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Le narratif sur le mythe de la toute-puissance rwandaise et ses dégâts au Kongo-Kinshasa

Le narratif sur le mythe de la toute-puissance rwandaise et ses dégâts au Kongo-Kinshasa

Le narratif sur le mythe de la toute-puissance rwandaise et ses dégâts au Kongo-Kinshasa 1024 683 Ingeta

Par Jean-Pierre Mbelu

« Le mot de l’historien grec Polybe aurait dû être un sujet à méditation : aucune civilisation ne cède à une agression extérieure si elle n’a pas d’abord développé un mal qui l’a rongée de l’intérieur . » Philippe De Villiers

« Tshishi tshidiadia lukunde, ntshidi munda mua lukunde» Proverbe Luba

 

Mise en route

Depuis quelques deux ou trois ans, un narratif sur la toute-puissance rwandaise est en train de s’imposer officiellement. Les autres proxies intervenant dans la guerre par procuration dont souffre le Kongo-Kinshasa depuis plusieurs décennies  et ses acteurs majeurs ne sont presque plus cités. L’étau se resserre  sur le Rwanda comme si cette guerre n’était pas de basse intensité. Ce narratif est en train de tordre la perception  de la réalité kongolaise. Quels objectifs pourrait-il servir ? Pourquoi ses créateurs font-ils comme s’ils inventaient la roue au sujet de cette guerre ?  Auraient-ils comme mission d’effacer la mémoire historique du pays ? De ses derniers trente ans ?

Malheureusement, les masses populaires applaudissent et donnent  la preuve des dégâts intérieurs que peut causer une guerre d’usure.  Cet article questionne la subversion de la perception causée par  »le nouveau narratif » et essaie d’émettre certaines hypothèses pour le comprendre. Il a une ambition : inviter le Kongo-Kinshasa à éviter l’éternel recommencement de l’histoire et à sortir du cercle vicieux où il est en train  de s’enfermer par manque de courage, d’intelligence et de pensée politiques.

Des livres et des témoins

Comme toutes les guerres, celle orchestrée par procuration contre le Kongo-Kinshasa fut précédée par un récit  déshumanisant les Kongolais : buveurs de bière, adorateurs de Mammon  et coureurs de jupons.  Cette déshumanisation servait une cause : se débarrasser de ces  »non-personnes » et s’emparer de leurs terres. Cet objectif participait de la politique étrangère de  »l’empire de l’intelligence » au  »destin manifeste » et de ses alliés. Et cette politique étrangère était et est encore au service de la corporatocratie.

Au début de cette guerre de basse intensité, il était plus que clair qu’il s’agissait d’une guerre par procuration au cours de laquelle le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi jouaient simplement le rôle de proxies.  Même s’ils en profitaient pour faire avancer leur projet de la mise sur pied de l’empire Hima Tutsi.

Au début de cette guerre raciste de prédation et de basse intensité, les acteurs majeurs  étaient connus et nommés.  L’un des Kongolais qui en savait un peu plus, Mgr Munzihirwa, prit le courage d’écrire au Président américain,  Jimmy Carter,  pour lui partager les preuves de la participation de son pays dans la tragédie kongolaise. Après son assassinat, l’envoyée spéciale de Bill Clinton dans les Grands Lacs, Cynthia  McKinney[1], a écrit à son chef  pour exprimer son indignation après avoir constaté que son pays jouait un rôle majeur aux côtés  des forces rwandaises.

Donc, au début de cette guerre de basse intensité, il était plus que clair qu’il s’agissait d’une guerre par procuration au cours de laquelle le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi jouaient simplement le rôle de proxies.  Même s’ils en profitaient pour faire avancer leur projet de la mise sur pied de l’empire Hima Tutsi. Plusieurs témoins et plusieurs livres donnaient des détails sur  cette guerre et sur les difficultés rencontrées par ceux et celles ayant voulu que la justice soit rendue à toutes les victimes.

Un narratif biaisé et dystopique

Petit à petit, certains gouvernants kongolais  ont commencé à créer un narratif prenant une certaine distance de la documentation et des archives pour fabriquer le mythe de la toute-puissante du petit pays de mille collines et de son Président.  Il y a eu, dans leur chef, comme une certaine volonté d’ignorer l’histoire documentée de cette guerre en vue de n’avoir dans leur ligne de mire que Paul Kagame et le Rwanda.  Ce narratif  biaisé  et dystopique  a plongé des pans entiers des populations kongolaises dans l’ignorance de l’histoire de cette guerre et dans l’amnésie.  Ce narratif s’attaque à la perception de la réalité afin  de reconduire les alliances avec  »les partenaires classiques » du Kongo.

Sur le temps long, des populations soumises, de près ou de loin, aux affres de la guerre  peuvent être facilement manipulables par « les idiots utiles » du système de la descente de leur pays aux enfers.

Ce narratif intervient  une trentaine d’années après le début de la guerre. Il est proposé aux populations épuisées par une guerre d’usure et dont le seul souhait serait qu’elle prenne fin. A n’importe quel prix. Et c’est ici que le bât blesse. Fragilisées intérieurement, ces populations sont facilement réceptives à ce narratif dystopique  transmis par les médias  du  »pouvoir ».

Cette réceptivité rappelle  que sur le temps long, des populations soumises, de près ou de loin, aux affres de la guerre  peuvent être facilement manipulables par  »les idiots utiles » du système de la descente de leur pays aux enfers.

A quoi servirait le mythe ?

