L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu rappelle pourquoi il faut toujours replacer les évènements se déroulant au Congo dans le contexte d’un Etat failli et sous occupation, montre comment Vital Kamerhe, pris dans un feu qu’il a lui-même allumé, s’inscrit dans l’alternance avec Kabila et non dans la rupture avec le modèle qui prévaut au Congo, et nous invite à nous focaliser sur les questions de fonds au sujet du devenir du Congo : La question de la dépossession des congolais de la terre de leurs ancêtres, la question de la partition et de la balkanisation de notre pays.
Sur le Congo en tant qu’Etat failli et sous occupation
A un certain moment, nous sommes nombreux à oublier que le Congo est à la fois un Etat failli, manqué et un pays sous occupation. Qui dit Etat failli dit Etat qui entretient la violence à l’endroit de ses propres populations et qui est aussi incapable de protéger ses citoyens contre la violence extérieure. Un Etat manqué est aussi cet Etat qui ne respecte ni les lois édictés par sa propre constitution, ni les lois dites internationales.
Dans le contexte politique actuel du Congo, la violation des droits et libertés fondamentales ne peut pas être limitée au seul cas de Vital de Kamerhe. Ainsi, nous faisons une fausse lecture de ce qui se passe au Congo actuellement. Est-ce que c’est parce que Kamerhe est président d’un parti politique qu’il doit, en principe, bénéficier d’un peu plus d’attention que les autres congolais ?
Une chasse aux sorcières est organisée depuis un certain temps à Kananga. Il semble qu’aux dernières nouvelles, ce sont les infiltrés du CNDP à Kananga qui organisent cette chasse aux sorcières.
Le citoyen congolais Vital Kamerhe a des droits et des devoirs comme les autres citoyens, même si certains compatriotes discutent autour de cette question. Mais ce n’est pas parce qu’il est président d’un parti politique que le respect dû à ses droits et libertés fondamentales devrait prendre le pas sur le respect dû aux droits et libertés des autres compatriotes congolais.
Sur les difficultés de Kamerhe avec le pouvoir de Kinshasa
Vous avez aujourd’hui des compatriotes qui estiment que le feu dans lequel Kamerhe est pris a été allumé par lui-même. Kamerhe s’est inséré dans un processus vicié et vicieux, il a soutenu Kabila en écrivant un livre, « Pourquoi j’ai choisi Joseph Kabila ». Vous avez aussi un groupe de compatriotes qui estime qu’il y a un certain acharnement à l’endroit de Kamerhe.
Enfin, il y a d’autres compatriotes qui pensent que nous sommes en train d’assister à une distraction entre copains, qui ne doit pas être prise au sérieux comme problème politique.
Si Kamerhe se retrouve dans des situations où ses droits et libertés sont violés, il peut comme tout autre citoyen poser ce problème. Mais combien de congolais aujourd’hui ont été délogés de leurs maisons sans qu’on en parle ? Pire notre pays est sous occupation. Plusieurs congolais sont en train d’être délogés de la terre de leurs ancêtres. Nos terres du Sud-Kivu, du Nord-Kivu, de l’Ituri, sont en train de nous échapper. Plusieurs parties de notre terre congolaise ont été vendues comme carrés miniers aux entreprises multinationales. Pourquoi tout d’un coup, essayons-nous de faire comme si le délogement et les difficultés de Kamerhe étaient beaucoup plus importants que le fait que nous soyons en train de perdre notre terre ?
Voilà pourquoi tout en ne négligeant pas ce qui est en train de se passer, il faut replacer tout cela dans un contexte beaucoup plus général d’un Etat failli, faisant partie d’un réseau transnational de prédation, qui organise la violence. Cela nous évite de particulariser, personnaliser une question bien plus générale pour pouvoir le limiter à quelques politiciens et de laisser tomber dans l’oubli la question fondamentale : La question de la dépossession des congolais de la terre de leurs ancêtres, la question de la partition et de la balkanisation de notre pays.
Sur Vital Kamerhe et les médias
Kamerhe communique bien ces difficultés avec le pouvoir, il s’exprime et il débat. Et tout ce qui lui arrive est aussitôt mis sur internet et via les médias dits dominants. Et cela soulève des questions. Pourquoi n’a-t-il pas eu autant de débats, autant de médias qui se sont, par exemple, penchés sur le cas de Diomi Ndongala, Gabriel Mokia, et de tous ces compatriotes qui croupissent en prison aujourd’hui depuis que Laurent Désiré Kabila a été assassiné.
