Par Jean-Pierre Mbelu
« Mais les ours savent une chose que les autres veulent tous oublier : une paix fragile et ténue promise et bâtie sur le mensonge ne dure que le temps d’un battement d’ailes. Il faut dire toute la vérité, sans détours et dénis. Et cette vérité ne convient pas aux prédateurs. »
– Candace G
A un certain âge, passer en revue la marche du monde, une certaine marche (historico-politique) du monde, devrait devenir un devoir, une responsabilité citoyenne à partager. Cela suppose un regard attentif et humble, disposé à apprendre et à toujours apprendre. Sur cette question, l’école des ascètes du provisoire a des leçons à nous donner.
Qui sont-ils, ces ascètes du provisoire ?
Les ascètes du provisoire sont ces hommes et ces femmes amoureux de la raison et de l’intelligence du coeur, émotifs, intuitifs, suffisamment rigoureux et attentifs aux signes de l’histoire et qui, forts de leur mémoire vivante, savent lire les faits en les plaçant dans une texture unifiant le passé, le présent et l’avenir. Ce faisant, ils doutent du narratif officiel d’où qu’il vienne et assènent leur vérité. Ils le font souvent sans en porter des gants. Souvent, ils paient un prix fort. Le prix réservé aux pommes pourries. Elles doivent être écartées pour éviter la contagion.
La vérité met du temps à venir au grand jour. Mais elle finit par éclater. Les ascètes du provisoire attachés à la vérité et à l’histoire contribuent, sur le moyen et le long terme, à son éclosion. Ils sont des relayeurs des luttes des peuples épris de vérité et du désir de vivre en paix.
Instruits par l’histoire, ils sont convaincus de leur renaissance. Quelle force d’âme! Quelle têtutesse! Oui. Ils sont têtus et courageux !
En bons relayeurs, ils sont lents et patients. Ils assènent leur vérité et savent attendre le temps de sa venue « officielle » au grand jour. Ils savent attendre que les mensonges rapidement diffusés se décomposent, petit à petit, à la levée du soleil de la vérité. Relayeurs, leurs morts ressuscitent. Ils les accueillent et les embrassent. Ils sourient. Ils rigolent à gorge déployée. Et ils chantent avec un musicien kongolais : « Lokuta eyaka ne ascensseur. Vérité eyaka na escaliers, ekomi. » (Le mensonge arrive (rapidement) par l’ascenseur. La vérité (lentement) par l’escalier.)
La vérité met du temps à venir au grand jour. Mais elle finit par éclater. Les ascètes du provisoire attachés à la vérité et à l’histoire contribuent, sur le moyen et le long terme, à son éclosion. Ils sont des relayeurs des luttes des peuples épris de vérité et du désir de vivre en paix.
Ils apprennent et sont guidés par le doute
Au moment certains faits se produisent, les ascètes du provisoire cherchent à les interpréter et à les comprendre en les inscrivant dans l’histoire. Ils en identifient les acteurs. Ils identifient leurs héritiers. Ils étudient leur mode opératoire et leur narratif officiel. Ils s’intéressent aussi au fait que ces acteurs et leurs héritiers sont habitués à commencer par nier les faits et le réel. Ils construisent un narratif officiel pour cela. Longtemps après, ils détruisent ce narratif et soutiennent le réel autrefois nié et ridiculisé. Les coups d’Etat menés sous faux drapeau ou les guerres par procuration sont des exemples éloquents à travers l’histoire.
La production collective de l’intelligence dans l’ouverture à l’altérité est un atout formidable contre le fourvoiement.
Lorsque « les ours » vont voir « le chef des aigles » dégriffés, ils nous partagent un secret: «Lokuta eyaka na ascenseur. Vérité eyaka na escalier, ekomi.» Cela est désarmant…
Les ascètes du provisoire ont là toute une école où ils peuvent davantage apprendre afin de lutter avec leurs populations contre la massification totalisante. Ils savent d’expérience que la vérité advient lentement dans un cercle contenant l’autre, le tiers et eux-mêmes. Le doute les guide. La remise en question permanente est leur choix préféré. Avertis par l’expérience de la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre, la lucidité et du discernement devient le seuil de leur abord du monde.
Amoureux de la mémoire vivante et de la vie bonne, corrigeant le tir lorsqu’ils leur arrive de passer à côté de la plaque, ils ont fini par comprendre que la production collective de l’intelligence dans l’ouverture à l’altérité est un atout formidable contre le fourvoiement. Amis du silence, ils savent que l’ascétisme est une question de discipline, d’une discipline soutenue. Sans culpabiliser…
Babanya Kabudi