Par Jean-Pierre Mbelu, analyste politique.
Il serait tentant de ne pas lire l’interview que James Kabarebe a accordée à Colette Braeckman à Kigali le 29 août 2012. De toutes les façons, elle revient sur plusieurs lieux communs. Néanmoins, lire cette interview peut avoir l’avantage d’aider à approfondir le modus operandi des escadrons de la mort travaillant autour de Paul Kagame et les liens qu’ils ont noués avec les élites compradores Congolaises. Dieu merci ! Leurs noms sont cités. Lire cette interview peut aussi nous permettre de voir comment lesdits escadrons de la mort réécrivent l’histoire de la sous-région des Grands Lacs en victimisation les Congolais(es) et en entretenant l’amnésie collective. Aussi, avant d’aborder l’interview elle-même, serait-il important de lire la présentation sommaire que Colette Braeckman fait de James Kabarebe. C’est comme si les médias dominants participaient de la falsification de l’histoire…
Le 29 août 2012, Colette Braeckman a réussi à interviewer l’un des escadrons de la mort de Kigali des années 90, James Kabarebe. Cette interview est précédée d’une présentation sommaire de cet officier du FPR par la journaliste Belge. Elle écrit : « Compagnon de Paul Kagame depuis la création du Front Patriotique rwandais (FPR) à la fin des années 80, chef d’état major puis ministre de la défense, le général Kabarebe joua aussi un rôle de premier plan au Congo : en 1996, lorsqu’éclata la première guerre qui mena à la chute du président Mobutu et au démantèlement des camps de réfugiés hutus, c’est lui qui mena l’offensive jusque Kinshasa. Devenu président en mai 1997, Laurent Désiré Kabila nomma Kabarebe au poste de chef d’état major. En 1998, brouillé avec son ancien allié, l’officier rwandais mit sur orbite la rébellion du RCD Goma, ouvertement soutenue à l’époque par les forces rwandaises et il lança un raid audacieux sur la base aérienne de Kitona (Bas Congo). Connaissant parfaitement le Congo, qu’il a traversé de bout en bout, familier de tous ses acteurs (y compris le président Kabila lui-même) James Kabarebe fut aussi l’inspirateur des accords conclus le 23 mars 2009 entre le pouvoir de Kinshasa et des soldats rebelles conduits par le général Laurent Nkunda. »
Cette présentation de l’actuel Ministre de la Défense du Rwanda mérite un minimum d’attention. Elle ne dit pas expressément que cet officier du FPR est impliqué dans les crimes de guerre, dans les crimes contre l’humanité et dans d’autres actes pouvant s’apparenter au génocide comme l’indiquent plusieurs rapports des experts de l’ONU publiés sur la situation humanitaire de la sous-région des Grands Lacs. Cette présentation ne souligne pas non plus qu’un mandat d’arrêt national et international a été livré contre James Kabarebe et 39 de ses co-criminels par le juge Espagnol Fernando Andreu Merelles à l’issue d’une longue enquête menée sur l’assassinat des ressortissants Espagnols au Rwanda après les évènements de 1994.
Et quand, dans cette interview, James Kabarebe soutient que tout commence en 2009, il torpille l’histoire. Quand il dit : « Pour retracer la genèse de l’histoire, il faut remonter aux accords conclus en 2009 et savoir que, jusqu’au lendemain des élections au Congo et jusqu’au mois d’avril 2012, il n’y a pas eu de problème », il dit une contre-vérité ; la guerre d’agression dans notre pays est permanente depuis 1996. Elle a été entretenue par l’infiltration des officiers Rwandais et d’autres mercenaires fidèles au Rwanda dont ceux du RCD Goma. Colette Braeckman en témoigne dans cette présentation quand elle note ce qui suit : « En 1998, brouillé avec son ancien allié, l’officier rwandais mit sur orbite la rébellion du RCD Goma, ouvertement soutenue à l’époque par les forces rwandaises et il lança un raid audacieux sur la base aérienne de Kitona (Bas Congo). » (Pour rappel, l’actuel interlocuteur de James Kabarebe à Kinshasa, Lambert Mende Omalanga, est un membre du RCD GOMA).
Les rébellions soutenues par le Rwanda et opérant dans notre pays ont participé et participent encore de l’affaiblissement interne des institutions et structures étatiques Congolaises pour faciliter l’exploitation éhontée des matières premières du sol et du sous-sol Congolais. (Cela avec la complicité des élites compradores Congolaises, les ONG humanitaires et la Monusco. Nous y reviendrons.) Après le RCD Goma, le Rwanda de James Kabarebe et de Paul Kagame a monté le CNDP et facilité son intégration dans l’armée avec comme objectif principal l’occupation de la partie orientale de notre pays. « En 2009, avoue James Kabarebe, nous avions aidé à résoudre le problème du CNDP en appuyant l’intégration de ses soldats dans l’armée gouvernementale… ». Pour rappel, le CNDP est aussi devenu membre de la Majorité dite Présidentielle et soutien de Joseph Kabila. Et il est une émanation du RCD.
