Le discours du Docteur Mukwege aux Nations-Unies le 25 septembre 2012.
Excellences Messieurs les Ambassadeurs,
J’aurais voulu commencer mon discours par la formule habituelle : «j’ai l’honneur et le privilège de prendre la parole devant vous.»
Hélas ! les femmes victimes de VS de l’Est de la RDC sont dans le déshonneur. J’ai constamment sous mes yeux les regards des vieillardes, des filles , des mères et même des bébés déshonorés. Aujourd’hui encore, plusieurs sont soumises à l’esclavage sexuel ; d’autres sont utilisées comme arme de guerre. leurs organes sont exposés aux sévices le plus ignoble.
Et cela dure depuis 16 ans ! 16 ans d’errance ; 16 ans de torture ; 16ans de mutilation ; 16 ans de destruction de la femme, la seule ressource vitale congolaise ; 16 ans de déstructuration de toute une société. Certes, vos états respectifs ont fait beaucoup en terme de prise en charge des conséquences de ces barbaries. Nous en sommes très reconnaissant.
J’aurais voulu dire « j’ai l’honneur de faire partie de la communauté internationale que vous représenter ici » Mais je ne le puis.
Comment le dire à vous, représentant de la communauté internationale quand, la communauté internationale a fait preuve de peur et de manque de courage pendant ces 16 ans en RDC.
J’aurais voulu dire « j’ai l’honneur de représenter mon pays. », mais je ne peux pas non plus. En effet, comment être fier d’appartenir à une nation sans défense ; livrée à elle-même ; pillée de toute part et impuissante devant 500.000 de ses filles violées pendant 16 ans ; 6000000 de morts de ses fils et filles pendant 16 ans sans qu’il y aucune perspective de solution durable.
Non, je n’ai ni l’honneur ; ni le privilège d’être là ce jour. Mon cœur est lourd. Mon honneur, c’est d’accompagner ces femmes Victimes de Violence courageuses ; ces femmes qui résistent, ces femmes qui malgré tout restent débout.
Aujourd’hui grâce au rapport des experts des nations Unies , au Mapping report du haut commissaire aux droits humain des nations unies et beaucoup d_ autres rapports crédibles , plus personne ne peut se cacher derrière l’argument de la complexité de la crise .Nous savons donc désormais les motivations de cette crise et ces différents acteurs. Ce qui fait défaut c’est la volonté politique. Mais jusques à quand ? Jusques à quand devons nous encore assister impuissants à d’autres massacres ?
Excellences,Messieurs les Ambassadeurs ; c’est avec une grande humilité que je vous dis, vous avez…
On a pas besoin de plus de preuve, on a besoin d’une action, une action urgente pour arrêter les responsables de ces crimes contre l’humanité et les traduire devant la justice. La justice n’est pas négociable On a besoin de votre condamnation unanime des groupes rebelles qui sont responsables de ces actes, on a besoin des actions concrètes à l’encontre des états membres des nations unies qui soutiennent de près ou de loin ces barbaries. Nous sommes devant une urgence humanitaire qui ne donne plus place à la tergiversation. Tous les ingrédients sont réunis pour mettre fin à une guerre injuste qui a utilisé la violence et le viol de femmes comme une stratégie de guerre. Les femmes congolaises ont droit a une protection à l’instar de toutes les femmes de cette planète.
Vouloir mettre tous ces rapports crédibles dans le tiroir de l’oubliette sera porté une atteinte grave à la crédibilité de différentes résolutions des nations unies exigeant la protection des femmes en période des conflits et donc décrédibiliser toute notre chère institution qui pourtant est censée garantir la non répétition du génocide.
Les acquis de la civilisation reculent ; ils reculent par les nouvelles barbaries comme en Syrie et en RDC ; mais aussi par le silence assourdissant et le manque de courage de la communauté internationale. Nous ne saurions pas taire la vérité car elle têtue, nous devrions plutôt l’affronter pour éviter de trahir nos idéaux .
J’ai l’honneur de dire que le courage des femmes VVS de l’Est de la RDC finira par vaincre le mal. Aidez-le à retrouver la paix !
Je vous remercie.
Denis Mukwege
Médecin Directeur
Hôpital de Panzi
Bukavu-RDCongo