Par Jean-Pierre Mbelu
« L’une des premières manifestations du déclin d’un empire ou d’une civilisation est la détérioration de ses capacités cognitives et de ses dirigeants, qui s’accompagne d’une dégradation physique et morale. » – Greg Simons
Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication facilitent l’accès à certaines prises de parole publique donnant à penser. Un jour, sur X, un compatriote impliqué dans le perpétuel « génocide » kongolais à l’Est du pays pose cette question : « Tshilombo (Tshisekedi) veut qu’il y ait combien de morts pour qu’il accepte le dialogue. »
Les innocents ne sont pas tués par manque de dialogue
Tuer des innocents pour forcer le dialogue avec les gouvernants en place me semble être une absurdité. Pourquoi ? Le dialogue est un processus rationnel et raisonnable. Tuer délibérément des innocents trahit la défaite de la raison. Aussi, le dialogue est-il un engagement éthique encadré par quelques interdits. Ne pas tuer en est un. Violer en conscience cet interdit et exiger le dialogue est un non-sens. Ce viol est le produit d’une violence diabolique ayant perverti les relations intersubjectives. Ses auteurs doivent, en principe, être traduits devant les cours et tribunaux.
Depuis plus de trente ans, les innocents ne sont pas tués parce qu’il n’y a pas eu de dialogue. Non. Les proxies des acteurs majeurs ayant orchestré cette guerre veulent exterminer les Kongolais(es) et s’emparer de leurs terres. Ils tiennent à tuer toute une culture : la culture légendaire de la protection des terres, de l’accueil et de la générosité dont les Kongolais(es) ont toujours témoigné.
Le dialogue en tant que processus éthique est nécessaire là où les humains vivent les uns avec les autres. Ils peuvent entrer en conflit. Et lorsque ce conflit est non-meurtrier ou meurtrier involontairement, le dialogue peut être un appel au secours afin d’aider les protagonistes à pouvoir trouver un consensus rendant possible le bien-vivre-ensemble. Même si ce consensus peut être provisoire. Dans cet ordre d’idées, le dialogue (ou la palabre) peut être un lieu où le choc des idées peut faire jaillir la lumière éclairant ses protagonistes. Encore faudrait-il qu’ils se considèrent comme des adversaires et non pas comme des ennemis devant à tout prix se combattre jusqu’à la mort.
Le cas du Kongo-Kinshasa étonne à plus d’un titre. Le compatriote susmentionné a bien identifié son interlocuteur, Tshisekedi. Pourquoi estime-t-il que les innocents doivent payer le prix de sa quête du dialogue avec un interlocuteur institutionnel bien identifié ?
Sans une bonne connaissance de l’histoire de la guerre de prédation et de basse intensité imposée au Kongo-Kinshasa depuis les années 1990, on peut croire à cette absurdité. Depuis plus de trente ans, les innocents ne sont pas tués parce qu’il n’y a pas eu de dialogue. Non. Les proxies des acteurs majeurs ayant orchestré cette guerre veulent exterminer les Kongolais(es) et s’emparer de leurs terres. Ils tiennent à tuer toute une culture : la culture légendaire de la protection des terres, de l’accueil et de la générosité dont les Kongolais(es) ont toujours témoigné. Ils veulent substituer à cette culture celle de la mort et de la guerre perpétuelle. Le piège est là. Plusieurs compatriotes y ont tombé. Ils pensent que rendre au Kongo sa grandeur, c’est opter pour la culture de la mort.
Culture de la mort et éthique du dialogue
Et puis, à quoi sert cette culture de la mort ? A rien. Provisoirement, à assouvir l’instinct de domination et d’acquisition frauduleuse des richesses , à avoir accès aux honneurs liés au pouvoir mondain et à l’hédonisme consumériste. Finalement ce culte de la mort, cette thanatophilie, est une idolâtrie, une simple adoration de Mammon au coeur d’une hégémonie capitaliste dominante.
Ils veulent aller au dialogue en violant les interdits pouvant contribuer à sa réussite. Ils détruisent, par leur façon de faire et d’être, les fondements du dialogue. En principe, avec eux, ce dialogue est sans objet. Il participe tout simplement de la stratégie à laquelle leur mentor des milles collines a toujours eu lieu : le talk and fight. Quelle est sa fin ? Conquérir les terres kongolaises, dominer les Kongolais(es) et les assujettir au profit de la construction d’un « l’empire Hima tutsi » et du « capitalisme de la finitude.
En tant que tel, ce culte envoûte. Il détruit les vies. Il détruit dans ses adeptes au égos surdimensionnés toute capacité de penser et de sentir. Nihiliste, ce culte induisant la mégalomanie est autodestructeur. Simplement parce que le mal qu’il impose à la société a un effet de boomrang.
Donc, adeptes de la thanatophilie, ces compatriotes envoûtés par »la sorcellerie capitaliste » mentent en soutenant que le dialogue pourrait mettre fin à leur obsession. Encore une fois, ils violent une autre règle d’éthique dialogale : ne pas mentir.
Enrichis frauduleusement après plusieurs dialogues ayant permis l’infiltration des institutions kongolaises par leurs copains mercenaires et compradores, ils utilisent leur argent pour alimenter la guerre perpétuelle au pays et « le génocide » des innocents. Ils l’utilisent aussi pour contrôler les cœurs et les esprits des populations kongolaises en achetant des journalistes, des communicateurs et des influenceurs des réseaux sociaux. Ce faisant, ils violent une autre règle d’éthique dialogale : celle de l’inceste (entendu comme manipulation de l’autre).
