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Goma et « ses monstres ». Une lecture systémique d’une guerre interminable

Goma et « ses monstres ». Une lecture systémique d’une guerre interminable

Goma et « ses monstres ». Une lecture systémique d’une guerre interminable 800 600 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et dans ce clair obscur surgissent des monstres. »– A. GRAMSCI

Le Kongo-Kinshasa est au coeur de l’Afrique. C’est sa gâchette (F.Fanon). Il est appelé à s’inscrire dans les changements tectoniques du monde. Il ne doit pas les subir. Il doit y prendre un part active et en subir les douleurs de l’enfantement. « Les monstres » surgissant à Goma ne sont pas une génération spontanée. Ils participent du retardement du nouveau monde en train de surgir.

Une lecture systémique du vieux monde qui se meurt est importante pour le devenir collectif au coeur de l’Afrique. La mémoire collective, l’histoire, l’éthique reconstructive , la justice, la fin de l’impunité , la défense de la terre ancestrale et des choix avertis des partenaires stratégiques sont des éléments importants pour une participation résiliente au surgissement du nouveau monde.

Le Kongo-Kinshasa est un corps

Des compatriotes partagent certaines convictions et approches de la guerre raciste et de prédation dont le Kongo-Kinshasa est victime en faisant fi de l’histoire et de la mémoire collective vivante, en évoquant « l’exceptionnalisme kongolais » comme motif suffisant pour éviter une lecture systémique de ce dont souffre ce pays depuis 1885 et un peu plus particulièrement depuis une trentaine d’années.

Parler de la guerre de l’Est du Kongo me semble être un non-sens. Pourquoi? Le Kongo-Kinshasa est un corps. Lorsqu’un membre souffre, tout le corps en prend le coup. Une preuve? L’argent dépensé pour la guerre – en plus de la corruption, des détournements et de l’enrichissement illicite – empêche que certains projets à impact social ne puissent pas être réalisés.

Parler, par exemple, de la guerre de l’Est du Kongo me semble être un non-sens. Pourquoi? Le Kongo-Kinshasa est un corps. Lorsqu’un membre souffre, tout le corps en prend le coup. Une preuve? L’argent dépensé pour la guerre -en plus de la corruption, des détournements et de l’enrichissement illicite- empêche que certains projets à impact social ne puissent pas être réalisés. Ou, pour dire les choses autrement, cette guerre de basse intensité sert d’alibi aux « petites mains » du Capital pour endetter et appauvrir le pays en orchestrant une ploutocratie. Et les majorités populaires massifiées en souffrent et peuvent facilement être manipulées par les mêmes « petites mains » du Capital les mettant les unes contre les autres afin de maintenir leur emprise sur elles.

Cette massification a pour objectif majeur l’abrutissement, l’assujettissement, l’effacement de la mémoire et de l’histoire de la conquête de l’Afrique et du Kongo-Kinshasa par  »le capitalisme du désastre » magnifiant le matérialisme, le militarisme et le mercantilisme.

Pris dans l’étau des « stratégies du choc » de ce capitalisme, les majorités kongolaises paupérisées anthropologiquement finissent par croire que n’importe qui ou n’importe quoi peut les sauver de ce désastre comme par coup de baguette magique. Hier, elles ont cru, qu’après Mobutu, même un chien pouvait être pour elles « un leader providentiel ». Elles juraient : « Tout sauf Mobutu .Un chien peut faire l’affaire. »

Les majorités massifiées, les textes, les rapports et Sun City

Si elles avaient « une âme », un peu de mémoire et un sens certain de l’histoire, ces majorités massifiées auraient pu procéder à une évaluation critique du résultat de « leurs prières » après bientôt une trentaine d’années. Malheureusement, elles n’en ont pas. Si elles en avaient, elles auraient pu procéder à la lecture collective de certains textes et rapports rédigés sur la guerre interminable dont elles sont les premières victimes. Elles se rendraient compte, par exemple, que ce qui se passe dans leur pays, ce sont des crimes organisés en réseaux[1] par des mondialistes prenant appui sur des proxies faisant l’éloge du sang[2] et qui, en toute impunité sont devenus des assassins sans frontières[3].

Malgré tous ces textes et ces rapports, « les nouveaux prédateurs » et assassins sans frontières sont demeurés impunis. Il n’ y a pas eu un début d’une « éthique reconstructive » au Kongo-Kinshasa. Conséquence ? Des récidivistes font et refont toujours surface dont « le raïs » !

