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Congo-Rwanda : la farce des bourreaux, des visages qui tombent, mais des chaînes qui demeurent

Congo-Rwanda : la farce des bourreaux, des visages qui tombent, mais des chaînes qui demeurent

Congo-Rwanda : la farce des bourreaux, des visages qui tombent, mais des chaînes qui demeurent 960 540 Ingeta

Par Mufoncol Tshiyoyo

1. Le piège de l’oubli

« Un peuple qui oublie ses morts est un peuple qui accepte de mourir. »
Aminata Traoré

La déchéance médiatique de Paul Kagame, hier encensé et aujourd’hui « diabolisé », soulève un dilemme : faut-il s’en réjouir ou s’en indigner ? La réponse dépasse l’homme pour révéler un rituel : des peuples épuisés applaudissent la chute d’un « bourreau », ignorant que le système qui l’a façonné demeure intact. Le Nigérian Wole Soyinka aurait déclaré : « Ce ne sont pas les tyrans qu’il faut craindre, mais l’indifférence qui les engendre. »

Ne nous y trompons pas : pleurer ou rire d’une marionnette, c’est déjà participer à son jeu et, par là, alimenter le mécanisme d’un système qui ne faiblit jamais.

Mon propos n’est ni de verser une larme hypocrite, ni d’offrir à l’intéressé une dignité qu’il a lui-même piétinée. L’homme, dans toute sa réalité, n’inspire ni pitié ni respect : il n’est qu’un instrument d’un système implacable qui fabrique et détruit ses valets selon une logique froide. Kagame, Mobutu, Compaoré… Ces noms sont juste des masques. Derrière lesquels, une machinerie impitoyable transforme les ressources en sang, les promesses en chaînes et les peuples en spectateurs consentants, piégés dans une spirale qu’ils peinent à briser.

Ne nous y trompons pas : pleurer ou rire d’une marionnette, c’est déjà participer à son jeu et, par là, alimenter le mécanisme d’un système qui ne faiblit jamais. Son ascension, tout comme le simulacre de sa chute, rappellent une vérité que nous lui avions jadis assénée. Sa réponse, teintée de la morgue des exécutants zélés, résonne encore : « Je ne suis pas Mobutu. » Pourtant, le système, lui, n’a pas changé de partition. Mobutu, lui, avait compris trop tard le jeu impitoyable auquel il participait.

2. La valse des traîtres : mécanique d’un système rodé

« L’Afrique ne manque pas d’hommes forts, elle manque de peuples forts. »
Joseph Ki-Zerbo

« Il n’y a qu’une chose pire que l’hostilité des Anglo-Saxons : leur amitié. » Cette phrase, attribuée au général russe Alexej Jedrichin-Wandam, résume le drame des Kagame, Mobutu, Compaoré et autres Taylor. Tous furent formés, financés et célébrés par les puissances occidentales. On leur procura des armées, des médias dociles et une légitimité internationale, contre des services rendus : accès aux minerais stratégiques, containment régional, « ouverture économique ».

En réalité, le valet croit être un acteur dans son propre destin alors qu’il n’est qu’un figurant dans une pièce où les vrais auteurs restent dans l’ombre.

Au cœur de cette stratégie millimétrée, ils incarnent une logique vieille comme la colonisation : « Diviser pour mieux régner, corrompre pour mieux piller. » Leurs « crimes » ne sont jamais que l’exécution de consignes implicites. Ces crimes, bien qu’injustifiables, s’inscrivent dans un pacte tacite qui ne sert qu’une seule logique : celle des intérêts suprêmes de leurs architectes. Mais Rome, comme le rappelle l’adage latin corrigé (Roma traditoribus non praemia – « Rome ne récompense pas les traîtres »), ne pactise qu’avec ses intérêts. Une fois l’outil émoussé ou devenu encombrant — corruption trop visible, conflits régionaux ingérables ou simple bascule des priorités géopolitiques —, on le jette avec la même froideur qu’on l’a installé. Le départ soudain de ces figures ne marque pas la fin des maux qu’elles ont engendrés. Ce rejet, cependant, laisse derrière lui des pays ravagés, des peuples déchirés et un héritage de désespoir.