Victimes du narratif dystopique, les populations kongolaises peuvent applaudir  les acteurs majeurs de la guerre imposée à leur pays et les accueillir comme des  »sauveurs ». Pour elles,  »la politique est dynamique ». Curieusement, la subversion  de leur perception de la réalité les a conduits à la perte de toute lucidité et de tout discernement au moment où le monde est en train de basculer. Au moment où Mobutu Nzanga vient révéler, au micro de la radio Top Congo, qui avait  »poignardé son père dans le dos » après tous les services rendus au cours de  »la guerre froide ». (Nous y reviendrons dans un autre article.)  L’histoire serait-il, au Kongo-Kinshasa, un éternel recommencement ? Ou nous réserve-t-elle des surprises ?  La subversion  de la perception de la réalité kongolaise partagée par les narrateurs du mythe rwandais  et les masses populaires soulèvent des doutes quant à la réponse à la dernière question.

A quoi servirait le mythe de la toute-puissance rwandaise ?  A ignorer ses méthodes (dont le mensonge, l’infiltration et la corruption des traîtres kongolais) et à semer le doute au sujet du patriotisme dont font montre plusieurs kongolais attachés à leurs terres. A faire cacher les  réels soutiens anglo-saxons et mondialistes de Paul Kagame.

A quoi servirait, dans ce contexte, le mythe de la toute-puissance rwandaise ?  A ignorer ses méthodes (dont le mensonge, l’infiltration et la corruption des traîtres kongolais) et à semer le doute au sujet du patriotisme dont font montre plusieurs kongolais attachés à leurs terres. A faire cacher les  réels soutiens anglo-saxons et mondialistes de Paul Kagame. A s’en approcher. A  les  »innocenter » sans procès en vue d’un partenariat  attentatoire à la souveraineté nationale.

En principe, tous, Kagame compris, devraient répondre  du  »génocide kongolais ».  Déplorer ce  » génocide » et reconduire   »le partenariat » avec les acteurs majeurs de la guerre l’ayant produit, n’est-ce pas incohérent ?  Le comble est que les narrateurs officiels du mythe rwandais s’engouffrent davantage dans le système  »sorcier » ayant engendré ce  »génocide ». Pathétique !

Le mythe de la toute-puissance  du Rwanda servirait la politique du  »ôte-toi de là que je m’y mette », dans un monde en plein basculement, sans un ordre juridique contraignant. Quel gâchis ? Pourquoi s’enfermer  dans un cercle si vicieux  au moment où le Sud est en train de réinventer le monde[2] et de mettre à nu l’impuissance de la puissance[3] de l’hégémonie anglo-américaine[4] ?

Des pays du  Sud et le cercle vertueux

Des pays du Sud créent des cercles vertueux en protégeant leur souveraineté et en nouant des alliances stratégiques garantissant la sécurité mutuelle. Malgré les embûches.  Donc, c’est possible de sortir du cercle vicieux. C’est une question de courage politique. Mais aussi d’intelligence et de pensée politique. Malheureusement, certaines  »élites politiques » kongolaises, narratrices du mythe rwandais sont un ver dans le fruit kongo. Elles sont complices du système. Elles rejettent les livres et  les revues. Le responsable français d’Omerta ayant tourné un documentaire sur  »les mines du sang »[5] en sait quelque chose. Certaines de ces  »élites politiques »  refusent de lire et d’apprendre de manière continue.

La guerre raciste de prédation est très bien documentée. Ses acteurs majeurs et ses acteurs apparents sont connus et cités dans plusieurs documents et livres. Des témoins oculaires de la tragédie kongolaise sont encore en vie… Les narrateurs de ce mythe qui s’imaginent pouvoir tirer profit du  »partenariat classique » avec  »les faiseurs de Mobutu » devraient méditer cette leçon de Frantz Fanon :« Notre tort à nous, Africains, écrit Frantz Fanon , est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas. »

Nous ne dirons jamais assez. La guerre raciste de prédation  (et le génocide qu’elle a généré au Kongo-Kinshasa) est très bien documentée. Ses acteurs majeurs et ses acteurs apparents  sont connus et cités dans plusieurs documents et livres. Des témoins oculaires de la tragédie kongolaise sont encore en vie. Ils peuvent corriger le narratif  du mythe de la toute-puissance rwandaise pour honorer la mémoire historique kongolaise.  Les narrateurs de ce mythe qui s’imaginent pouvoir tirer profit du  »partenariat classique » avec  »les faiseurs de Mobutu » devraient méditer  cette leçon de Frantz Fanon :« Notre tort à nous, Africains, écrit Frantz Fanon , est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas. »

Les élites résilientes, résistantes et survivantes (à la wazalendo)  ont du pain sur la planche : le réarmement moral, culturel, spirituel et intellectuel des populations kongolaises fatiguées par la guerre d’usure et prêtes à se vendre au plus offrant.

 

Babanya Kabudi

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[1]Lire C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au coeur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009.

[2]Lire B. BADIE, Quand le Sud réinvente le monde. Essai sur la puissance de la faiblesse, Paris, La Découverte, 2018.

[3]Lire B. BADIE, L’impuissance de la puissance. Essai sur les nouvelles relations internationales, Paris, Fayard, 2004.

[4]Lire B. BADIE, L’hégémonie contestée. Les nouvelles formes de domination internationale, Paris, Odile Jacob, 2019.

[5]CONGO (RD) LES MINES DE SANG – YouTube

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