Donc, ils veulent aller au dialogue en violant les interdits pouvant contribuer à sa réussite. Ils détruisent, par leur façon de faire et d’être, les fondements du dialogue. En principe, avec eux, ce dialogue est sans objet. Il participe tout simplement de la stratégie à laquelle leur mentor des milles collines a toujours eu lieu : le talk and fight. Quelle est sa fin ? Conquérir les terres kongolaises, dominer les Kongolais(es) et les assujettir au profit de la construction d’un « l’empire Hima tutsi » et du « capitalisme de la finitude.
La politique sale et/ou l’échec de la décolonisation ?
Cette culture de la mort prospère dans un contexte où la politique est considérée comme étant sale. Oui. Il n’est pas rare d’entendre des compatriotes politicards impliqués dans la guerre perpétuelle de prédation et de basse intensité dont souffre le pays soutenir que la politique est sale. Pour eux, il est le lieu des combines frauduleuses, de gabegie financière, des coups bas, de la culture de la mort.
Les multinationales impliquées dans la colonisation économico-politique du pays n’ont jamais voulu qu’il y ait de différence entre l’avant et l’après indépendance. Elles ont orchestré la violence quelques semaines après la proclamation officielle de l’indépendance politique avec l’aide de leurs services d’intelligence.
Qui leur a appris ça ? Qui leur a appris à salir la politique ou la gestion du « bukalenge »(le pouvoir) ? Comment en sont-ils venus à oublier la tradition du pouvoir africain magnifiant les qualités éthiques et morales du chef et de ses notables ? L’école, l’église et l’université modernes auraient-elles tué en ces politicards ce que nos ancêtres aimaient et conservaient avec soin et à juste titre, comme s’en inquiété la Grande Royale dans « L’aventure ambiguë » de Cheikh Hamidou Kane ?
C’est vrai. Il y a quelque chose de sali dans l’approche que plusieurs politicards kongolais ont de la politique. Cela contribue à le pervertir.
C’est peut-être une tare que le pays traîne depuis l’assassinat de Lumumba. Cet acte a signé, entre autres, l’échec de la décolonisation du pays. Les multinationales impliquées dans la colonisation économico-politique du pays n’ont jamais voulu qu’il y ait de différence entre l’avant et l’après indépendance. Elles ont orchestré la violence quelques semaines après la proclamation officielle de l’indépendance politique avec l’aide de leurs services d’intelligence. Les traîtres et les corrompus kongolais leur ont aussi facilité la tâche. Cette violence s’est inscrite dans l’inconscient politique kongolais jusqu’à ce jour. Il en va de même de la traîtrise et de la corruption.
Cette violence n’a pas été que physique. Elle a aussi été morale et culturelle. Elle s’est, petit à petit, imposée sous forme d’une hégémonie culturelle disqualifiant les us et coutumes du pouvoir traditionnel. Elle fut une stratégie de conquête, de contrôle et de soumission des coeurs et des esprits par les ennemis internes, externes et les mercenaires au service du « capitalisme honteux et dégradant », comme dirait Patrice Lumumba.
Des issues possibles
Ceci étant, y a-t-il des issues possibles ? Ces jours-ci, face au danger permanent d’implosion et de balkanisation du pays, des compatriotes kongolais faisant montre de beaucoup de bon sens estiment qu’il est temps de rompre avec la politique du diviser pour régner telle qu’elle est pratiquée par les partis politiques dits de la majorité et de l’opposition. Un grand mouvement souverainiste (ou une coalition de minorités éveillées) capable de peser et de renverser les rapports de force imposés par les compradores et les mercenaires au service du grand Capital devrait se mettre en place.
Un grand mouvement souverainiste (ou une coalition de minorités éveillées) capable de peser et de renverser les rapports de force imposés par les compradores et les mercenaires au service du grand Capital devrait se mettre en place.
Il serait le fruit de l’interconnexion des collectifs citoyens ayant une bonne maîtrise de la technologie, de l’histoire, de la géopolitique, de la géoéconomie et de la géostratégie ; épris de la palabre et produisant de l’intelligence collective en leur sein. Cette unification respectueuse de la diversité et du conflit non-meurtrier peut se faire autour de certaines figures citoyennes et patriotiques ayant réfléchi de manière originale sur la question kongolaise et attachées à la problématique de la justice transitionnelle.
Ce mouvement, riche de sa diversité et consciente des rapports de force à convertir en rapports agoniques s’inscrirait dans la dynamique du monde multipolaire et des pays attachés au traditionalisme héroïque pour une sécurité collective et une coopération gagnant-gagnant. Il s’attacherait à faire du pays un membre actif de grands regroupements africains sous-régionaux et mondiaux souverainistes en vue d’éviter son esseulement sur le chemin qui mène à la multipolarité.
Le monde n’est plus ni bipolaire, ni unipolaire. La rencontre de Trump et de Poutine en Alaska a signé « officiellement », au niveau international, la fin de tout un ordre mondial né après la chute du monde de Berlin en 1989. Le savoir et agir en connaissance de cause est salutaire pour la suite des événements mondiaux. Même si l’Etat profond mondialiste n’a pas encore dit son dernier mot…
Babanya Kabudi