Par Jean-Pierre Mbelu
« Il faut totonga ba infrastructures ya solo. Il faut totonga mingi mingi bato. »
– J.-G. Kalala
Au cours d’une émission sur « Balobeli ya peuple », un philosophe kongolais, Jean-Goubald Kalala, invité à évaluer la construction des infrastructures au Kongo-Kinshasa a donnée cette réponse pleine de sagesse et d’intelligence : « Il faut totonga ba infrastructures ya solo. Il faut totonga mingi mingi bato. »
Totonga : une démarche inclusive du « nous »
En effet, construire les infrastructures dans un pays qui en manquent cruellement, c’est bien. Surtout, celles qui pourraient permettre à l’administration publique de se rapprocher des populations à la base de la société kongolaise. Néanmoins, « les infrastructures ya solo » seraient celles construites avec et par ces populations afin qu’elles participent activement à l’édification de la cité kongolaise, au « nous bâtirons un pays plus beau qu’avant » et qu’elles en assurent les soins et la protection. Il y a là une question de solidarité, de responsabilité individuelle et collective.
Construire les infrastructures dans un pays qui en manquent cruellement, c’est bien. Surtout, celles qui pourraient permettre à l’administration publique de se rapprocher des populations à la base de la société kongolaise. Néanmoins, « les infrastructures ya solo » seraient celles construites avec et par ces populations afin qu’elles participent activement à l’édification de la cité kongolaise, au « nous bâtirons un pays plus beau qu’avant » et qu’elles en assurent les soins et la protection.
Il y a plus. En principe, « les infrastructures ya solo » seraient celles conçues par ces populations à la base de la société kongolaise, organisées en collectifs citoyens et en fonction de leurs besoins réels. Concevoir et réaliser les infrastructures, cela serait une façon de (re)donner l’initiative à la base de la société kongolaise en vue de refaire les liens intersociaux de plus en plus distendus, utiles à la production de la cohésion sociale. Ceci est un vieux secret partagé par Antoine de Saint-Exupéry dans son oeuvre intitulée « Citadelle »: « Force-les à bâtir ensemble une tour, tu feras d’eux des frères. »
Lorsque Jean-Goubald Kalala dit : « Il faut totonga », il s’inscrit dans une démarche inclusive, promotrice du « nous ». « Il faut totonga » c’est-à-dire « il faut que nous construisions, que nous bâtissions » et pas « il faut batongole biso » c’est-à-dire «il faut qu’on construise pour nous».
La promotion du « nous bâtisseur » incite à rompre avec la mentalité paresseuse dans laquelle patauge une bonne partie des populations kongolaises massifiées appelant constamment « les gouvernants » au secours en disant : « Gouvernement talela biso likambo oyo. » D’où l’importance de la deuxième réponse de Jean-Goubald Kalala : « Il faut totonga mingi mingi bato. »
Oui, « il faut totonga mingi mingi bato ».
Surtout dans un pays où une guerre perpétuelle peut, à tout moment, détruire les infrastructures. Oui. « Il faut que nous construisions surtout, davantage, les bantu, les humains. » Après l’échec de la décolonisation, l’humain kongolais a choisi la voie de la résistance (violente), de la violence diabolique, de l’acceptation de la corruption et de la trahison de sa terre natale ou simplement l’apathie. (Nous y reviendrons dans un prochain article).
Surtout dans un pays où une guerre perpétuelle peut, à tout moment, détruire les infrastructures. Oui. « Il faut que nous construisions surtout, davantage, les bantu, les humains. »
L’engager, dans sa diversité sur des pistes des réformes de son coeur et de son esprit en créant des espaces sociaux et matériels nécessaires est vital pour le pays. Cela d’autant plus que ces trente dernières années, au cours d’une guerre raciste de prédation et de basse intensité, une bonne partie de cet humain kongolais a choisi la voie de la perversion pour devenir le larbin et le proxy des pouvoirs néocoloniaux et vendre la terre kongolaise.
Oui. Depuis une trentaine d’années, des Kongolais s’habituent à créer des alliances avec des seigneurs de guerre des pays voisins pour servir majoritairement les intérêts des « usurpateurs du pouvoir » politique que sont les trans et les multinationales en croyant pouvoir avoir accès au « pouvoir ». Donc, pour accéder à ce « pouvoir-os », ils tuent, ils volent, ils pillent, ils violent avant de demander d’être amnistiés et de bénéficier de certains postes politiques, militaires, etc.
Un livre publié par un groupe de compatriotes a décrit, depuis 2009 [1], le mode opératoire de ces compatriotes et de leurs alliés. En lisant leurs comptes rendus, il y a lieu de soutenir que leurs actes relèvent du « registre pervers en psychologie, puisqu’il s’agit de concevoir des êtres humains comme de purs instruments au service d’une fin [2]», « le pouvoir-os ». Ils vivent, en fait de « la haine du vivant ». Et en psychologie, « la haine du vivant est également ce qui caractérise la psychose paranoïaque (…). [3]»
Cette perversité est une des causes profondes de la guerre au Kongo-Kinshasa. Le dialogue peut-il tirer ces « paranos » du fond de leur perversité ? Le fait que certains parmi eux aient récidivé après plusieurs dialogues organisés au sujet de cette guerre raciste de prédation et basse intensité atteste que cette voie a marqué ses limites. Ils devraient peut-être passer par la justice et par les cliniques psychiatriques. Il faudrait, en plus, mettre fin à la guerre et organiser des assises de refondation du pays. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont choisi cette voie et celle de la confédération pour mutualiser leurs efforts et rompre avec Berlin (1885). (Berlin est aussi l’une des causes profondes de ce qui se passe au Kongo-Kinshasa et de l’échec de la décolonisation.)
Pour les populations et surtout les jeunes dont la vie quotidienne est envahie par la laideur de cette guerre perpétuelle, il est souhaitable qu’une info-formation (aux meilleures sources) et une (re)éducation permanentes aux valeurs morales et éthiques, à la résistance symbolique et à la résilience deviennent des exigences existentielles. Les habituer à cette laideur de la guerre, à la haine du vivant, à la manipulation des êtres humains pourrait induire chez eux des sentiments d’impuissance les rendant inactifs dans le processus de l’édification d’une cité kongolaise plus belle qu’avant.
Babanya Kabudi
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[1] Lire J.P. BADIDIKE, Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard du Groupe Justice et Libération, Paris, L’Harmattan, 2009. A la page 256, voici ce que les auteurs écrivent au sujet de la violation des droits humains : « Ces violations sont accompagnées de pratiques bizarres : trouer les testicules, couper les fesses, crever les yeux, trancher les oreilles, éventrer des corps et arracher le coeur, obliger les gens à manger leurs propres oreilles fraîchement amputées, emporter le sexe des victimes ou l’exhiber en lieu et place de collier, brandir en signe de trophée des organes humains prélevés sur les adversaires, etc. » [2] A. BILHERAN, Le débat interdit. Langage, COVID et totalitarisme, Paris, Guy Trédaniel, 2022, p. 275. [3] Ibidem,p.181.