Ces espaces qui lui sont créés dans les médias dominants comme Jeune Afrique ou l’AFP ? Comment expliquer cela ? Quand nous savons que les médias dominants participent de l’ordre néolibéral du monde, est-ce que ce ne sont pas les mêmes parrains qui avaient mobilisé l’AFDL qui nous jouent un jeu ?
Comment expliquer que les mêmes qui sont en train de mettre le feu au poudre en Ukraine seraient des gentils personnes qui iraient relever le niveau de nos politiciens au Congo? Cela d’autant plus que là où interviennent l’USAID et National Democracy Institute (qui a financé les formations des partis comme l’UNC et l’UDPS, entre autres au Congo), il y a en général après de la casse. L’un des pièges dans lequel l’UNC s’est laissé prendre, et qui lui coûte ce qui est en train de lui coûter maintenant, c’est d’avoir cru en un faux processus démocratique. Il n’y a jamais eu de processus démocratique au Congo. Ils ne sont pas rendus compte à temps, qu’il y a une inversion sémantique des mots. Des mots comme démocratie, cohésion nationale, participation, droits de l’homme, libertés fondamentales, ne signifient absolument plus rien au Congo. Il y a une guerre de basse intensité, de prédation, d’agression qui bat son plein depuis les années 1990, il n’y a jamais eu de démocratie. Ce n’est pas parce qu’on a eu un semblant d’élections avec un corps électoral inconnu, qu’on a une démocratie. Ce n’est pas parce qu’on a un parlement, corrompu, que l’on peut parler de processus démocratique.
Sur les relations entre Kamerhe et Kabila
Kamerhe se laisse prendre à son propre jeu. Au même moment que Vital Kamerhe dénonce le processus électoral de 2011, il dit aussi qu’on ne va pas réécrire l’histoire. Il reconnaît Kabila comme président de la république, mais il a aussi dit que Kabila avait bourré les urnes. Il se laisse donc prendre dans un jeu où il reconnaît un monsieur illégitime comme président de la république. Quand vous écoutez Kamerhe dans la durée, vous sentez qu’il est beaucoup plus dans l’alternance et non dans l’alternative. Or au Congo, nous n’avons pas besoin d’une alternance. Nous avons besoin d’une alternative. Pourquoi ? Le modèle économique qui prévaut chez nous est un modèle qui organise la guerre de tous contre tous.
Il est important d’opérer certaines ruptures. Pas seulement avec le pouvoir illégitime, mais aussi avec ceux qui orchestré ce modèle de pouvoir illégitime.
Sur la corruption en politique et la balkanisation du Congo
Même dans des pays où nous semblons croire qu’il y a de la démocratie, le modèle néolibéral a tout englouti.
Qu’est-ce que le Congo peut faire dans un monde où, que ce soit aux USA, en France ou dans d’autres pays européens, les représentants du peuple qui sont au pouvoir sont au service des oligarchies d’argent ?
Ce qui se passe au Congo en miniature, c’est ce qui se passe dans la plupart des pays du monde aujourd’hui. Ainsi, souvent nous nous trompons de partenaires quand nous avons, par exemple, à apprendre une autre façon de faire de la politique. Au lieu de nous tourner vers l’Amérique latine, qui est très avancée, on se laisse former par les américains, alors que dans leur pays, il n’y a plus de démocratie. Nous n’avons pas d’assemblée nationale au Congo, nous avons des caisses de résonance des oligarques d’argent, qui sont manipulées à dessein dans un système qui vise sur le court, moyen et long terme, la balkanisation du Congo.
Cette balkanisation est déjà réalisée au niveau économique, parce que les matières premières qui sont produites au Congo ne nous donnent pas la plus value qui pourrait être redistribuée entre nos populations.
Cette balkanisation est déjà réalisée militairement, vous avez un groupe de militaires rwandais dans la plupart de nos camps.
Mais malheureusement, nous discutons sur le sexe des anges, nous particularisons les questions politiques secondaires qui peuvent constituer des distractions face à des questions de fond qui ne sont pas approfondies.
