Par Jean-Pierre Mbelu
Les Africains victimes des programmes d’ajustement structurels imposés à leurs pays par le FMI et la Banque mondiale avec la complicité de leurs gouvernants, esclaves volontaires du néolibéralisme, doivent avoir compris le sens de la colère du (désormais ancien) Ministre français de l’économie fustigeant les mesures d’austérité imposées à son peuple. Cette colère devrait donner à penser. Car elle éclaire, tant soit peu, la nature de relations existant entre le pays d’Arnaud de Montebourg et les pays Africains bénéficiant de ‘’l’aide’’ de la Banque mondiale et du FMI. Elle questionne la rhétorique française sur la mission du ‘’Pays des droits de l’homme’’ en Afrique. ; celle d’y apporter ‘’la démocratie’’, ‘’la liberté’’ et ‘’la bonne gouvernance’’.
Des compatriotes Africains habitant en France et ceux qui suivent les informations au quotidien doivent avoir suivi l’interview donnée ce lundi 25 août 2014 par le Ministre de l’économie. Au cours de cette interview, Arnaud Montebourg fustige entre autres les décisions économiques et budgétaires dictées à son pays par la troïka composée de la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI. Il s’en est aussi pris à l’Allemagne et à son influence dans l’imposition de ces décisions[1]. Pour Arnaud Montebourg, les mesures d’austérité imposées à son pays par la troïka sont ‘’suicidaires’’ et pour l’économie et pour les populations françaises[2].
Cette sortie médiatique a entraîné la démission du gouvernement Valls le même jour. Le Président français a reconduit son premier Ministre et lui a demandé de constituer un autre gouvernement auquel Arnaud Montebourg ne participera pas.
En quoi ce sujet franco-européen peut-il avoir de l’intérêt pour nous Africains ayant subi le poids des programmes d’ajustement structurel dictés par ‘’les tueurs à gage économique’’ que sont le FMI et les Banque mondiale avec le soutien (ou la participation) du club de Paris ?
Cette problématique franco-européenne nous intéresse à plusieurs titres. Elle nous permet de comprendre davantage que les pays occidentaux dominés par ‘’le capitalisme sauvage’’ appliquent à l’Afrique des programmes économiques qu’ils ne peuvent pas eux-mêmes supporter. Une lapalissade, dira-t-on ! Pas du tout. Leur cynisme économique les disqualifie comme donneurs de leçons de ‘’bonne gouvernance économique’’, de démocratie et de liberté. Pour cause. En imposant les mesures d’austérité à l’Espagne, à la Grèce, au Portugal, à l’Irlande et à la France, la troïka susmentionnée et ses complices (de Présidents, Ministres, Députés, etc.) violent impunément les droits démocratiques de leurs peuples. Dorénavant, « ce ne sont plus leurs parlements, ni leurs premiers ministres qui décident des mesures budgétaires à prendre : ils sont soumis à la volonté des pays européens les plus riches, et surtout du bon vouloir des banques ou des agences de notations. [3]» En d’autres mots, ces parlements et leurs gouvernements sont dirigés par le marché néolibéral.
Comment, dans ces conditions, des présidents, des ministres et des députés ‘’démissionnaires’’ peuvent-ils croire un seul instant qu’ils peuvent secourir, ‘’aider’’ l’Afrique à lutter pour un bonheur collectif partagé parmi ses fils et filles ?
Comment, au vu de tout ce cinéma, travailler à la renaissance d’un imaginaire africain alternatif à même de ne plus croire en ces ‘’diseurs de bonne parole’’ de la démocratie et de la liberté ? Comment travailler efficacement à la ‘’désoccidentoxication’’ dans un contexte où la politique devenue ‘’un métier’’ est en train de transformer les hommes et les femmes qui la font en ‘’produits de consommation’’ ? De toutes les façons, cet Occident ne peut plus servir de référence en matière d’alternance au pouvoir en Afrique. La gauche et la droite sont les deux faces du même gouvernement néolibéral des peuples. Là aussi, le renaissance d’un imaginaire alternatif est nécessaire.
Il sera difficile d’y arriver sans une éducation civique et politique alternative ainsi qu’un engagement citoyen faisant davantage appel à la critique, à l’imagination, à la créativité et à l’inventivité. Oui. Une éducation citoyenne alternative est indispensable. Pourquoi ? Entre autres, parce que « le brio avec lequel les néolibéraux s’emparent du vocabulaire, dominent le discours et cachent les problèmes, pour capturer les imaginaires et marquer les esprits, est l’aboutissement d’une stratégie à long terme (…). [4]» Il faut, à tout prix, sur le court, moyen et le long terme, substituer à ‘’la narration de la globalisation capitaliste’’ ‘’une nouvelle narration du monde’’ promotrice de l’universel pluriel. Cette autre narration du monde pourrait avoir des assises culturelles, spirituelles et matérielles indépendantes de ‘’tueurs à gages économiques occidentaux’’. La Banque des Brics et celles des Etats latino-américains semblent être, à ce propos, des exemples à étudier en profondeur. Il en va de même de la matrice organisationnelle de la politique en Amérique Latine. Petit à petit, cette partie du Sud du monde est en train de rompre avec la conception darwiniste d’une politique économique fondée sur la compétitivité et le concurrence pour la rebâtir sur la solidarité, l’égalité et la coopération.
Sur cette question, des minorités luttantes en Occident ne baissent pas la garde. Elles ont compris que ‘’la démocratie du marché’’ conduit à produire du ‘’fascisme’’ et des extrémismes de tout bord. Il y en a parmi qui en appellent au travail en réseau pour l’avènement de l’altermodernité ou de la modernité de l’altruisme[5]. D’autres ont même pris les armes pour défendre ‘’la vraie Europe’’ contre ‘’la Natoland’’ des marchands de Bruxelles[6].
Donc, au Sud comme au Nord du monde, les choses bougent ; la déglobalisation est en marche. Un autre monde est en train de naître. Il requiert des Africains une attention particulière afin qu’ils apportent leur pierre à son édification multipolaire sans se laisser abuser par ‘’les marchands de Bruxelles’’ et faux rhétoriciens de ‘’la démocratie’’ et de ‘’la liberté’’ à vendre au prix de la conversion permanente de l’Afrique en un simple réservoir de matières premières. Ces Africains ont le devoir de travailler à l’avènement du panafricanisme des peuples pour résister aux assauts impuissantants du 1% d’oligarques d’argent occidentaux.
Mbelu Babanya Kabudi