Par Mufoncol Tshiyoyo
J’ai pris du temps avant de réagir à la rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump en Alaska. Il fallait du recul pour dépasser l’écume médiatique et saisir la réalité. C’est en relisant Philippe Moreau Defarges que le lien avec les propos de Fiodor Loukianov, directeur du Club Valdaï, est apparu : pour Moscou, Alaska peut être comparé à la réunification allemande de 1990. Plus qu’un marchandage sur l’Ukraine, il s’agit d’une redéfinition de l’ordre international.
1990 : un précédent fondateur
Pour comprendre l’analogie russe, il nous faut revenir un peu en arrière. En 1989–1990, l’Europe bascule. L’effondrement du bloc de l’Est, la chute du mur de Berlin et la réunification allemande ferment un cycle historique. Philippe Moreau Defarges le rappelle dans son livre. Il y est écrit notamment :
« En 1989, l’effondrement des régimes communistes dans les pays d’Europe de l’Est liés à Moscou, la destruction du mur de Berlin (9 novembre 1989) matérialisant la coupure de l’Allemagne mettent fin à la division de l’Europe. L’Allemagne se réunit, la Seconde Guerre mondiale se termine définitivement (signature, à Moscou, le 12 septembre 1990, du traité 2+4 – les deux États allemands plus les États-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni et la France –, portant règlement final de la question allemande » (Philippe Moreau Defarges, Relations internationales, tome 1. Questions régionales, Paris : Éditions du Seuil, p. 18) Fin de citation.
Cet accord, dit « 2+4 », ne réglait pas seulement la question allemande : il redessinait l’architecture de sécurité européenne. Mais il laissait un déséquilibre majeur : l’OTAN poursuivit son expansion, et Moscou ne fut jamais reconnu comme un partenaire égal.
Le Congo doit en tirer la leçon : tant qu’il n’aura pas bâti une puissance réelle, capable de défendre et de projeter ses intérêts, il restera spectateur de son propre destin, administré de l’extérieur. Les autres se battent pour leur terre et non pour des bagatelles…
Parenthèse pédagogique – Le traité 2+4
Qui ? Deux Allemagnes + États-Unis, URSS, Royaume-Uni, France.
Quoi ? Traité signé à Moscou en septembre 1990, réglant la question allemande.
Pourquoi important ? Il met fin officiellement à la Seconde Guerre mondiale en Europe et fonde l’architecture de sécurité du continent.
Problème ? L’équilibre était fragile : l’URSS affaiblie accepta un ordre qui s’est ensuite construit contre elle.
2025 : l’Alaska comme scène de vérité
Trente-cinq ans plus tard, Loukianov suggère que l’Alaska joue un rôle équivalent. L’Ukraine, comme l’Allemagne hier, n’est pas seulement un enjeu national ou territorial : elle devient le levier pour redéfinir tout un système de sécurité (Fiodor Loukianov : Un nouvel ordre de sécurité est sur la table en Alaska — RT World News).
La Russie impose sa place non par des slogans, mais par sa capacité à contraindre ses adversaires à négocier selon ses termes. Ce qu’elle démontre, c’est qu’une nation ne compte que lorsqu’elle impose qu’on compte avec elle.
Mais il faut aller plus loin : le fait que deux pays seulement, la Russie et les États-Unis, se soient assis à la table en Alaska révèle que nous avons quitté l’ère de la mondialisation. Le monde global, porté par l’illusion d’une gouvernance universelle, cède la place à un ordre multipolaire.
Cette nouvelle logique dépasse même la thèse triangulaire esquissée par Henry Kissinger dans World Order : Deux « États-Civilisations » ( USA-Chine) au premier degré suivi d’un « ordre international » qui renfermait tous les autres y compris la Russie. Mais ici, deux pôles émergent, dominés par des États-Nations du type de Westphalie, et imposent leur centralité, entraînant dans leur sillage les autres acteurs.
Le basculement est là : le système international n’est plus façonné par la promesse d’un marché global ou par la domination d’un seul centre, mais par la capacité de quelques puissances à se poser comme ingénieurs du nouvel ordre.
Un peu de pédagogie – De la mondialisation au multipolaire
Mondialisation (années 1990–2000)
– Logique dominante : un seul système intégré, centré sur l’Occident et particulièrement sur les États-Unis.
– Idée clé : les échanges économiques, financiers et technologiques lient toutes les nations dans un « monde global ».
– Conséquence : illusion d’une gouvernance universelle (OMC, G20, ONU, OTAN élargie).
– Limite : les déséquilibres (inégalités, dépendances stratégiques) et l’absence de véritable égalité politique entre les acteurs.
Multipolarité (années 2020–2025)
– Logique dominante : plusieurs pôles de puissance imposent leurs priorités (Russie, Chine, États-Unis, Inde, etc.).
– Idée clé : il n’y a plus de centre unique ; le monde se structure autour de pôles capables d’imposer le rapport de force.
– Exemple : la rencontre d’Alaska – deux puissances fixent le cadre, et les autres devront s’y adapter.
– Différence avec la vision de Kissinger : son schéma triangulaire World order (2014). Mais l’Alaska montre une dynamique différente : deux pôles dominants ouvrent une histoire nouvelle en entraînant les autres.
Conclusion pédagogique :
La mondialisation supposait un monde sans centre unique car tout était relié. La multipolarité prouve au contraire que seuls ceux qui s’imposent dans le rapport de force fixent les règles.
Conclusion
Si l’analogie allemande se vérifie, il serait illusoire d’attendre une percée immédiate. Mais il faut y voir un commencement : celui d’un ordre international rediscuté, où l’Europe pourrait rester spectatrice et où la Russie cherche à réinscrire sa puissance dans la géopolitique mondiale.
La Russie impose sa place non par des slogans, mais par sa capacité à contraindre ses adversaires à négocier selon ses termes. Ce qu’elle démontre, c’est qu’une nation ne compte que lorsqu’elle impose qu’on compte avec elle.
À l’inverse, l’Europe, prisonnière de sa dépendance stratégique, et le Congo, confisqué par des élites d’importation, apparaissent comme des « hommes androïdes » : programmés de l’extérieur, incapables d’imposer une volonté propre, simples relais d’un ordre qui n’est pas le leur. Le Congo doit en tirer la leçon : tant qu’il n’aura pas bâti une puissance réelle, capable de défendre et de projeter ses intérêts, il restera spectateur de son propre destin, administré de l’extérieur. Les autres se battent pour leur terre et non pour des bagatelles…
Likambo oyo eza likambo nde likambo ya mabele
Mufoncol Tshiyoyo
M.T., L’Étincelle, un homme libre
Président du Mouvement R.A.P. (Refus – Affirmation – Puissance)
Fondateur du Think Tank La Libération par la Perception