouer la carte de la fermeté ? Théâtre. Rien d’autre. Ils parlent d’infiltration, mais les hommes de Ruberwa sont toujours au gouvernement. Cette omerta n’est pas nouvelle. De plus, elle est même devenue un réflexe d’État. Et personne n’ose citer son nom. Ruberwa. Tabou.
L’empire impose, il ne négocie pas
Au Congo, la question Tutsi ne se pose que lorsqu’ils tentent d’arracher le beefsteak de la bouche de ceux à qui ils ont momentanément transféré la gestion du pouvoir-os. On brandit alors des slogans comme « soutien au fils du pays », pour amuser la galerie — pendant que, jour et nuit, ils siègent ensemble. Faut-il en parler ou non ? Pourquoi ce silence ? Pourquoi continuer à nous prendre pour des ignorants ?
Le silence n’est pas de l’ignorance. C’est la retenue avant la colère. Et quand elle viendra, elle n’épargnera ni les anciens bourreaux, ni les complices en costume.
Le silence n’est pas de l’ignorance. C’est la retenue avant la colère. Et quand elle viendra, elle n’épargnera ni les anciens bourreaux, ni les complices en costume. Vous qui parlez des États-Unis avec fierté, retenez ceci : les États-Unis trahissent rarement leurs protégés. Ils ordonnent. N’est-ce pas eux qui vous obligent à signer avec leurs alliés rwandais, tout en vous donnant l’illusion d’un choix ?
Pendant que vous vous réjouissez d’être leurs interlocuteurs. Mais vous oubliez une chose essentielle : vous n’avez aucun pouvoir sur eux. Votre survie dépend de leur pitié. Mais la pitié, en politique, n’est jamais un privilège. C’est un piège.
L’avertissement de l’Ayatollah
L’Ayatollah disait à son peuple : « Une fois que vous signez avec les Américains, ils reviendront demain exiger d’autres choses. Car céder une fois, c’est accepter de céder toujours. » Au nom de tous les miens, je déclare ici et maintenant que nous allons nous battre. Par tous les moyens. Voilà pourquoi nous devons nous méfier des accords et nous interroger : d’où vient réellement le feu qui consume nos terres.
Le feu ne vient pas toujours d’où il brûle. Les peuples dominés, eux, n’y comprennent rien. Ils croient que la guerre vient d’eux, que le feu est né dans leur propre désordre. Mais le feu ne vient pas toujours d’où il brûle. Il vient de ceux qui savent que quand on garde le désordre à l’intérieur, on tombe. Quand on l’exporte, on règne.
C’est là toute la ruse de l’Empire. Le feu ne vient pas toujours d’où il brûle. Les peuples dominés, eux, n’y comprennent rien. Ils croient que la guerre vient d’eux, que le feu est né dans leur propre désordre. Mais le feu ne vient pas toujours d’où il brûle. Il vient de ceux qui savent que quand on garde le désordre à l’intérieur, on tombe. Quand on l’exporte, on règne. Comme Moctezuma face à Cortés, la docilité de nos gouvernants n’a jamais suffi. Les maîtres les ont utilisés, flattés, puis écartés.
Alors que tout semble se répéter, une vérité s’impose : aujourd’hui, l’heure des prédateurs a sonné. Cette fois encore : tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée.
Mufoncol Tshiyoyo, M.T., L’Étincelle, un homme libre
Texte tiré de mon recueil à paraître : Les Lois invisibles – Anatomie des puissances et du chaos exporté
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Annexe : Références théoriques pour prolonger la réflexion
1. Quinn Slobodian, Le capitalisme de l’apocalypse, Éditions du Seuil, 2025
Slobodian montre que les élites économiques mondiales, loin de vouloir stabiliser le monde, s’emploient à s’en extraire. Le chaos devient un outil. En créant des zones de désordre géopolitique et social, elles se réservent des sanctuaires : fiscaux, militaires, technologiques. Le désordre périphérique est donc fonctionnel : il permet d’assurer l’ordre ailleurs.
2. Arnaud Orain, Le monde confisqué, essai sur le capitalisme de la finitude, Flammarion, 2025
Orain explore la manière dont les outils de gouvernance économique ont dépossédé les peuples de leur souveraineté. L’État devient le bras exécutif d’intérêts extérieurs. Les élites locales, soumises à ces logiques, gèrent le pouvoir, mais ne le possèdent plus. L’illusion démocratique masque une réalité : le pouvoir a été méthodiquement déterritorialisé. Ces lectures confirment que le chaos congolais n’est ni un échec de gouvernance ni une tragédie locale. C’est le produit rationnel d’un système mondial qui se construit sur la dislocation des souverainetés faibles.