Une fois écartés, ces acteurs et les nations qu’ils laissent dans le chaos ne représentent plus qu’un chapitre sombre dans une dynamique impériale sans fin. Le Russe Andrej Fursov, historien des empires, résume : « On prend différents chemins. » Dans cette mise en scène cynique, les acteurs visibles jouent leur rôle éphémère, inconscients d’être manipulés dans l’ombre.

En réalité, le valet croit être un acteur dans son propre destin alors qu’il n’est qu’un figurant dans une pièce où les vrais auteurs restent dans l’ombre.

3. Mémoire courte, peuples otages : l’amnésie comme arme de domination

« Les chaînes de l’Afrique ont été forgées avec l’or de l’Afrique. »
Thomas Sankara

Qui se souvient que les « sanctions » imposées à un pantin servent avant tout à blanchir les véritables commanditaires ? Une nation, intoxiquée par des narrations simplistes, se réjouit de la défaite d’un mercenaire ; oubliant toutefois que ses troupes ont été formées par les formateurs du maître, que ses finances étaient encadrées par des institutions bancaires genevoises et que ses crimes furent dissimulés par des résolutions de l’ONU. Les fosses communes, les villages rasés, les enfants soldats – tout cela a un prix, payé en euros, en dollars, en francs CFA.

Le drame ne réside pas dans la condamnation du bras armé, mais dans l’impunité persistante de ceux qui l’ont conçu, financé et dirigé. Les morts, eux, ne se réjouissent pas. Les fosses communes du Congo, les villages incendiés du Sahel, les rues d’Abidjan ou de Monrovia jonchées de corps, toutes ces tragédies portent un même avertissement : le bourreau n’est qu’un instrument.

Le drame ne réside pas dans la condamnation du bras armé, mais dans l’impunité persistante de ceux qui l’ont conçu, financé et dirigé. Les morts, eux, ne se réjouissent pas. Les fosses communes du Congo, les villages incendiés du Sahel, les rues d’Abidjan ou de Monrovia jonchées de corps, toutes ces tragédies portent un même avertissement : le bourreau n’est qu’un instrument. Il agit sur ordre, pour le compte de réseaux qui survivent à sa disgrâce. Pourtant, lorsque tombe le masque du « méchant » désigné, le peuple – abreuvé de récits tronqués – se contente de rire ou de pleurer. Jamais il ne pose les vraies questions : « Qui a fourni les armes ? Qui a blanchi l’argent ? Qui a légitimé le crime dans l’ombre ? »

Cette amnésie n’est pas fortuite. Elle est méthodiquement entretenue. Les médias, qu’ils soient locaux ou internationaux, transforment les exécutants en monstres isolés, effaçant les circuits du pouvoir qui les relient aux banques zurichoises, aux cabinets londoniens ou aux états-majors étrangers. Les sanctions, présentées comme une « victoire de la justice », ne sont qu’un écran de fumée : elles frappent le soldat, jamais le général. Pendant que le peuple se distrait de la disgrâce du pantin, les véritables maîtres recyclent leurs outils. Hier, ils finançaient les milices ; aujourd’hui, ils subventionnent les « ONG de paix ». Sankara l’avait dénoncé avec lucidité : « Ils parlent de développement, mais organisent le sous-développement. »

Achille Mbembe, dont je ne partage pas la critique qu’il adresse à Frantz Fanon, rappelait que : « La domination ne triomphe pas par la force, mais par notre consentement à l’oubli. » En applaudissant la mascarade des « chutes » spectaculaires, le peuple devient complice de son propre asservissement. Il se satisfait d’un bouc émissaire, oubliant que le système, lui, reste intact.

Demain, un autre bras armé surgira, et le cycle reprendra. Les morts, eux, ne reviendront pas.