Sur Moïse Katumbi et la prédation au Congo
Avant qu’il ne devienne gouverneur, Moïse Katumbi, était un homme d’affaires. Quand Thierry Michel a sorti son film sur Moïse Katumbi, cela lui a créé beaucoup de problèmes. Moïse Katumbi est la face visible de l’iceberg. Des Moïse Katumbi, il y en a au Congo par centaines. Nous avons effectivement de nombreux compatriotes qui vident le Congo de ses richesses, et qui mettent leur argent, à l’extérieur. Et c’est cet argent qui nous revient resservi comme dons, comme aides, et qui devient une dette pour le pays et les générations futures. Moïse Katumbi est l’arbre qui cache la forêt de la prédation, telle qu’elle se passe au Congo.
Ce qui se passe au Congo, se passe aussi dans d’autres pays, dont certains ont réussi à y mettre fin. Nous pouvons tout en étant originaux, nous pouvons chercher à aller vers ces pays là pour nous informer, pour apprendre, pour leur poser cette question ci, par exemple : Comment est-ce que le socialisme du 21ème siècle est en train de s’enraciner en Amérique latine au point de mobiliser, en début février, 33 pays dans ce qu’on appelle aujourd’hui la communauté économique des pays latino-américains et des caraïbes?
Je respecte votre opinion cher rédacteur. J’apprécie sur tout le fait que vous n’êtes pas tombé dans des insultes et les histoires banales de Congolité comme le font la grande majorité de Congolais de la diaspora sur la toile. Un débat d’idées, voila ce dont le Congo a besoin. Une chose m’intéresse: Sur les relations entre Kamerhe et Kabila: Doit-on encore aujourd’hui s’imaginer que Kamerhe joue le jeu de Kabila? Kabila a fraudé aux élections de 2011, tout le monde le sait et Kamerhe a été le seul à porter ces irrégularités à la Cour Suprême de Justice. Toute l’opposition avec Tshisekedi et Kamerhe en tête ont crié aux fraudes massives en faveur de Kabila. Tshisekedi s’est autoproclamé Président. Et puis plus rien, rien. Silence! Les jours passaient et la légitimité de Kabila se consolidaient de plus en plus malgré les aboiements de l’opposition. Kamerhe tente de joindre Tshisekedi pour étudier quelle autre stratégie trouver à cela puisque Kabila continuait à être Président. Mais Tshisekedi dans son orgueil naturel, ferme ses portes. Qui joue le jeu de Kabila en ce moment?? Pour éviter de se retrouver en 2016 avec un Kabila qui nous ramène en 2011 en disant: « voila puisqu’il y a eu des fraudes 2011, alors remettons les compteurs a zéro, que tout le monde se représente de nouveau », Kamerhe prend de l’avance. Qu’on le veuille ou non, Kabila reste le Président puisqu’il est là. Et dire que pourquoi les médias ne se sont pas penchés sur les problèmes Diomi ou Mokia. Chaque homme politique a sa stratégie de communication et des hommes qui l’entourent. N’oubliez pas que Kamerhe a occupé à un moment de hautes fonctions politiques dans ce pays, il n’est pas à comparer aux Diomi et consorts. Comment voulez vous que les médias s’intéressent à un homme politique « normal » plutôt qu’à un ancien candidat président de la Republique arrivé 3eme et que le pouvoir cherche à effacer? Alternative ou Alternance, l’objectif premier est de chasser Kabila du pouvoir, peu importe la marque. On ne met pas la charrue avant le bœuf. Et j’avoue que Kamerhe est l’homme politique qui connait le mieux Kabila, et vous le savez. Il connait ses stratégies ainsi que les hommes qui l’entourent. Intelligent, dynamique et organisé (vous le savez également), il est mieux placé pour changer la donne. Le soutenir dans son courage, sa détermination et son obsession à chasser Kabila serait un salut pour tout le peuple Congolais. Je ne vois pas par quel autre miracle Kabila quitterait ce pouvoir si ce n’est par une révolution populaire. Or Kabila a tout verrouillé. Ouvrons l’œil et mettons de coté nos imaginations tribales, nos clivages no sens, nos messages plaintifs,… qui ne nous avancent à rien au lieu de saisir des occasions salutaires qui s’offrent à nous. Quand est-ce qu’on saura qu’en se plaignant à chaque coup on occasionne les mêmes faits? J’ai envie de vous supplier!! Aidons ce pays! C’est juste un point de vue.