Toutes ces deux rébellions ont obéi au même modus operandi : entretenir le gangstérisme économique et humanitaire pour intégrer les institutions et les structures étatiques congolaises afin de les affaiblir de l’intérieur et rendre le pays corvéable à souhait. Et quand James Kabarebe soutient dans ladite interview « qu’au Congo il n’y a ni gouvernement ni armée, seulement un grand vide », il dévoile un secret de polichinelle sans révéler la part des rébellions créées et soutenues par son pays et ses parrains dans cet évidement. Il joue à la politique d’autruche. Il cache le côté cynique du sale boulot auquel il participe. Et quand, malgré toutes les preuves de son implication et de celle de son pays aux côtés du M23 (émanation du CNDP) évoquées par Colette Braeckman et il parle des mensonges et des manipulations orchestrés par « ses protégés de Kinshasa », il croit que tous les Congolais sont des amnésiques.
Il dit peut-être sa part de vérité en répondant à cette question de Colette Braeckman : « Tous ces constats étant faits, la pression étant mise sur le Rwanda, quelles sont les pistes de solution ? ». James Kabarebe répond : « Rwanda n’est pas sous pression. Croyez vous vraiment que les Nations unies pourraient mettre le Rwanda sous pression ? C’est un non sens. Même les sanctions ne nous effraient pas, elles ne signifient rien… »
Pourquoi les Nations Unies ne pourraient-elles pas mettre le Rwanda sous pression ? D’abord, parce qu’elles font partie, avec le Rwanda, du jeu. James Kabarebe revient sur certains lieux communs en indiquant l’implication des agents de la Monusco dans le trafic des matières premières. «La Monusco, dit-il, a été au Congo durant plus de dix ans, et elle n’a rien résolu. Elle fait du business avec les FDLR, fait commerce avec l’or, le coltan, nous savons tout cela. »
Ensuite, il décrie leurs accointances avec Bosco Ntaganda, un criminel recherché par la CPI. « Pour ce qui concerne Bosco Ntaganda, explique-t-il, nous avons rappelé que la communauté internationale, qui exigeait l’arrestation de ce dernier, disposait au Congo d’une force de paix onusienne de 20.000 dotés de tanks, d’hélicoptères, de forces spéciales, une force se trouvant en partie à Goma, en face de chez Bosco. Avec lui, les officiers jouaient au tennis, ils fréquentaient les mêmes boîtes de nuit, les mêmes bars et restaurants. Pourquoi ne se sont ils pas chargés de l’arrêter, pourquoi nous ont-ils demandé de le faire ? » (Cette citation, bien que trahissant un lieu commun, montre aussi le côté rusé de James Kabarebe. Il fait de la Monusco la complice des FDLR pour justifier les accusations de manipulation et de fabrication des preuves des experts de l’ONU, protecteurs, selon lui, eux aussi des FDLR, ces « forces négatives » que Kigali combat. James Kabarebe fait comme si Kigali ne travaillait pas à « la reconversion de certaines FDLR » en ses escadrons de la mort !)
Enfin, les Nations Unies ne pourraient pas mettre la pression sur le Rwanda pour une raison majeure : la guerre de basse intensité contre le Congo et dans laquelle le Rwanda intervient est aussi une guerre secrète de la politique et de la justice internationale comme dirait Florence Hartmann. En effet, dans Paix et châtiment. (Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales), avec des preuves à l’appui, Florence Hartmann montre (entre autres) comment le FPR auquel appartient James Kabarebe jouit du soutien indéfectible des USA et de la Grande-Bretagne, membres permanents du Conseil de Sécurité. Pour avoir osé réclamer certains membres du FPR impliqués dans des crimes contre l’humanité qu’eux-mêmes avaient reconnus en répondent devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, le chef de Florence Hartmann, Carla Del Ponte, a été éjecté de son poste de procureure de ce Tribunal.
Aussi, le Rwanda n’a-t-il pas été signataire du statut instituant la CPI sous l’instigation de G. W. Bush. (Ainsi peut-il se permettre d’être le protecteur des officiers du FPR ayant infiltré l’armée congolaise et ayant commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité sur le sol congolais. Nkunda et Ntaganda sont des exemples éloquents.) Il serait important d’écouter les dissidents du FPR comme les membres du CNR (Conseil National Rwandais) et d’autres opposants du pays de Mille Collines. Cela nous permettrait de relativiser certains propos de l’actuel Ministre de la Défense Rwandais.
Il serait aussi important de reprendre, à des moments comme ceux-ci, le petit documentaire qui est sur le site Internet Ingeta. Il est intitulé : « Le conflit au Congo. La vérité dévoilée ». Il facilite la compréhension de la désinvolture de James Kabarebe et nous évite, à nous Congolais, de tomber dans l’amnésie et d’être vite contents. (à suivre)
Mbelu Babanya Kabudi