4. Les racines du cercle vicieux

« On ne décolonise pas un pays en changeant le costume du colonisateur. »
Frantz Fanon

Imaginons un pays privé de structures souveraines, où les institutions sont réduites à des ombres, les armées au service de l’étranger et les économies dépendantes de l’aide extérieure. Ces nations deviennent des marionnettes, exposées à tous les vents, et leurs prétendus succès – croissance artificielle, stabilité fragile – ne sont juste que des mirages soigneusement entretenus pour masquer leur soumission.

Pour s’assurer que la flamme de l’unité populaire ne prenne jamais, les puissances externes exacerbent les fractures internes. Ces divisions – ethniques, religieuses, régionales – deviennent des armes redoutables.

Dans ce théâtre bien rodé, les élites locales jouent un rôle central. Elles ne sont pas des victimes, mais des gardiennes du statu quo. Leur survie et leur opulence reposent sur leur alliance tacite avec les maîtres du système. Chaque compte bancaire en Suisse, chaque villa à Dubaï, est la récompense de leur loyauté envers ceux qui les maintiennent au pouvoir, au détriment de leur peuple.

Ainsi, pour s’assurer que la flamme de l’unité populaire ne prenne jamais, les puissances externes exacerbent les fractures internes. Ces divisions – ethniques, religieuses, régionales – deviennent des armes redoutables. Les lignes de séparation, comme celles des « Hutu/Tutsi », « nord/sud » ou « musulman/chrétien », sont amplifiées pour transformer les peuples en ennemis. Patrice Lumumba l’avait dénoncé : ils apprennent aux frères à se haïr, pour mieux asseoir leur règne.

Briser ce cercle vicieux demande plus qu’un simple rejet des pantins déchus. Leur chute n’est qu’un écran de fumée : demain, un nouvel « homme fort », bardé de slogans séduisants, prendra leur place pour perpétuer le même système. La véritable solution réside dans une rupture radicale. Sanctionnons les complices locaux – qu’ils soient politiciens, avocats ou intermédiaires – et dénonçons les multinationales et les banques qui alimentent la machine néocoloniale.

Cependant, au-delà des actions immédiates, nous devons réapprendre notre histoire. Les figures comme Mobutu ou Kagame ne furent pas des accidents isolés, mais des créations d’un système conçu pour exploiter. Sankara, Lumumba, ces noms sont des rappels poignants : ils ne furent pas tués par hasard, mais sacrifiés sur l’autel d’un néocolonialisme insidieux.

5. Conclusion : ni héros ni bouffons, juste un peuple debout

L’effondrement d’un Kagame ou d’un Mobutu n’est ni une tragédie ni une comédie. C’est un chapitre de plus dans une histoire où les peuples africains, trop souvent relégués au rôle de spectateurs, doivent reprendre la plume pour écrire leur propre destinée. Sortir de ce scénario ne passera ni par les moqueries contre un pantin déchu, ni par l’illusion qu’un nouveau « libérateur » viendra tout réparer. Cela naîtra d’une prise de conscience collective, un refus catégorique d’être complices de son propre asservissement.

Pour notre génération, la mission est désormais claire : briser le miroir qui, depuis trop longtemps, nous renvoie une image façonnée par d’autres. Il est temps de regarder en face ce que nous sommes et de construire, avec fierté et détermination, ce que nous voulons devenir.

Frantz Fanon l’avait écrit avec une lucidité inébranlable : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » Pour notre génération, la mission est désormais claire : briser le miroir qui, depuis trop longtemps, nous renvoie une image façonnée par d’autres. Il est temps de regarder en face ce que nous sommes et de construire, avec fierté et détermination, ce que nous voulons devenir.

Debout, un peuple ne demande pas justice, il l’impose ; il ne réclame pas sa liberté, il la crée. Likambo oyo ezali likambo ya mabele, likambo ya mabele ezali likambo ya makila.

 

Mufoncol Tshiyoyo, M.T.,
Think Tank La Libération par la Perception (Lp) et membre du mouvement La Dissidence « D ».

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