Par Jean-Pierre Mbelu, analyste politique.
La rencontre (du 07 au 08/août) est une régression. Elle aurait été une rencontre sérieuse si la responsabilité du Rwanda (et de l’Ouganda) dans le soutien offert au M23 n’avait pas été mise entre parenthèse. La lecture de la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats de Conférence Internationale sur la région des Grands-Lacs (CIRGL) révèle qu’il y a une rupture entre les annexes du rapport des experts de l’ONU et les résultats de cette rencontre. Aucune allusion n’y est faite au rapport des experts de l’ONU du mois de juin. Néanmoins, il aurait été naïf de croire que « le paralytique » de Kigali et son cheval de Troie du Congo allaient déroger à leur modus operandi.
Au mois de juin 2012, une expertise plurielle de l’ONU a rendu un rapport dont les annexes détaillées prouvaient que la rébellion du M23, une rébellion émanant du CNDP (membre de la majorité présidentielle kabiliste), était soutenue par le Rwanda. Contrairement aux effets induits par plusieurs autres rapports ayant précédé celui-ci, certains pays occidentaux, soutiens sérieux du Rwanda de Kagame, ont posé un geste symbolique en suspendant leur aide bilatérale à l’endroit du « Singapour » de l’Afrique des Grands Lacs. L’ambassadeur itinérant des USA, Monsieur Rapp, a même entrevu la possibilité que Paul Kagame en soit convoqué en justice, s’il ne renonçait pas à son soutien au M23.
A ce point nommé, nous, Congolais(es), devrions être très vigilants. Et nous poser des questions du genre : « Qu’est-ce qui a changé du point de vue de la géopolitique et de la géostratégie internationale pour que ce geste symbolique soit posé ? » L’importance de cette question est liée à la connaissance du modus operandi des « parrains du Rwanda » : quand ils commencent à déshabiller saint Paul, ils sont plus ou moins sûrs d’habiller saint Pierre. Il est rare qu’ils s’engagent dans une action d’une telle envergure s’ils ne sont pas sûrs de rester les seuls maîtres du jeu. Aussi, l’Afrique (et le Congo) est-elle de plus en plus un espace important dans « la guerre tiède » que les USA et la Chine sont en train de se mener. Même si la Chine fait partie des pays ayant bataillé dur pour que les annexes du rapport des experts de l’ONU soient publiées (contre la volonté de blocage des USA), ces deux pays poursuivent leurs investissements au Rwanda. La dernière tournée africaine d’Hillary Clinton de onze jours (à partir du 1er août 2012) a annoncé les couleurs de cette « guerre tiède » : les USA, au nom de la démocratie et des droits de l’homme, voudraient dorénavant protéger l’Afrique contre ceux qui n’y viendraient que pour piller les matières premières. Cette rhétorique « inutile » et le geste symbolique à l’endroit du Rwanda posé par les USA risquent de nous distraire et de nous conduire à oublier que l’Afrique est (aussi) victime de la traite négrière, du colonialisme et de l’impérialisme, du néocolonialisme et du néolibéralisme entretenus par l’Occident, avec les USA en tête et la complicité des nègres de service.
Pourquoi devons-nous être vigilants ? Nous risquons de perdre de vue « la guerre tiède » entre les USA et la Chine et de croire que le geste symbolique posé par « l’oncle Sam » est un soutien à notre lutte collective de l’émancipation de la politique néocoloniale, impérialiste et néolibérale. Rappelons que la guerre contre « le terrorisme » a coûté (et coûte encore) très cher aux USA. La cupidité de leurs oligarchies d’argent les a précipités dans une crise économique qui ne dit pas son nom. Un malheur ne venant jamais seul, la sécheresse frappe 63% du territoire américain. L’Oncle Sam devra doubler de cynisme pour affronter toute cette situation catastrophique ; la démocratie et les droits de l’homme seront ses subterfuges dans sa guerre contre la crise économique. Nous devons donc rester vigilants et travailler à la reconquête et à la sauvegarde de notre souveraineté nationale en comptant beaucoup plus sur nous-mêmes que sur les soutiens extérieurs.
Il n’est pas exclu que dans ce contexte, Paul Kagame soit sacrifié comme Mobutu l’a été après la fin officielle de la guerre froide. Et sacrifier Paul Kagame sans ses parrains pourrait être une façon de poursuivre la même géopolitique et la même géostratégie, sans lui. Nous devons faire très attention.
Pour revenir à Kampala, disons que cette rencontre (du 07 au 08/août) aurait été une réussite si la responsabilité du Rwanda (et de l’Ouganda) dans le soutien offert au M23 n’avait pas été mise entre parenthèse. Et si la possibilité de les traduire en justice avait été entrevue. La lecture de la déclaration des chefs d’état et de gouvernement des Etats de Conférence Internationale sur la région des Grands-Lacs (CIRGL) révèle qu’il y a une rupture entre les annexes du rapport des experts de l’ONU et les résultats de cette rencontre. Aucune allusion n’y est faite au rapport des experts de l’ONU du mois de juin. Il est même curieux que Joseph Kabila qui, lors d’une conférence de presse accordée aux journalistes triés sur le volet à Kinshasa sur la situation de la partie orientale de notre pays, avait affirmé que le soutien du Rwanda au M23 est une secret de polichinelle, soit apparu sur une photo (de Kampala) en train de s’amuser avec sa cravate et tout souriant en compagnie de Paul Kagame et Yoweri Museveni. Oui. C’est curieux mais pas surprenant : Joseph Kabila se maintient à la tête de notre pays après un coup d’état administratif et il est le cheval de Troie de Kagame.
Dieu merci ! Un groupe de Rwandais et de Congolais, fort des rapports des experts de l’ONU de 2010 et de juin 2012, a, lui, décidé de traduire Paul Kagame en justice. Pour ce groupe, il y a eu tellement accumulation de preuves de l’implication de Kagame dans les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes économiques qu’il n’y a plus (entre autres) qu’une instance judiciaire internationale qui peut aider la région des Grands-Lacs à vivre en paix. Même si qui dit Paul Kagame dit aussi ses parrains. Mais là, un argument mérite d’être évoqué : en matière de justice, la responsabilité est d’abord individuelle ; même si les complices peuvent être poursuivis.
En déposant leur plainte contre Paul Kagame à la CPI le 17 août 2012, ce groupe de Rwandais et de Congolais va poser un geste symbolique fort ; il va exprimer son souci de voir la région des Grands-Lacs s’engager sur la voie de l’éthique de la responsabilité tournée vers le passé et celle de l’éthique de la réconciliation tournée vers l’avenir. Il est possible qu’en voulant mettre hors d’état d’agir Paul Kagame et ses escadrons de la mort, ce groupe soit en train de travailler à la guérison spirituelle de la région des Grands-Lacs. Même si la vigilance doit rester de mise.
Mbelu Babanaya Kabudi