Par Jean-Pierre Mbelu
Le Congo-Kinshasa, disais-je dans la première partie de cet article, est un pays passionnant. Malgré tout. Il est au cœur de grandes luttes géopolitiques et géostratégiques du monde depuis la nuit des temps. Il est curieux que des compatriotes ayant décrié le fonctionnement mystificateur et mensonger du régime actuel de Kinshasa se mettent à créer des cartels électoralistes en se rendant tout d’un coup compte que leurs égos surdimensionnés devraient être mis de côté.
Pourquoi maintenant ? S’agit-il prioritairement de la surdimension des egos ou d’une lecture falsifiée de notre histoire collective et de la crise de légitimité politique dont le pays souffre depuis l’assassinat du premier ministre élu au suffrage universel, monsieur Patrice-Emery Lumumba ? Lequel assassinat a provoqué une désorientation existentielle dans le chef de plusieurs filles et fils du Congo-Kinshasa intéressé(e)s par la politique.
Relire notre histoire collective
Pourquoi maintenant ? Pourquoi tout d’un coup, des programmes de gouvernement et des projets de société télécommandés à partir d’ Atlantic Council ou de The Open Society Foundation séduisent-ils une bonne partie de notre jeunesse et de nos populations sans que leur orientation néolibérale soit remise en cause ? Oui. D’un coup, les défilés des »compatriotes rusés » à ces fabriques des idées ultralibérales sont vites oubliés. Leur lobbying aussi.
Pourquoi tout d’un coup, des programmes de gouvernement et des projets de société télécommandés à partir d’ Atlantic Council ou de The Open Society Foundation séduisent-ils une bonne partie de notre jeunesse et de nos populations sans que leur orientation néolibérale soit remise en cause ?
D’un coup, ils se veulent, aux prochaines élections-pièges-à-cons, des défenseurs de la démocratie (du marché?) et des partisans de la lutte contre »la corruption » sans qu’eux-mêmes et leurs fanatiques se rendent compte que la statu quo qu’ils tiennent à (maintenir et/ou) reproduire au cœur de l’Afrique est nuisible à la santé mentale et physique de nos populations. Il provoque et perpétue la régression anthropologique. Sans une relecture conséquente de notre histoire collective, ces »intelligences perverties » tiennent à poursuivre l’oeuvre de la colonisation des cerveaux congolais.
Elles évitent, comme la peste, cette question majeure : »Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment, en plein 21ème siècle, un jeune homme venu de nulle part a-t-il pu être applaudi par les masses populaires congolaises et leurs élites comme un »raïs 100% » ? »
Il y a des luttes collectives inachevées. Elles nous rattrapent. L’union prônée hier par Lumumba revient sur le devant de la scène politique. Fustigeant la politique du »diviser pour régner », Lumumba disait : » Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué- et elles contribuent encore- au suicide l’Afrique. » ( Africains, levons-nous ! Discours de Patrice Lumumba, prononcé à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959, Paris, Ed. Points, 2010, p.10.) Il ajoutait : »Plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l’oppression, à la corruption et aux manœuvres de division auxquelles se livre les spécialistes de la politique du « diviser pour régner ». » (Ibidem, p.11)
Lumumba n’a pas été compris, ni suivi
Lumumba n’a été ni compris, ni suivi. Est-il seulement lu ? Pourtant, ce digne fils du Congo-Kinshasa était »un prophète ». Il avertissait ses compatriotes en attirant l’attention de tous sur le fait »qu’il est hautement sage de déjouer, dès le début, les manœuvres possibles de ceux qui voudraient profiter de nos rivalités politiques apparentes pour nous opposer les uns aux autres et retarder ainsi notre libération du régime colonialiste. » (Ibidem)
Du régime colonialiste, le Congo-Kinshasa est passé au régime néocolonialiste et son émancipation politique tarde à venir… Avant les années 1960, Lumumba savait que »l’expérience démontre que dans nos territoires africains, l’opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie n’est souvent pas inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, si pas l’unique mobile. » (Ibidem) Plus de soixante ans après, ce texte ne semble pas pris une ride. Il est toujours d’actualité. N’est-ce pas la recherche de la gloriole et des intérêts personnels qui a conduit plusieurs d’entre les compatriotes de Lumumba à choisir »la négritude de service » au lieu des luttes permanentes d’émancipation politique ?
