Par Jean-Pierre Mbelu
« Force-les à bâtir une tour ensemble, tu feras d’eux des frères. Si tu veux qu’ils se haïssent, jette-leur du grain. » A. DE SAINT-EXUPERY
« Kulela nkuabanya mesu » Proverbe Luba (Mettre au monde, c’est démultiplier les yeux)
Dans un pays en « guerre perpétuelle », rien n’est anodin. Rien n’arrive au hasard. Même la victoire des Léopards. Tout peut être porteur d’un message. Dans un pays en « guerre perpétuelle », il y a des apprentissages à faire au quotidien. Même d’un match de football. La critique « du pain et des jeux » dans un pays victime du « génocide » ne devrait pas être un handicap pour penser « les petites victoires unifiantes ». Même à court terme. Il est plus ou moins sûr qu’elles ont des messages à transmettre. Tel est l’objectif de cet article : tirer de petites leçons de la dernière victoire des Léopards avant qu’elle ne tombe dans l’oubli.
La sélection des meilleurs et le travail en commun
Dimanche (16 novembre 2025), les Léopards du Kongo-Kinshasa ont battu la sélection nigériane, l’une des meilleures équipes de tous les temps. Ils l’ont fait après leur victoire sur une autre meilleure équipe africaine, le Cameroun. A quelques exceptions près, tout le pays a jubilé. La diaspora kongolaise, aussi.
Il y a aussi lieu de relever qu’un pays en « guerre perpétuelle » est assoiffé, dans le chef de ses masses populaires, des victoires, si petites soient-elles. Elles ont la magie d’unifier sous le drapeau. Ces petites victoires sont comme des appels à la grande victoire sur les adversaires extérieurs et intérieurs du pays.
Dans un pays en « guerre perpétuelle », cette victoire footballistique peut être relativisée. La joie qu’elle a provoquée peut être éphémère. Demain, les Kongolais(es) pourraient passer à autre chose et oublier. C’est possible.
Il y a aussi lieu de relever qu’un pays en « guerre perpétuelle » est assoiffé, dans le chef de ses masses populaires, des victoires, si petites soient-elles. Elles ont la magie d’unifier sous le drapeau. Ces petites victoires sont comme des appels à la grande victoire sur les adversaires extérieurs et intérieurs du pays. Penser ces petites victoires, les comprendre et en tirer des leçons pour l’agir collectif peut être intéressant.
L’une de ses leçons est qu’unifier les Kongolais(es) sous le drapeau par-delà les appartenances tribales et ethniques est possible. La sélection des meilleurs d’entre les Kongolais(es) peut y parvenir. Qui sont les Léopards ? C’est une sélection réalisée sur le temps assez long. L’entraîneur et son staff technique ont essayé de repérer les meilleurs, les compétents, les professionnels à travers leurs équipes respectives. Au Kongo, en Afrique, en Europe, en Asie, etc. Après leur identification, ils ont été regroupés et ont travaillé ensemble. Ils ont pris le temps de travailler ensemble. Toujours en équipe.
Se connaître et s’apprécier
Ce travail en commun leur a permis de se connaître, de s’apprécier et de se faire mutuellement confiance. Lionel Mpasi, le gardien des Léopards, en parle. Avant le tir des penalties, il demande à l’entraîneur d’aligner Timothy Fayulu à sa place. « On travaille beaucoup les séances de tirs au but à l’entraînement. Tim est très performant dans ce domaine. J’ai eu une discussion avec lui hier. Il m’a expliqué qu’il avait déjà vécu une situation similaire à Sion : il était entré pendant la séance des TAB (tirs au but) et avait délivré son club. C’est comme ça qu’il avait gagné sa place. » Et Lionel Mpasi ajoute : « Sur le moment, j’ai donc eu ce pressentiment. À la mi-temps des prolongations, j’ai demandé au coach de garder un changement au cas où, parce que je sentais Tim prêt pour la séance des TAB. Dieu merci, ça a marché. »
Travailler beaucoup en équipe aboutit aux bons résultats et aux victoires après le choix des compétents, des gars ayant l’intelligence du jeu. Le travail collectif refait la confiance entre les co-équipiers.
