Par Jean-Pierre Mbelu
« Sauver le Kongo-Kinshasa comme coffre-fort, comme « gâteau », se fait depuis plusieurs années contre les Kongolais(es). Dommage ! Le jour que les Kongolais(es) seront majoritaires à le comprendre, la blague prendra fin. »
– Babanya
Mise en route
Les langues vernaculaires kongolaises, du point de vue de leur « oraliture », sont d’une richesse incommensurable. A celui et/ou à celle qui reconnaît l’importance d’un choix qu’il n’a pu faire au moment opportun et qui le fait au moment inopportun, un proverbe luba dit : « Umanya kuja, ngomba mufue ! » (Tu sais (finalement) danser après la mort du chanteur et/ou du batteur de tam-tam !) Tel est le malheur des « populicidaires » kongolais, leurs clients et leurs amis mercenaires. Ils veulent »sauver » le pays en cherchant à violer sa « mémoire longue » et même »sa mémoire courte » après que leurs forfaits aient été consignés dans les archives kongolaises. Dans ce contexte, n’est-ce pas à la jeunesse et aux populations kongolaises éveillées qu’il appartient de sauver ces « populicidaires » du principe du mal qui les guide ? Comment ? Telles sont les questions auxquelles ce texte essaie de répondre.
S’emparer des archives et tuer « les mémoires longue et courte » des Kongolais(es)
Il est possible que plusieurs compatriotes kongolais aient oublié et n’aient pas tout simplement su qu’au début de la guerre raciste de prédation et de basse intensité au Kongo-Kinshasa, presque toutes les archives du pays ont été pillées. Pourquoi ? Effacer la mémoire de l’histoire et des luttes de résistance et de résilience kongolaise servait la cause de la déshumanisation de l’humain kongolais et de la conquête de ses terres. Dieu merci ! Elles sont en train d’être reconstituées. Et des Kongolais »conscients » ne ménagent aucun sacrifice pour cela. Dieu merci !
Pour eux, le »populicide » est un choix délibéré d’un groupe d’individus, Kongolais, mercenaires africains et/ou kongolais, pour propager la culture de la mort. Ce choix est récurrent. Ce n’est pas une erreur. Les erreurs, tout le monde peut les commettre.
En effet, tuer un peuple passe aussi par la mort de sa »mémoire longue ». Un peuple enfermé dans le court terme est un candidat facile au »populicide ». Le Niger ayant compris cela à la suite de Lumumba entreprend la réécriture de son histoire[1].
»La mémoire longue » enseignée et partagée protège contre »les populicidaires ». Pourquoi ? Parce qu’ils organisent l’amnésie. Ils instrumentalisent l’ignorance et la crédulité des populations massifiées auxquelles ils offrent, au quotidien »les églises de sommeil », de »la danse », du »pain et des jeux ».
En fait, au Kongo-Kinshasa, ces populations massifiées ont perdu « la mémoire longue ». Et même « la mémoire courte ». Ceci les empêche de penser les subterfuges des « populicidaires » d’hier et d’aujourd’hui. Ici, penser signifie comprendre leur mode opératoire et s’organiser pour agir en connaissance de cause. Individuellement et collectivement.
Tenez. Le 26 novembre 2011, l’un des « populicidaires » a demandé à sa « police politique » de tirer à bout portant, en plein jour, à Kinshasa, sur les Kongolais(es). Les textes et les photos archivés existent[2]. De 2011 à 2025, cela ne fait que quatorze ans seulement. Des compatriotes le plébiscitant ont déjà oublié et/ou essaient d’effacer ce « populicide » de l’histoire de leur « gourou ».
En 2025, ce « gourou » rejoint un groupe dont l’un des chefs pose cette question : « Tshilombo attend qu’il y ait combien de morts pour organiser le dialogue. » Il rejoint, quatorze ans après, des « populicidaires » dont l’une des préoccupations majeures est « un dialogue » dit « inclusif ». Tuer les Kongolais(es) innocent(e)s [3] est l’une des voies qu’ils ont choisie, en conscience, pour forcer Tshilombo à organiser »le dialogue ». Pour eux, le »populicide » est un choix délibéré d’un groupe d’individus, Kongolais, mercenaires africains et/ou kongolais, pour propager la culture de la mort. Ce choix est récurrent. Ce n’est pas une erreur. Les erreurs, tout le monde peut les commettre.
Un recours orwelien aux mots et le mal comme principe causal
Errare humanum est, disent les latinistes. Ils ajoutent que persévérer dans l’erreur est diabolique.
Le drame est que ces agents de « la violence diabolique » s’autoproclament « sauveurs ». Ils ont un recours aux mots et aux concepts qui donne à penser. Ils sont complètement « orweliens ». Pour eux, tuer, c’est sauver. La mort, c’est la vie. La violence, c’est la paix. Cette préférence orwelienne est une constance pour eux depuis plus de trois décennies.
Ils sont complètement « orweliens ». Pour eux, tuer, c’est sauver. La mort, c’est la vie. La violence, c’est la paix. Cette préférence orwelienne est une constance pour eux depuis plus de trois décennies.
Oui. Ils ont un problème sérieux du point de vue de l’usage des mots et des concepts. Ils parlent de salut du peuple là où les truands dévalisent les caisses au dépens des populations appauvries. Ils parlent de liberté là où les lois qu’ils se donnent sont foulées au pied. Ils parlent de « pacte républicain » là où les bandits prennent collectivement la décision de disposer de tout un pays comme d’un « gâteau », d’un « coffre-fort », privatisé par une oligarchie ploutocratique.
