Par Mufoncol Tshiyoyo
Un homme politique congolais de Brazzaville m’a un jour lancé cette phrase en lingala, lors d’une rencontre dans un hôtel bruxellois : « Côté na bino, mibali ya solo bazali te » (De votre côté, aucun vrai homme n’existe). Aujourd’hui, Paul Kagame fréquente Sassou. On constate que Sassou l’accueille chez lui. Où est le problème ?
Finalement, n’est-il pas libre de ses mouvements ? Disons plutôt, de ses « alliances » ? Pourtant, dans le contexte actuel, le Congo-Kinshasa ne devrait ni ignorer ni marginaliser Sassou sous prétexte que Kagame s’est rendu à Brazzaville. Si Sassou affiche une certaine méfiance vis-à-vis de la RDC, c’est qu’il y a anguille sous roche. Et dire qu’hier encore, tout le monde le courtisait… Mais une fois encore, l’important n’est pas Sassou lui-même, mais notre manière de régir cette situation.
Une question de rapport de forces
Les puissants agissent selon leur force, tandis que les faibles subissent leur destin. C’est la leçon que Thucydide transmet dans le Dialogue mélien, ce fameux échange entre Athéniens et Méliens durant la guerre du Péloponnèse, repris dans Histoire de la guerre du Péloponnèse. Les Athéniens y expriment leur philosophie de manière crue : « La justice n’a d’importance que lorsque les forces sont équilibrées ; autrement, les puissants imposent leur volonté et les faibles se soumettent ».
« La justice n’a d’importance que lorsque les forces sont équilibrées ; autrement, les puissants imposent leur volonté et les faibles se soumettent ».
Fidèles à ce principe, ils ont assiégé Mélos, affamé la ville, obtenu sa reddition après plusieurs mois, puis exterminé tous les hommes en âge de se battre, tout en réduisant les femmes et les enfants en esclavage. « La justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d’autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent céder. » N’est-ce pas exactement la réalité que l’Occident, sous la houlette anglo-saxonne depuis les traités de Westphalie (1648), a érigée en norme mondiale ?
Sergueï Lavrov, lorsqu’il parle des Anglo-Saxons, dit les connaître. Ils lui sont familiers. Cette familiarité implique une capacité à anticiper, à comprendre l’adversaire pour mieux lui faire face. Cette connaissance ne se limite pas à une accumulation de faits, elle est une intelligence vivante des continuités et des ruptures historiques. Elle permet de passer d’un état de réaction à un état d’action, où l’on anticipe et prend l’initiative, comme les Russes l’ont démontré dans certains contextes.
Que faisons-nous ?
Mais nous, à Kinshasa, que faisons-nous ?
Je ne ferais pas référence à la chute de Goma en utilisant le verbe tomber. L’AFDL règne sur le Congo depuis 1997. Ainsi, il se réinvente sans cesse, génère des opportunités en entretenant délibérément des conflits. Cependant, je ne suis ni surpris ni étonné.
L’AFDL règne sur le Congo depuis 1997. Ainsi, il se réinvente sans cesse, génère des opportunités en entretenant délibérément des conflits.
Ruberwa et autres adeptes, qui ne sont pas dérangés, se la coulent douce à Kinshasa, où l’administration en charge de la boutique assure un suivi minutieux de l’élément « divertissement collectif ». L’AFDL changera de gestionnaire lorsque le moment sera venu, ou alors ce dernier négociera selon les conditions établies pour assurer la pérennité du système.
Kagame, sujet rwandais œuvrant pour le Rwanda, agit comme bon lui semble. C’est ainsi qu’il écrit l’Histoire. Et l’Histoire, qui reste une entrave sociale, finira par le juger. L’homme n’est pas Congolais. Ce n’est pas cela le problème.
Tout, sauf l’AFDL
Le vrai problème ne réside pas dans ce qu’il fait, mais dans ce que nous faisons (ou plutôt, ne faisons pas). Kagame ne fait qu’exister en fonction de ses intérêts. La véritable question est : Que faisons-nous, nous ?
Depuis quand attend-on la pitié des autres ? Cette phrase expose une mentalité de soumission et de victimisation qui, si elle n’est pas dépassée, empêche tout projet de souveraineté.
Alors, nous passons notre temps à accuser Kagame, en boucle. Cependant, lui, il est « jouable » Pendant ce temps, nous gémissons, demandons à Dieu, abandonnons le Congo entre les mains du Ciel, tout en circulant dans un 4 × 4 climatisé. Depuis quand attend-on la pitié des autres ? Cette phrase expose une mentalité de soumission et de victimisation qui, si elle n’est pas dépassée, empêche tout projet de souveraineté.
Je n’ai jamais compris cette obsession de vouloir que les autres éprouvent de la pitié pour nous. Tout, sauf l’AFDL. Nous devons empêcher qu’elle réédite ses exploits de 1997. Alors qui, parmi les jeunes Congolais formés dans les armées africaines, est prêt à relever ce défi ? Existe-t-il aujourd’hui des cadres congolais capables d’organiser une force alternative ? Sinon… Adieu le respect du monde. Likambo oyo eza likambo ya mabele, likambo ya mabele ezali likambo ya makila.
Mufoncol Tshiyoyo, M.T.,
Think Tank La Libération par la Perception, Lp et le Mouvement « Dissidence D »