Travailler en équipe, apprécier les qualités des co-équipiers et être prêt à céder sa place au meilleur, au plus performant. Quelle belle leçon ? Travailler beaucoup en équipe aboutit aux bons résultats et aux victoires après le choix des compétents, des gars ayant l’intelligence du jeu. Le travail collectif refait la confiance entre les co-équipiers. (La confiance qui a déserté certains milieux kongolais depuis l’infiltration du pays par des « génocidaires ». Elle est à recréer. Sa recréation passe par le travail en équipe.) Donc, là où les meilleurs, les compétents, les professionnels font un jeu d’équipe et obéissent à un leadership collégial, l’hybridation (le métissage) peut participer de la joie des foules unifiées par le drapeau. Bravo les Léopards !
L’identification bien faite aide à comprendre que l’identité est un enracinement dynamique ; qu’elle est relation, action et interaction avec des autrui. Qu’elle n’est pas une assignation à la terre natale que les enracinés portent en eux partout où ils peuvent se retrouver. (Les Léopards questionnent la loi sur l’identité kongolaise.) « Kulela, nkuabanya mesu » et cela est vital.
Victorieux, les meilleurs ne sont pas discriminés. Ils sont applaudis comme kongolais. Ils produisent un « nous » surplombant les appartenances tribales et ethniques. Ils ne sont pas accueillis en tant que lubaphones, lingalophones, kikongophones ou swahiliphones. Ils sont tout simplement kongolais. Quelle belle leçon !
« La justice de Dieu, il y en a » après un travail acharné abattu collectivement
Mais avant d’en arriver là, les professionnels ont dû apprendre de leurs échecs. Ils doivent avoir compris que dans la vie, il n’y a pas d’échecs, il n’y a que de leçons. Et que d’avoir appris à bien échouer, ils peuvent remporter des victoires successives. (Malheureusement, ceci n’est pas facile à avaler par les foules assoiffées de victoires…).
De la victoire des Léopards, nous pouvons apprendre collectivement que les compétents, les meilleurs, les professionnels rigoureusement sélectionnés et travaillant durement en équipe peuvent acquérir le pouvoir de réaliser des merveilles.
Donc, de la victoire des Léopards, nous pouvons apprendre collectivement que les compétents, les meilleurs, les professionnels rigoureusement sélectionnés et travaillant durement en équipe peuvent acquérir le pouvoir de réaliser des merveilles. Le pays fêtant leur retour devrait se laisser interpeller. « La justice de Dieu, il y en a » après un travail acharné abattu collectivement.
Les particrates et les manducrates kongolais devraient comprendre qu’en situation de « guerre perpétuelle », privilégier le choix des meilleurs et le travail collectif unifie sous le drapeau.
Applaudir et se réjouir de la victoire des Léopards et retourner aux vieux démons de la particratie, de la médiocratie et de la politique du « diviser pour régner » seraient ne rien comprendre à ce que « les jeux » peuvent nous apprendre. Surtout, dans un pays où la décolonisation a échoué.
Les Léopards après Lumumba
Lumumba, lui, avait compris cela. Il disait : « Plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l’oppression, à la corruption et aux manoeuvres de divisions auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du « diviser pour régner ». »(« Africains, Levons-nous ! » Discours de Patrice Lumumba, 22 mars 1959, p.11).
Unifier le Kongo est possible. Pourvu que les meilleurs y travaillent en des équipes au sein desquelles les membres reconnaissent les qualités les uns des autres et acceptent, si l’intérêt général l’exige, de s’effacer au profit des professionnels, toutes tribus et toutes ethnies confondues.
Longtemps après lui, les Léopards viennent de nous prouver qu’unifier le pays sous le drapeau passe par un travail effectué collectivement sous l’autorité d’une équipe bénéficiant du soutien des gouvernants du pays. Donc, unifier le Kongo est possible.
Pourvu que les meilleurs y travaillent en des équipes au sein desquelles les membres reconnaissent les qualités les uns des autres et acceptent, si l’intérêt général l’exige, de s’effacer au profit des professionnels, toutes tribus et toutes ethnies confondues. Là où les meilleurs travaillent durement, c’est tout le Kongo qui gagne.
Babanya Kabudi