Cette option préférentielle pour l’usage orwelien des mots et des concepts cachant « la violence diabolique » est révélatrice du côté tragique de la condition humain démentant le fait « qu’elle n’est peuplée que d’êtres « rationnels » et « raisonnables » qui n’ont pas vraiment besoin de quoi que ce soit pour vivre décemment sans se trucider. [4]» La condition humaine est aussi peuplée des êtres esclavagisés par le mal. Ce « mal n’est pas seulement une catégorie morale, propre au jugement normatif. Il est aussi un principe d’explication. Il y a un pouvoir causal du mal, irréductible à la logique de l’intérêt. Sous la forme du ressentiment, de l’envie, de la jalousie, de la haine destructrice, le mal peut acquérir une puissance considérable, broyant sur son passage tout ce qui, les tenants à distance les uns des autres, permet aux hommes de vivre ensemble. [5]» La haine de soi et d’autrui, l’orgueil -contraire à l’amour de soi-, le désir de gloire et de pouvoir sont autant des visages de ce mal.
Au Kongo-Kinshasa, le mal esclavagisant un groupe de « populicidaires » récidivistes est l’une des causes profondes de ce qui précipite le pays aux enfers. Ce groupe est-il l’unique responsable de la tragédie kongolaise ? Non. Il a ses complices internes et externes, d’hier et d’aujourd’hui. Ils opèrent sur fond du clientélisme, de la traîtrise, de la corruption et du marionnettisme.
Sauver « les populicidaires » du principe du mal et de la répétition de la mémoire aliénée
Peut-il se convertir ? C’est possible ! En attendant, la nécessité de convertir sa « violence diabolique » en « violence symbolique » s’impose. Ce groupe peut être « sauvé » de sa « violence diabolique ». L’organisation d’une justice transitionnelle peut lui être « salutaire » si elle est placée dans le cadre d’une « éthique reconstructive ». La jeunesse et les populations kongolaises éveillées et résilientes peuvent se sauver de ces « populicidaires ». Comment ?
La jeunesse et les populations kongolaises éveillées et résilientes peuvent se sauver de ces « populicidaires ». Comment ? Elles peuvent travailler ensemble à l’éveil de la conscience collective et faire comprendre aux compatriotes amnésiques le prix des épreuves endurées par le pays livré au »populicide » depuis bientôt plus de trois décennies. En relisant les archives du pays et en remettant sur la place publique leurs contenus.
Elles peuvent travailler ensemble à l’éveil de la conscience collective et faire comprendre aux compatriotes amnésiques le prix des épreuves endurées par le pays livré au « populicide » depuis bientôt plus de trois décennies. En relisant les archives du pays et en remettant sur la place publique leurs contenus. Ces archives sont aussi numériques. Elles peuvent participer de la non-répétition de la mémoire aliénée des Kongolais assujettis, soumis, abâtardis, exploités par « les faiseurs de paix[6] » et leurs escadrons de la mort.
Il y a mieux à faire. Une organisation en groupes d’intérêts, en tutunga. Seules des populations organisées en groupes d’intérêts peuvent résister aux faux sauveurs « populicidaires ». A ce point nommé, le concept d’intérêt a besoin d’être bien expliqué et compris. Il ne doit pas être réduit à l’intérêt égoïste et que l’anglais nomme self-interest. « Mais l’intérêt comme nous le rappelle Hannah Arendt, c’est ce qui se tenant entre les êtres (inter-esse), les « rassemble mais aussi (les) empêche pour ainsi dire de tomber les uns sur les autres. » Elle ajoute : « Vivre ensemble dans le monde, c’est dire essentiellement qu’un monde d’objets se tient entre ceux qui l’ont en commun, comme une table est située entre ceux qui s’assoient autour d’elle : le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes. » [7]»
Revisiter la mémoire courte et la mémoire longue
S’organiser autour d’une table (ou en dessous des arbres à palabres) en des collectifs citoyens à la base de la société kongolaise pour lire et relire ensemble l’histoire du pays en vue de l’écrire et la réécrire en lisant et relisant les archives, en revisitant sa mémoire courte et « sa mémoire longue » afin d’éviter l’humiliation de l’esclavagisme imposé par « les négriers des temps modernes » s’improvisant « sauveurs » du Kongo-Kinshasa, cela est une responsabilité citoyenne et patriotique. Les « populicidaires » ne peuvent pas sauver les Kongolais(es) éveillé(es), réistant(e)s et résilient(es). C’est à ces dernier(es) qu’il appartient de les sauver du principe du mal qui les guide. Renverser les rapport de force s’impose. Cela prendre du temps. Bien sûr.
Babanya Kabudi
[2] Le 26 novembre 2011, la police politique de ‘’la kabilie’’ tirait sur les Congolais(es) [3] Lire Tuer les innocents pour forcer le dialogue. Les politicards kongolais et la culture de la mort [4] J.-P. DUPUY, Avions-nous oublié le mal ? Penser la politique après le 11 septembre, Paris, Bayard, 2002, p.37-38. [5] Ibidem, p. 31. [6] Lire J.-C. WILLAM, Les « faiseurs de paix ». Gestion d’une crise internationale dans un pays sous tutelle, Bruxelles, Grip, 2008 . [7] J.-P. DUPUY, O.C., p. 30.