Par Roger Buangi Puati
Appel de Lausanne pour l’organisation d’une Conférence Nationale Souveraine en République Démocratique du Congo.
L’espoir déçu
Après un long règne sans partage de 32 ans, Mobutu Sese Seko vieillissant et malade fut écarté au profit de Laurent-Désiré Kabila à la tête de la République Démocratique du Congo. Saigné à blanc, le pays n’était plus qu’une coquille vide aux plans économique et social.
La rébellion, qui s’avérera être en réalité une agression du Rwanda et de l’Ouganda, venue de l’est et soutenue par les Anglo-Saxons, court-circuitera les institutions issues de la Conférence Nationale Souveraine, lesquelles institutions préparaient le pays à une démocratie pluraliste. Les Congolais étaient partagés entre stupeur et espoir.
La stupeur d’une partie de la population était de voir balayés tous les efforts consentis par une opposition et une société civile qui avaient travaillé d’arrache-pied pour arracher des droits que la dictature bien enracinée de Mobutu avait longtemps refusés au peuple congolais.
Espoir et soulagement pour d’autres parce que malgré tout, le président Mobutu et son entourage proche s’étaient évertués depuis trop longtemps à faire obstruction aux institutions issues de la Conférence Nationale Souveraine et à les empêcher de fonctionner normalement. L’espoir a donc été de courte durée.
Un long tunnel
En août 1998, la lune de miel entre Laurent-Désiré Kabila et ses parrains africains et occidentaux avait pris l’eau. S’ouvrait alors pour le pays, une longue période d’instabilité généralisée suite à des attaques répétées des armées du Rwanda et de l’Ouganda, mais aussi des groupes qualifiés de rebelles fabriqués par les deux pays susmentionnés, pour se venger de la « trahison » de leur poulain.
Comme dans toutes les situations historiques d’illégitimité, en RDC la violence politique est devenue le seul moyen sûr du régime de se maintenir au pouvoir.
En janvier 2001, le président Laurent-Désiré Kabila était assassiné dans des conditions restées mystérieuses jusqu’à aujourd’hui. C’est dans ce contexte que Joseph Kabila est arrivé à la tête de la RDC, selon un procédé douteux et anti-démocratique. Ingouvernable, le pays a tenté, avec l’aide des institutions internationales, différentes formules, même les plus farfelues (1 président et 4 vice-présidents). Les élections de 2006 conféraient à Monsieur Joseph Kabila une légitimité contestée par la majorité des observateurs nationaux et internationaux.
Mais en 2011, date des nouvelles élections, la paix, priorité des priorités, prônée par le gouvernement, n’est jamais revenue en RDC. Au contraire, un bilan négatif très lourd peut être constaté, puisqu’à ce jour, on dénombre plus de 6 millions de morts congolais, selon Human Rights Watch (HRW), plus de 2 millions de femmes violées déclarées et plus de 2 millions de déplacés, sans compter le pillage systématique des ressources minières du pays par des milices et des armées régulières du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda.
L’Etat a failli dans bien d’autres domaines comme la santé, l’éducation, l’agriculture, le transport, l’économie, l’énergie, l’eau, etc. Excédé, le peuple allait sanctionner le pouvoir dans les urnes. C’est ainsi que les élections présidentielles de 2011 consacraient la victoire d’Etienne Tshisekedi, mais contre toute attente, ne voulant pas quitter le pouvoir, Monsieur Joseph Kabila choisit de rester aux commandes du pays par défi. Depuis, la crise de légitimité issue de ces élections paralyse les institutions du pays faute de confiance entre le peuple et le pouvoir.
La violence politique comme mode de gouvernance en RDC
Comme dans toutes les situations historiques d’illégitimité, en RDC la violence politique est devenue le seul moyen sûr du régime de se maintenir au pouvoir. Les opposants vivent dans l’angoisse d’être arrêtés et certains d’entre eux sont enlevés nuitamment par des escadrons du pouvoir et disparaissent sans laisser de traces.
On note plusieurs cas d’assassinat des acteurs de la société civile et des emprisonnements arbitraires pour délit d’opinion. Les manifestations publiques sont durement réprimées. À cet égard, 421 corps viennent d’être découverts dans un charnier en périphérie de Kinshasa. Tout porte à croire que ce sont des étudiants tués lors des manifestations publiques des 19, 20 et 21 janvier 2015 et enterrés à la hâte sans égard pour la dignité humaine.
Il nous apparaît que le pouvoir de Kinshasa a complètement perdu toute crédibilité et ne peut être l’organisateur des élections de 2016. Aussi, pour éviter plus de souffrances au peuple congolais, il devient urgent de suspendre les institutions de l’Etat et de convoquer des assises sous la forme d’une Conférence Nationale Souveraine (CNS).