Impunis, les assassins sans frontières se sont enracinés dans les structures et les institutions kongolaises. Ils les ont infiltrées et corrompues de façon à transformer le Kongo-Kinshasa en un « Etat raté » au service des mondialistes, de leurs valets, de leurs larbins et au détriment de ses populations paupérisées.

Impunis, ces assassins sans frontières ont créé leur réseau d’élite de prédation. Le rapport des experts de l’ONU de 2002 dénommé « rapport Kassem » en témoigne. Le livre de Colette Braeckman intitulé « Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale » (Paris, Fayard, 2003) s’en inspire. Ce rapport cite plusieurs proxies de la guerre de basse intensité menée contre le Kongo-Kinshasa. Il cite celui qui, après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en 2001 est devenu, avec le soutien de plusieurs kongolais véreux, le Président du Kongo-Kinshasa tout en étant membre de ce réseau de prédation. Panama Papers et Congo Hold Up sont venus confirmés ce qui était déjà dévoilé dans le rapport Kassem. Impunité oblige !

Malgré tous ces textes et ces rapports, « les nouveaux prédateurs » et assassins sans frontières sont demeurés impunis. Il n’ y a pas eu un début d’une « éthique reconstructive » au Kongo-Kinshasa. Conséquence ? Des récidivistes font et refont toujours surface dont « le raïs » !

Tenez. Après la fameuse rencontre de Sun City au cours de laquelle « les nouveaux prédateurs » estiment avoir conclu « un pacte républicain », il avait été prévu que les élections commencent par les locales. Cela n’ a pas pu avoir lieu. Pourquoi ? Peut-être parce que « le président » du pays avait déjà été choisi. A Sun City, la mise en place d’une commission (Justice)), Vérité et Réconciliation avait été prévue. Elle a vu jour et n’a jamais pu fonctionner. Pourquoi ? Sun City a servi aux mondialistes comme moment privilégié pour imposer « un nouveau prédateur » aux kongolais par l’entremise de Thabo Mbeki. Partageant un café avec Valentin Mubake et Kabamba Mbwebwe au cours de ces assises, il leur dira : « Il m’ a été imposé d’imposé Kabila aux Kongolais ». (Mubake est encore vivant et cela peut être vérifié.)

Donc, Sun City n’a pas réussi à imposer aux Kongolais la commission (Justice,) Vérité et Réconciliation. Le réseau de proxies des mondialistes et de nouveaux prédateurs n’a pas été démantelé au coeur de l’Afrique. Le rapport Mapping de 2010 en témoigne. Au Kongo, ce réseau a eu ses ramifications et ses clients. Les dignes filles et les dignes fils du Kongo-Kinshasa épris de justice et de paix en ont payé les prix.. Plusieurs ont été enterrés dans les fausses communes.

Sun City a davantage promu une vision néocolonialiste du Kongo-Kinshasa comme « gâteau ». Un « gâteau » que peuvent se partager les nouveaux prédateurs, leurs clients et leurs marionnettistes.

Tout ce beau monde a menti en faisant de Sun City le lieu où s’est conclu un « pacte républicain ». C’est de la foutaise , tout ça. Non. A Sun City, le Kongo confié officiellement à un sous-fifre, à un « cheval de Troie » du Rwanda, a été mis sous tutelle[4]. Il peine à pouvoir en sortir. Pourquoi ? Les proxies, les nouveaux prédateurs et leurs clients n’ont pas encore été publiquement jugés malgré leurs crimes de guerre, leurs crimes contre l’humanité et leurs crimes économiques. Et puis, les issues proposées ne semblent pas être promotrices d’une souveraineté protectrice des populations paupérisées et gardienne de la Charte de l’ONU et alliée du Sud Global. Parler de démocratie dans cet imbroglio me semble être une honte.

Les nouveaux prédateurs et le déclin du néolibéralisme

En effet, les nouveaux prédateurs ont été (et sont encore?) indispensables au néolibéralisme en déclin. Ils se positionnent comme des « individus souverains » en guerre contre les Etats souverains et leur enracinement dans les cultures et les civilisations originaires. Etant au service d’eux-mêmes et des grandes familles promotrices du mondialisme, ils s’en prennent aux organisations sociales originaires comme la tribu, le clan et l’ethnie. Ils les instrumentalisent pour les mettre les unes contre les autres en vue de tirer, comme mercenaires, leur épingle du jeu. Ayant des origines culturelles douteuses, ils ont fait un choix résolu pour la déstructuration des organisations sociales originaires indispensables à l’enracinement culturel. Ils sont des alliés indéfectibles de ceux qui ne veulent pas « retirer leurs mains » du Kongo comme les y invitaient le Pape François. Ils sont leurs « collabos ».