Du régime colonialiste, le Congo-Kinshasa est passé au régime néocolonialiste et son émancipation politique tarde à venir… Avant les années 1960, Lumumba savait que »l’expérience démontre que dans nos territoires africains, l’opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie n’est souvent pas inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, si pas l’unique mobile. »
Soixante après, plusieurs d’entre nous croient que le salut est dans l’union. Et moi et les miens, nous disons : »Union. Oui. Mais pas au pris de la servitude volontaire ». Nous préférons travailler à l’avènement des »solidarités résistantes » sur fond des principes de commune socialité et de conflit maîtrisé.
Après la publication de la première partie de cet article, en plus des textes traitant des »cartels électoralistes », je suis tombé sur une » Déclaration sur la crise de légitimité en RDC » publiée par Dynamik Congo & Alliés. A la lecture de ce texte, j’ai eu un certain apaisement. Je me suis rendu compte qu’il y a encore des compatriotes sérieux et ayant suffisamment de voyance. Ce texte relit une bonne partie de l’histoire du Congo-Kinshasa sans complaisance tout en indiquant quelques orientations majeures à prendre pour bon devenir collectif. S’il prend en compte la désorientation existentielle provoquée par l’assassinat de Lumumba dans le chef de plusieurs compatriotes, il serait, à mon avis, l’un des textes pouvant servir de référence pour nos luttes collectives à venir.
Le Congo est à la croisée des chemins
Le souhait serait aussi que sa disqualification de »la classe politique actuelle » soit un appel à son rajeunissement et à sa participation aux »solidarités résistantes » avec les autres couches de nos populations. Une disqualification qui serait automatiquement une substitution de cette »classe politique » par »la société civile » serait une reconduction de la politique du »diviser pour régner ». A ce point nommé, Lumumba doit être lu et relu. Il a eu la clairvoyance d’identifier l’autre (adversaire), son mode opératoire et sa capacité de nuisance.
A mon avis, le recours au principe de commune socialité et du conflit maîtrisé dans la constitution des »solidarités résistantes » finit par créer des »masses critiques » et »leurs externalités » ; d’identifier des »minorités conscientes et agissantes » ainsi que de rejeter un reste »non-reconverti » de »compradores » et de »nègres de service ». Le recours à ces deux principes peut produire »une discrimination positive » sans que l’exclusion soit nécessairement décrétée au cours du processus unifiant.
Le recours au principe de commune socialité et du conflit maîtrisé dans la constitution des »solidarités résistantes » finit par créer des »masses critiques » et »leurs externalités » ; d’identifier des »minorités conscientes et agissantes » ainsi que de rejeter un reste »non-reconverti » de »compradores » et de »nègres de service ».
Néanmoins, l’application de ces principes devrait prendre en compte l’application d’un minimum d’éthique reconstructive dans sa double dimension d’éthique de responsabilité tournée vers le passé (et prenant en compte une Commission Justice et Vérité) et d’éthique de réconciliation tournée vers l’avenir. (J.-M. FERRY, 2003).
Oui. Le Congo-Kinshasa est un pays passionnant. Il est à la croisée des chemins. Ses filles et fils qui auront compris que »les solidarités résistantes » sont indispensables à sa remise sur les rails devront accepter de conjuguer leurs efforts sur le temps. Ils (elles) devront travailler avec les plus jeunes pour leur passer le relais au moment opportun. Ce grand pays au cœur de l’Afrique fait encore rêver ses dignes filles et fils ainsi que leurs vrais alliés. Eux savent que les élections organisées par un régime fondé sur le mensonge systémique et la kleptomanie, c’est du bluff.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961