Cette culture de violence politique ne s’embarrasse pas de principes éthiques qui devraient animer tout détenteur de la puissance de l’Etat. C’est dans ce seul domaine que le pouvoir de Kinshasa se découvre une efficacité redoutable. Car, tous les indicateurs économiques et sociaux classent la RDC parmi les derniers au monde.
Cela est d’autant plus choquant, quand on sait que le pays possède des ressources et donc des potentialités énormes qui feraient de lui un pays prospère et un partenaire intéressant pour beaucoup d’autres pays en Afrique et dans le monde.
Pour une voie de sortie de crise
Dans ce contexte, il nous apparaît que le pouvoir de Kinshasa a complètement perdu toute crédibilité et ne peut être l’organisateur des élections de 2016. Aussi, pour éviter plus de souffrances au peuple congolais, il devient urgent de suspendre les institutions de l’Etat et de convoquer des assises sous la forme d’une Conférence Nationale Souveraine (CNS). Ces assises de tous les espoirs devront constituer une véritable chance, une catharsis pour notre peuple dont les souffrances remontent à plusieurs décennies.
Le but d’une telle Conférence devra être à la hauteur du drame que vit le peuple congolais depuis trop longtemps. La CNS devra s’ouvrir sur des perspectives plus larges et plus lointaines que des échéances électoralistes politiciennes à court terme. Il s’agira de rassembler la nation congolaise autour d’une même table, pour dresser un véritable bilan de la gestion de la chose publique depuis l’accession du Congo à l’indépendance, faire un état des lieux sérieux et précis de la situation pour dessiner l’avenir, mettre en place des institutions démocratiques, établir une feuille de route scrupuleuse, fixer les objectifs majeurs et les échéances importantes que devra suivre un gouvernement d’union nationale de transition à constituer.
La tenue d’élections pluralistes, libres, crédibles, démocratiques et transparentes est certes un objectif, mais elle doit être la résultante d’une meilleure gouvernance, apaisée, compétente, humaine et respectueuse des droits et des libertés du peuple congolais. Car notre histoire nous enseigne que les élections n’ont pas épargné au peuple congolais toutes sortes d’affres et de tragédies. Les élections ne doivent donc en rien constituer l’horizon indépassable qui prime sur la stabilité, la sécurité, l’harmonie et la concorde nationales dans un pays dévasté et lacéré comme le Congo. Les conclusions de la CNS devront être opposables à tous sans exception et leur application sans faille devra être accompagnée par une autorité ad hoc de suivi indépendant, doté des pouvoirs réels.
La tenue d’élections pluralistes, libres, crédibles, démocratiques et transparentes est certes un objectif, mais elle doit être la résultante d’une meilleure gouvernance, apaisée, compétente, humaine et respectueuse des droits et des libertés du peuple congolais. Car notre histoire nous enseigne que les élections n’ont pas épargné au peuple congolais toutes sortes d’affres et de tragédies. Les élections ne doivent donc en rien constituer l’horizon indépassable qui prime sur la stabilité, la sécurité, l’harmonie et la concorde nationales dans un pays dévasté et lacéré comme le Congo.
Nous appelons toutes les forces de changement et toutes les personnes éprises de paix et de bonne volonté à se joindre à nous pour ce noble objectif. C’est la voie qui, à nos yeux, est la mieux indiquée pour désincarcérer le peuple congolais de l’étau d’un pouvoir de terreur et abusif qui confisque son destin depuis plus de 14 ans. En RDC, la Communauté internationale ne doit pas permettre que ceux qui s’acharnent à couper les fleurs deviennent les maîtres du printemps.
Au XXIe siècle, il est inacceptable d’abandonner tout un peuple à la merci des caprices d’un homme voire d’un régime. L’éveil des consciences est tel qu’aujourd’hui, même en Afrique, il n’y a plus un seul peuple qui se résignerait à subir la violence politique de manière durable, sans que cela ne provoque une confrontation aux conséquences incalculables et une violence encore plus fulgurante et plus incontrôlable. Car, comme l’a si bien dit John Fitzgerald Kennedy, à vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. L’heure est grave et l’urgence d’organiser une Conférence nationale souveraine s’impose pour sortir la République Démocratique du Congo de l’impasse.
Roger Buangi PUATI est théologien et pasteur, détenteur d’une maîtrise en théologie de l’Université de Genève, pasteur dans une paroisse de Lausanne au sein de l’Eglise Réformée du Canton de Vaud en Suisse. Spécialiste en histoire de la traite négrière, conférencier et auteur de Christianisme et traite des Noirs (éditions Saint-Augustin, 2007, 399 pages). Ancien chargé de cours à l’Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques, il est professeur à l’Université Populaire Africaine de Genève et Président de l’association « Congo Solidaire ».