En effet, les nouveaux prédateurs ont été (et sont encore?) indispensables au néolibéralisme en déclin. Ils se positionnent comme des « individus souverains » en guerre contre les Etats souverains et leur enracinement dans les cultures et les civilisations originaires.

A l’Est du pays, ils ont une phobie terrible à l’endroit des patriotes ayant décidé de défendre la terre- mère au prix de leur sang. Il en a été de même au centre du pays. « Le cheval de Troie » du Rwanda s’en était pris aux patriotes fidèles à leur chef Kamwina Nsapu pour des motifs mercantilistes évidents.

Positivement, Kinshasa a un « Livre Blanc » sur les crimes commis à l’Est du pays. C’est un pas important. Néanmoins, son flou dans le choix des partenaires stratégiques pouvant l’aider à faire avancer la cause du pays inquiète. Oui. C’est bon d’affirmer que la justice élève un pays. Alors, il est souhaitable de pousser la logique jusqu’au bout. C’est-à-dire de s’engager résolument avec des partenaires stratégiques partageant cette approche pour neutraliser « la contradiction primaire ».

Positivement, le pays a aujourd’hui des compatriotes qui disent : « Ils peuvent tromper tout le monde, sauf nous. Biso, mémoire ezo sala. » Dieu merci. Ces compatriotes savent débiter, par coeur, l’histoire des trente dernières années du pays. C’est une chance énorme. Les livres cités dans cet article peuvent les aider à rendre leur mémoire de plus en plus vivante et les inciter à devenir les intellectuels organiques pour les majorités massifiées.

Ils témoignent, ces compatriotes, qu’un peuple sans mémoire ne peut pas être un peuple libre. Les démons de Goma ont éveillé la mémoire collective kongolaise. Il me semble que les mercenaires et les proxies opérants dans cette partie du pays et dans les institutions kongolaises ne vont pas avoir gain de cause.. La vérité finira par triomphe. Les Kongolais(es) connaissant la vérité participeront de l’émancipation politique de leur pays. Cela peut prendre du temps. Mais cela se réalisera.

Mais pas par coup de baguette magique. Mais en rompant avec la logique systémique. En rompant avec la prise sorcière du capitalisme prédateur à même de neutraliser la capacité collective de penser et de sentir. D’où l’importance de produire de l’intelligence collective dans les communautés de base de la société kongolaise. Que la longue histoire du militarisme, du mercantilisme et du matérialisme (sans esprit) y soit contée et débattue. Il y a va de l’émancipation politique souverainiste, résiliente et résistance des majorités massifiées et en attente d’un « leader politique salvateur » semblable à un chien.

Conclusion

Rompre avec « l’exceptionnalisme illusoire » kongolais est une exigence vitale. Nous vivons dans un même monde que les autres peuples. Et il est un fait que dans ce même monde, le capitalisme néolibéral est en train de mourir. Une économie étatique planifiée dans certains Etats civilisations est en train de s’imposer de manière polycentrique. Dans « ce clair-obscur » les monstres surgissent. Il serait fou de croire que ce qui se passe à Goma est une génération spontanée. Non. Qui est derrière Paul Kagame , le mentor de Kabila ? Lisez Judi Rever et vous serez édifiés. En politique, rien n’arrive au hasard. Une dernière référence : Pierre Péan et la confidence de Denis Sassou Nguesso[5].

Les livres délivrent de l’amnésie et entretiennent une mémoire vivante et vigilante.

 

Babanya

[1] Lire H. NGBANDA NZAMBO, Crimes organisés en Afrique centrale. Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux, Paris, Duboiris, 2004.

[2] Lire J. REVER, Rwanda. L’éloge du sang, Paris, Max Milo, 2020.

[3] Lire M. WRONG, Rwanda. Assassins sans frontières. En quête sur le régime de Kagame, Max Milo, 2023.

[4] Lire J-C. WILLAME, Les « faiseurs de paix ». Gestion d’une crise internationale dans un Etat sous tutelle, Bruxelles, Complexe, 2007.

[5] P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 531-532.

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